J’aime beaucoup la série “The Photography Workshop” chez Aperture. Et aujourd’hui je vous parle de leur dernier opus et des 7 leçons de photographie de Richard Misrach que j’ai retenues.


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Salut, ici Laurent pour Apprendre la Photo, et aujourd’hui on va parler d’un photographe que j’ai découvert récemment : Richard Misrach.

Il aura peut-être son Incroyables Photographes un jour d’ailleurs, mais je ne voulais pas attendre pour vous en parler, j’ai trop kiffé 🙂

Tout commence par son récent livre chez Aperture, dans la collection “The Photography Workshop”. Ils sont malheureusement pour beaucoup de ges seulement en anglais, mais ce sont d’excellents bouquins, dans lesquels Aperture donne la parole à de grands photographes pour qu’ils partagent leur vision de la photographie et les leçons qu’ils ont tirées de leur carrière, tout ça étant émaillé de beaucoup de photos de leur part.

Avant lui on a eu droit à Alex Webb et Rebecca Norris Webb, Todd Hido, ou encore Mary Ellen Mark par exemple. Des grosses pointures donc.
Je les achète systématiquement, car je ne suis jamais déçu, même quand je ne connais pas ou peu le photographe.

Je vais donc parcourir le livre avec vous, pour découvrir son travail ensemble tout en nous arrêtant sur les 7 leçons que j’ai retenues de ce livre.

Leçon 1

La première leçon qu’il a apprise est dans le cadre de son projet Telegraph Avenue, dans lequel il photographiait sur la route entre chez lui et le studio dans lequel il travaillait : il descendait Telegraph Avenue sur 5 pâtés de maisons.

Il a travaillé sur le projet pendant un an et demi, et quand il pensait qu’il avait fini, il l’a montré à un ami, qui lui a dit “tu n’y es pas encore, il faut encore bosser 6 mois dessus”.

Il ne voyait pas du tout comment faire, mais il s’est forcé, et pour apporter de la nouveauté, il s’est mis à photographier également de nuit.
Ça a énormément étendu ses possibilités, évidemment : la nuit la lumière est différente, ses portraits devaient se faire en pose plus longue et sont donc parfois un peu flous, et on ne croise pas les mêmes individus.


La leçon à retenir ici est double : il faut souvent pousser un peu plus que ce qu’on pense pour aller au bout d’un projet, et si on se sent à bout des possibilités, il ne faut pas hésiter à étendre ses possibilités pour se décoincer. Sans non plus changer le sens du projet, hein, mais parfois retirer UNE des contraintes peut fonctionner.

Leçon 2

La seconde leçon est plutôt une réflexion philosophique, mais que j’ai trouvée intéressante. Dans un de ses premiers projets, Richard Misrach photographie le désert la nuit, en mettant un coup de flash sur certains éléments du décor, notamment des cactus.
Évidemment, il photographie en pose longue, et joue beaucoup avec le temps dans ses images. Ce n’est pas du tout un “moment décisif”, mais au contraire un temps long.

Cette réflexion autour du temps se retrouve chez plusieurs photographes. Raymond Depardon dit dans Errance :
« C’est un peu ça l’idée de l’errance : qu’il n’y ait plus de moments privilégiés, d’instants décisifs, d’instants exceptionnels, mais plutôt une quotidienneté. »

Misrach a également une réflexion sur le temps, ici, avec cette phrase que je vous traduis librement :
Quel que soit le sujet d’une photographie, elle sera toujours à propos du temps.

Ça rejoint également le livre Leçon de Photographie de Stephen Shore, dans lequel l’instant est une des dimensions sur lesquelles le photographe peut jouer.

Du coup ici, c’est plutôt une invitation à la réflexion sur votre travail : quelle est la place du temps dans vos projets photographiques ? Ce n’est pas forcément seulement en termes de processus à la prise de vue, hein, ça va plus loin que ça. Qu’est-ce que ça raconte sur le temps ? Est-ce que c’est important de figer un moment particulier ? Est-ce que c’est particulier à votre époque ou plus intemporel ? Comment on le regardera dans le futur ?
Il y a énormément de questions intéressantes à se poser sur le rapport au temps de vos photographies, et qui peuvent vous guider dans vos projets.

Leçon 3

La troisième leçon est pour le coup plus personnelle : page 42 du livre, il y a une photo qui m’arrête. Elle a quelque chose de familier, mais je n’arrive pas à savoir quoi. Je dois l’avoir vue quelque part, mais comme je ne connaissais pas Richard Misrach avant ce livre, je ne vois pas où.

Et après réflexion, j’ai fini par retrouver : j’ai vu un très grand tirage de cette image à la dernière édition de Paris Photo, en 2019. Je m’en souviens très bien, j’étais avec Thomas et Richard, et on s’était arrêtés devant ; parce que le tirage était fort, l’image avait une grande qualité, de la lumière, etc., le tirage était hyper bien fait, il était très grand, et on s’est arrêtés devant. Ça faisait partie des images, des objets, qui nous avaient arrêtés.

Vous devez commencer à en avoir l’habitude à force de le répéter, mais c’est encore une preuve supplémentaire du pouvoir de l’objet. Si j’avais juste vu cette photo sur Instagram, je ne m’en serais pas souvenu. Mais là j’ai été marqué par un objet remarquable, et c’est resté imprimé dans ma mémoire (sans mauvais jeu de mots).

D’ailleurs, pour ceux d’entre vous qui aimeraient faire des tirages mais ne savent pas trop comment s’y prendre, j’ai une formation sur le sujet, je vous mets le lien ici ! 🙂

Leçon 4

La quatrième leçon est une autre réflexion philosophique : il s’inspire d’un texte de Suzanne Langer publié en 1950, dans lequel elle théorise que tout art crée une “illusion première”. Ça peut paraître un peu théorique, mais c’est simple à comprendre, avec la peinture par exemple : la peinture crée une illusion d’un espace virtuel, qui n’existe pas. Elle dit que la musique crée l’illusion du temps, ce qui veut dire qu’elle rend le temps “audible” en quelque sorte, qu’on perçoit davantage sa continuité.

Je ne vais pas trop développer ça là, car l’important c’est ce qu’ajoute Misrach sur la photographie, et que vous allez sans doute comprendre tout de suite : la photographie crée l’illusion d’un fait.

J’ai d’ailleurs dû lutter contre ça plein de fois en expliquant de plein de manières différentes en quoi la photographie n’est PAS, JAMAIS une représentation de la réalité.

Mais elle en crée l’illusion : si vous voyez quelque chose sur une photo, vous avez l’illusion que ça représente un fait. Par défaut, vous allez vous dire que ceci est arrivé. Et vous pouvez en jouer, notamment en jouant sur les plans, comme sur la photo qui accompagne son texte, où on a l’illusion qu’un des hommes pointe son fusil sur l’autre, alors qu’en réalité ils ne sont pas l’un face à l’autre. C’est juste que dans la photo on a l’impression qu’ils sont sur le même plan.


C’est toujours utile de s’en rappeler quand on photographie, même si pour beaucoup on ne cherche pas spécialement à transformer la réalité, mais plutôt à la “mettre en forme”, on peut tout à fait jouer là-dessus en perturbant le spectateur.

Je pense par exemple au travail de Gregory Crewdson que vous avez pu découvrir dans Incroyables Photographes : c’est uniquement un travail de mise en scène, mais c’est ce décalage avec cette illusion d’un fait qui provoque ce sentiment d’étrangeté. Parce que, de base, c’est une photo où on l’impression que ça s’est vraiment passé, mais les scènes sont vraiment étranges et un peu surréalistes, et donc il y a une espèce de malaise.

Leçon 5

La cinquième leçon, c’est une idée qui m’a beaucoup intéressé dans ce livre, et qui va me permettre de vous montrer un peu plus en détail son travail photographique.
Après son travail sur les cactus dans le désert, Richard Misrach a continué à photographier dans cet environnement, et a démarré plusieurs projets, en commençant notamment par la photo que je vous ai montrée avant et dont j’ai retenu le tirage, restant parfois plusieurs heures au même endroit pour saisir les variations de la lumière sur le paysage.

Puis il a varié ses sujets en photographiant notamment les incendies dans le désert, puis des communautés qui avaient été inondées suite à la redirection d’eaux d’irrigation dans un lac.

Au début, il ne pensait pas à connecter ces sujets, mais en lisant le poème épique The Cantos d’Ezra Pound, il s’est attaché à son idée de “Canto”, qui est un terme qui désigne une partie d’une chanson ou d’un poème, un peu comme le chapitre d’un roman. Cette structure en cantos a été adoptée par Dante dans la Divine Comédie ou Lord Byron dans Dom Juan.

Ce qui lui a donné l’idée que ses projets sur les incendies et les inondations, plutôt que d’être complètement séparés, pouvaient appartenir à un tout. À partir de ce moment-là, c’est devenu un moyen pour lui de réunir plusieurs thématiques différentes sous la même bannière, et de traiter des thèmes métaphoriques, plus théoriques ou alors explicitement politiques.

Chaque série se tient toute seule, comme une œuvre à part entière, mais d’une certaine manière elles se répondent aussi entre elles.

Tous ses livres ne sont plus trouvables à un prix raisonnable, mais j’ai personnellement beaucoup aimé Border Cantos, dans lequel il se concentre sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique, balafrée sur une bonne partie de sa longueur par une clôture, parfois dérisoire, et ponctuée de traces des tentatives de passage par les Mexicains.

Leçon 6

La sixième leçon est très intéressante, car elle tourne autour de l’idée de beauté en photographie. C’est toujours un peu difficile à aborder, car quand on commence la photo en mode loisir, on veut en général faire de “belles photos”, qui parlent un peu à tout le monde.

Or j’essaie aussi de vous montrer en quoi certains photographes sont de grands artistes, même quand ils ne font pas forcément quelque chose de beau. J’en avais parlé en détail dans ma vidéo “pourquoi cette photo pourrie est dans un musée” d’ailleurs : allez la voir si ce n’est pas déjà fait, elle a déjà 25 000 vues, je crois qu’elle a intéressé du monde. 🙂

Ici, Misrach développe l’idée que la beauté dans une photographie permet de transmettre plus facilement des idées difficiles. Comme elle est plus immédiate pour le spectateur, elle peut permettre de le retenir juste assez longtemps sur un sujet qui peut être difficile émotionnellement, et qu’il n’aurait pas envie de regarder autrement. Il la compare à un “système de livraison” pour délivrer des idées dans la tête des gens.

C’est très cohérent avec son travail, comme on l’a vu : même s’il se penche sur des sujets qui ne sont pas forcément faciles, comme les communautés inondées ou la frontière avec le Mexique, il a toujours une démarche esthétique très poussée.

Leçon 7

Et enfin, la septième et dernière leçon dont je voulais vous parler concerne l’utilisation de Photoshop, et plus spécifiquement de carrément enlever des éléments de l’image. C’est une pratique qui fait hurler beaucoup de gens qui vont dire que du coup la photo ne représente plus la réalité.

Misrach était quasi religieux sur son absence de retouche au sens strict, donc enlever ou même ajouter des éléments dans l’image, et il se faisait même une règle d’or de ne pas recadrer, ce qui est un peu la version extrême de cette religion !

Ça faisait sens pour l’essentiel de ses projets qu’on a déjà vus, qui ont une certaine portée documentaire. Il est plutôt souhaitable de ne pas enlever un élément d’une image quand on veut montrer la réalité de la frontière avec le Mexique, par exemple, ce serait mentir sur la réalité de la situation, et dans ce contexte, clairement une mauvaise idée.

Mais dans son projet “On the beach”, “Sur la Plage”, Misrach n’a aucune intention documentaire : il veut montrer la bizarrerie des rituels que les humains ont sur la plage, comme se faire flotter sur le dos ou s’enterrer à moitié. Et très vite, il s’est rendu compte que les photos fonctionnaient mieux s’il se donnait la liberté complète de recadrer à l’envi, ou encore de supprimer des passants plus “normaux”, pour donner un côté presque surréaliste à ses photos.

C’est un bel exemple d’un artiste qui sait se remettre en question, et ne pas avoir des règles bêtes et méchantes, mais simplement qui correspondent à son projet photo.

Voilà, ce sont les leçons que j’ai retenues de ma découverte de cet artiste, et j’avais envie de les partager avec vous, car c’est sans doute une de mes meilleures découvertes de ces derniers mois !

N’hésitez pas à partager en commentaire si vous aussi vous avez découvert un photographe, ça m’intéresse toujours !

Pensez à vous abonner, mettre un pouce bleu et partager la vidéo, c’est hyper important pour l’avenir de la chaîne, et puis si jamais vous découvrez avec cette vidéo, vous pouvez télécharger votre guide gratuit “Osez Composer” pour améliorer la composition de vos photos, je vous mets le lien juste ici.

À plus dans la prochaine vidéo, et d’ici là à bientôt, et bonnes photos !

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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