Comme vous le savez sans doute, j’ai un domaine de prédilection : la photo de concert. J’ai eu une question intéressante d’une lectrice sur la page Facebook l’autre jour, au sujet d’une photo récente, qui m’a inspiré un article.
En effet, Martine s’étonnait que certaines images de mon dernier concert soient prises à des vitesses assez lentes : elle comprenait bien qu’il n’y avait pas beaucoup de lumière, mais les artistes étant en mouvement, elle ne comprenait pas ce choix.
Tout d’abord, ça m’a étonné, car la plupart de mes images sont prises à des vitesses plutôt rapides, du genre 1/125 ou 1/160. Mais ensuite, j’ai compris de quelle image elle parlait.

Du coup, j’ai décidé de vous expliquer un peu les raisons de mes choix de réglages, surtout que pour une fois, j’ai utilisé le mode Manuel M, alors que ce n’est pas dans mes habitudes.
Un peu de contexte
La photo de concert, c’est avant tout du reportage. On est là pour immortaliser un événement, pour en saisir la substantifique moelle en l’espace des maintenant sacro-saintes 3-chansons-sans-flash-et-t’es-dehors. Cela dit, ça n’empêche pas d’apposer sa patte, sa vision, et même d’essayer d’être créatif, limité qu’on est par le temps et l’espace (à 8 dans un espace étroit, les angles de vue sont assez limités hein :D).
Bref, ce jour-là était une grosse journée, j’avais ouvert les inscriptions à la formation, mais ça ne m’avait pas empêché d’aller shooter le concert d’adieu des Blaireaux, groupe assez culte et originaire de la région (on ne se refait pas !). Bref, un événement à ne pas manquer, d’autant plus qu’il se déroulait dans une salle assez grandiose : le Colisée de Roubaix (avec option sièges confortables et doux comme un agneau de 3 semaines et ouvreuses en tailleur).
Bonne surprise en arrivant : apparemment il n’y a pas de limitation aujourd’hui, donc j’aurai le droit de photographier… tout le concert !
En général, quand on est limité à 3 chansons, on peut toujours essayer de prévoir (si on connaît bien le groupe, on peut deviner son entrée en scène, etc.), mais on est malgré tout limité à saisir les bons moments qu’on voit aussi bien que possible, et ensuite il-faut-ranger-votre-appareil-monsieur.
Du coup, là, j’ai l’occasion de prévoir un peu mieux mes images, de véritablement me les mettre en tête avant de les mettre dans l’oeil, et de tirer parti de toute la salle. Je ne vais pas vous faire la totalité de l’album, mais dès le début, je sais qu’il me faut une vraie image d’adieux.
C’est leur dernier concert, ça va se finir en standing ovation dans cette salle grandiose, et ça, il m’en faut une image. En tête, je sais déjà ce que je veux : une image prise à l’ultra grand-angle (heureusement j’emporte toujours mon Tokina 11-16mm f/2.8 en concert, même s’il ne me sert pas à chaque fois), depuis le petit balcon là-haut, d’où j’ai une vue plongeante sur toute la salle, et bien centrée. Je le sais, je veux le salut final depuis là-bas.
Je ne vous le répèterai sans doute jamais assez : la moitié d’une image (si ce n’est plus) se fait dans la préparation. L’avoir en tête, se placer au bon endroit, préparer ses réglages, et surtout être prêt à déclencher au bon moment.
Bref, quand j’ai exploité tous les angles de vue imaginables (devant la scène, sur les côtés, sur les balcons latéraux, …), et que je sens arriver la fin du concert, je fais le tour par le hall du Colisée pour me placer sur ce fameux petit balcon. J’y suis pour le moment le seul photographe.
Il se trouve que je vais avoir tout le temps puisqu’en bon concert d’adieux, ça s’éternise un peu, du coup je vais aussi prendre de bonnes images depuis là-haut, mais au 70-200 😉
Bref, si je vous raconte tout ça, c’est pour bien vous montrer que la suite n’est pas sortie de mon chapeau, et ne doit rien au hasard. Je pense que c’est pour ça que les choix de réglages semblent parfois obscurs aux débutants : vous ne pensez pas assez à l’image voulue auparavant.
Les choix pour cette image
Passons donc au vif du sujet, à ce qui vous intéresse le plus, bande de technico-philes : les réglages.
Avant tout réglage, il faut avoir en tête ses contraintes, et le résultat final qu’on veut. Je veux donc :
- un plan très grand-angle incluant la scène, ainsi que la plus grande partie de la salle possible
- que le public soit visible, donc éclairé à ce moment-là
- que sur l’image finale, on puisse distinguer à la fois clairement ce qui se passe sur scène, et au moins les silhouettes du public (pour en rajouter sur l’effet « public nombreux et debout »).
- une grande profondeur de champ
- des sujets nets (donc une vitesse suffisamment rapide pour les figer, et évidemment éviter tout flou de bougé)
Evidemment, il y a peu de lumière, les sujets sont potentiellement bien mobiles, ce n’est pas évident. Donc oui, je veux plein de choses et il y a des contraintes !
Je veux le plan le plus large possible, je monte donc mon Tokina 11-16mm f/2.8, que je mets à 11mm. L’avantage, c’est que ça va résoudre simultanément mon problème de grande profondeur de champ : à 11mm, en faisant la mise au point sur la scène (qui est à environ 20m à vue de nez), j’ai une profondeur de champ qui s’étale de 2m de l’appareil à l’infini, donc qui englobe a priori toute mon image.
Alors évidemment, je n’ai pas calculé ça de tête, je savais juste que je n’avais pas besoin de fermer à f/8 pour avoir une grande profondeur de champ, par expérience. Note au passage : quand vous connaissez bien votre matériel, vous avez en tête intuitivement ses avantages et ses limites 😉
J’ai l’avantage de pouvoir m’appuyer sur une rambarde, et donc de pouvoir descendre en vitesse sans trop risquer le flou de bougé. J’attire votre attention sur le fait que j’attends le moment où le public est éclairé, sinon il est juste totalement noir et ça perd tout son intérêt.
Je m’essaye à une photo en priorité vitesse au 1/25ème et 1600 ISO : il y a peu de lumière, et surtout je suis loin. En gros, plus vous êtes loin d’une source, moins la lumière atteint votre capteur. L’appareil donne f/3.2, et le résultat donne une scène légèrement surexposée et un public bien exposé.
Je fais un ou deux autres essais, mais je remarque une chose : les lumières éclairant le public changent parfois trop vite, et du coup trompent la mesure d’exposition de l’appareil, qui des fois donnent des résultats sous-exposés ou surexposés. Comme c’est irrégulier, je ne peux pas utiliser la correction d’exposition : si toutes les photos avaient été surexposées ou sous-exposées de la même façon, j’aurais pu l’utiliser afin de corriger ce biais, tout en conservant les automatismes. Là, je suis obligé d’utiliser le mode M, tout manuel.
L’avantage, c’est que j’ai déjà une indication des réglages proches de mon résultat final, grâce à la photo prise en priorité vitesse auparavant. Je sais donc qu’à lumière équivalente, il me faut des réglages qui sous-exposent un peu.
Je descends à f/4 car je pense qu’il me faut fermer un peu plus pour avoir toute l’image nette (vous voyez, là j’ai tort, j’aurais pu shooter à f/2.8, mais ça ne crée pas de drame sur l’image finale), et à 1/40ème. Par rapport à la photo en priorité vitesse, j’ai diminué l’exposition de 1,3 IL (à ce moment-là je ne calcule pas hein, c’est un test à l’instinct).
Le résultat de la première image est globalement un peu sombre, un peu sous-exposé, parce que la lumière a changé. Et oui, en Manuel, vous ne pouvez pas vous reposer sur les automatismes;)
Il faut que je choisisse une lumière en particulier, que je règle pour elle, et que je ne déclenche que quand elle se présente. Ça nécessite de bien observer, ce qui est indispensable en photo.
En fait, le plus gros problème n’était pas le manque de lumière, ou la grande profondeur de champ à obtenir : c’était la trop grande différence de luminosité entre la scène et le public. C’est un peu comment photographier un paysage avec le soleil de face : vous n’allez pas avoir à la fois le paysage et le ciel bien exposé, c’est une limitation purement technique, la dynamique du capteur.
Donc l’astuce consistait surtout à repérer le moment où le public était éclairé pleins phares, et où la scène était modérément éclairée. Et ça, ça se fait avec les yeux plus qu’avec l’appareil photo 😉
Une fois que j’avais repéré cette bonne lumière, il suffisait de l’associer avec le bon moment, et de déclencher. Pour éviter que les artistes soient flous au 1/40ème, il suffisait d’attendre un moment suffisamment statique, par exemple le salut quand ils sont penchés.
Je ne détaille pas trop car on parle réglages aujourd’hui, mais il faut évidemment faire attention à sa composition : ici, comme je voulais une image centrée et bien symétrique, c’était surtout là-dessus qu’il fallait se concentrer (lignes droites bien parallèles au bord du cadre, etc.).
En conclusion
J’ai conscience qu’à me lire, ça peut vous paraître interminable et affreusement compliqué comme réflexion. Mais en fait pas du tout, ça se résume en quelques étapes :
- Avoir son image en tête (le résultat final voulu)
- Déterminer les contraintes
- Choisir ses réglages en conséquence
- S’adapter si ça ne fonctionne pas (ici j’ai dû utiliser le mode Manuel, mais la plupart du temps une correction d’exposition ou un changement de mode de mesure suffit)
- Attendre le bon moment et déclencher
Evidemment, là je vous ai tout expliqué en long, en large, et en travers, mais en réalité ça ne m’a pris que quelques secondes pour les premières étapes, et pas plus d’une minute pour m’adapter aux conditions un peu piégeuses.
Mais je trouvais intéressant de vous expliquer cette démarche, car à mon sens c’est un exemple de ce qu’on peut faire quand on sait à quoi servent les différents réglages : qu’ils deviennent une extension de votre œil, et non plus une contrainte.
Et vous, en 2013, vous allez les maîtriser ces satanés réglages ? 😉
Bonjour Laurent,
Votre site est vraiment extraordinaire pour les gens qui comme moi découvrent avec plaisir la photo (voilà quelques mois que je m’y mets).
Juste une petite question sur cette photo-ci. En regardant l’originale sur Flickr, je vois que les visages ne sont pas nets du tout, on a du mal à les distinguer…..ce qui n’enlève rien à la qualité du cliché, d’ailleurs, mais je voulais juste savoir si cela était dû à une éventuelle compression pour la mettre en ligne sur Flickr.
En fait, je demande ça car j’ai mon premier shooting de spectacle hier soir (avec en plus la gestion d’une caméra vidéo en parallèle !) et certaines des photos que j’ai faites (et que je n’ai pas encore visionné sur écran) sont superbes…..mais – de mon point de vue – pas assez nettes. En fait, elles ressemblent à celle que vous présentez ici. Si vous me dites que la photo est comme ça d’origine…….et bien cela me rassure un peu ;o)))))
Merci et encore bravo pour votre site.
Jérôme
Bonjour Jérôme,
Il ne faut tout simplement pas zoomer à 100% : c’est l’équivalent de coller son nez à une affiche en 4/3. Une photo vue à ce niveau de zoom ne sera jamais “nette”. Il faut simplement la regarder en plein écran, voire un peu plus, pour déterminer la netteté.
Bonsoir,
Je n’ai pas eu le temps d’explorer tout le blog, mais y aurait-il une sorte de tuto sur la photo de concert ?
C’est à dire avec tous les conseils, pas uniquement sur la prise de vue (quel sac emporter, comment augmenter ses chances d’être autorisé à photographier… etc.).
Merci d’avance à ceux qui pourront me renseigner.
Intéressant.
Pour ma part, en milieu « sombre à l’œil » mais suffisamment clair pour y voir, les réglages 1200 ISO f3.5 1/40 s’avèrent généralement bien adaptés.
Ensuite, j’utilise souvent la mémorisation d’exposition, en mode A, et je viens corriger l’exposition mémorisée avec la correction d’exposition.
Cette approche présente l’intérêt de ne pas nécessiter le passage en mode manuel, et de s’appuyer directement sur la mesure de luminosité initiale de l’appareil.
L’inconvénient : la mémorisation d’exposition est oubliée quand l’appareil est éteint. Tandis que le mode manuel la conserve. (D90)
Bonjour Laurent,
Sympa d’expliquer ta démarche pour obtenir la photo de l’événement et puis un concert avec Les Blaireaux c’est un régal à photographier
J’ai l’impression de me retrouver dans ton approche de la photo de concerts, moi j’utilise principalement le mode manuel car c’est le mode ou je suis le plus a l’aise…
Bonjour Laurent
Très intéressant de suivre ta démarche en temps réel. Je reste encore septique sur l’utilisation du mode manuel du fait des changements de lumière. N’est-ce pas justement le rôle du mode semi-automatique que de s’adapter rapidement aux changements de lumière, quitte à appliquer une correction d’exposition en fonction du résultat final que tu souhaites ?
Par ailleurs, l’idée d’un bracketting avancée par Vincent me semble bonne. Oui, le public et les artistes bougent, mais ton problème de lumière est entre le public dans l’ombre et la scène très éclairée, 2 zones qui sont bien délimitées et dont tu aurais pu ultérieurement combiner les meilleures expositions ?
J’ai eu très rarement l’occasion de faire ce type de photo, je galère donc un peu… Merci pour ces conseils.
Merci pour ce billet fort bien complet! Personnellement je n’ai jamais essayé la photo de concert, je trouve qu’il est difficile de se concentrer sur le show et les réglages mais je suis loin d’être un pro comme toi
Je viens de trouver le post sur l’hyperfocale, via google… J’annule donc ma requête 😉
Bonjour Laurent,
Merci de cet article intéressant. J’ai néanmoins une question. Lorsque tu évoques les réglages effectués pour la photo du final de ce concert, que tu précises qu’avec ton zoom réglé sur 11 mm, placé à environ 20 m de la scène, tu sais ne pas avoir besoin de trop fermer ton diaph pour obtenir une netteté sur toute l’image; tu fais référence à ce qu’on appelle l’hyper focale ? Si oui je trouverai intéressant que tu puisses consacrer un article accessible à cette technique.
Tout ce que je peux lire ça et là sur le net me semble assez compliqué et cette technique me semble présenter un certain intérêt.
Excuse moi si un tel article se trouve déjà sur le blog, je n’ai pas encore pu explorer totalement celui-ci. En tout cas félicitations pour la clarté de son contenu.
Et puisque nous sommes encore dans les 1er jours de janvier, je profite de ce message pour te présenter mes meilleurs voeux.
Salut Laurent,
J’étais au concert et je t’ai vu sur la gauche avant le début du spectacle. Je n’ai pas eu le temps de te saluer, alors je le fais ici.
Même si je suis d’un niveau plus avancé, je trouve que ton site « pour débutants » regorge d’informations intéressantes, de même qu’une bonne partie des commentaires d’ailleurs. Tu as su fédérer autour de ton projet un bon groupe de passionnés… bravo. Continue dans cette lancée.
La prochaine fois, je viendrai te voir, c’est promis.
Et bonne année 2013
Merci pour ce billet fort bien complet! Personnellement je n’ai jamais essayé la photo de concert, je trouve qu’il est difficile de se concentrer sur le show et les réglages mais je suis loin d’être un pro comme toi 😉
Merci pour tes précieux conseils qui nous apportent tant !
Comme toujours, un article très instructif, merci !
J’en profite pour te souhaiter une excellente année 2013.
– Avoir son image en tête
– Déterminer les contraintes
– Choisir ses réglages en conséquence
– S’adapter si ça ne fonctionne pas
– Attendre le bon moment et déclencher
… une conclusion à laquelle j’adhère totalement…. 🙂
Quelques remarques :
– La seconde image de la scène (Image 9008) montre un angle de champ plus serré que la première (image 9043). Soit tu as “zoomé” avec le Tokina, soit l’image est recadrée en post-traitement. Dans le premier cas, le fait que la scène, bien éclairée, occupe plus de place dans ‘image influe sur la mesure de la lumière .. surtout si l’appareil est réglé en mode de mesure matricielle … et moins (ou pas) en mode “spot”.
– Malgré l’effort de composition, l’image choisie pour le final est légèrement asymétrique. La scène est légèrement à droite dans l’image et, à mon avis, l’angle de prise de vue n’est pas perpendiculaire à la scène
.. mais bon … ce sont des détails dans un exercice au combien difficile.. donc .. au final .. bravo!