Avec Thomas Hammoudi, nous nous sommes installé dans la très belle bibliothèque de l’Institut pour la Photographie afin de répondre aux questions que vous nous avez posées.
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Comme vous le savez, Thomas et moi, on aime un petit peu les livres, et du coup on a décidé de répondre à vos questions dans ce lieu exceptionnel.
En effet, la bibliothèque de l’Institut accueille le fonds de l’historienne de la photographie Anne-Laure Van Verbeck, originaire de la région, et qui comprend actuellement plus de 3 000 documents !
Vous pouvez donc les consulter gratuitement sur place, ici, du mardi au dimanche, ce qui est vraiment une chance exceptionnelle si vous habitez la région – et même, d’ailleurs, si vous voulez vous déplacer pour le faire, je pense que ça peut valoir le coup.
Tout le catalogue est consultable en ligne, donc vous pouvez tout à fait repérer à l’avance ce qui vous intéresse, arriver sur place et déjà savoir ce que vous voulez lire avant de fouiller toutes les étagères.
C’est donc ici qu’on a décidé de répondre à quelques-unes de vos questions sur la photographie. Allez, c’est parti pour la première !
Si la netteté est un concept bourgeois, est-ce que le flou est un concept prolo ? Question réelle, il y a à creuser.
Thomas : « La netteté est un concept bourgeois » est une citation d’Henri Cartier-Bresson, pour ceux qui ne le savent pas.
Est-ce que le flou est un concept prolo ?
Laurent : Oui, alors… je n’ai pas vu la question avant, donc j’improvise.
Je me demande si ce n’est pas presque l’inverse aujourd’hui. Est-ce que la netteté n’est pas un concept prolo, maintenant, et le flou un concept bourgeois ? Je ne sais pas.
Thomas : Cartier-Bresson, il faut savoir que c’est un anarchiste, très très à gauche de base. On ne peut pas comprendre vraiment ça quand on ne le connaît pas. Et quand il dit que la netteté est un concept bourgeois, c’est un peu pour se moquer des personnes aisées qui voulaient de belles photos nettes à mettre chez elles.
Mais tu as raison, je pense qu’on est presque sur l’inverse.
Laurent : On est presque sur l’inverse, oui, j’ai l’impression. Parce que, au final, après… Oui, si on s’engage sur le terrain de prolo et bourgeois, déjà on marche sur des œufs, tu vois.
Thomas : Non, je veux dire, populaire et…
Laurent : Voilà, si on le traduit comme ça, effectivement, la majorité de la population préfère les photos nettes, plutôt. Les gens ont tendance à vouloir faire des photos nettes. Une des requêtes qui mènent beaucoup à mon blog, c’est « comment faire une photo nette ? »
Ce qui est OK, on peut tout à fait avoir envie de faire des photos nettes, il n’y a aucun problème avec ça.
Thomas : et à l’inverse de l’appareil photo, tu as Antoine d’Agata.
Laurent : Voilà. En fait, à mon avis, le flou aujourd’hui est peut-être moins accessible, oui. Je me souviens que j’avais fait, j’avais posté il y a peut-être 4 ans, quelque chose comme ça, j’avais fait un vlog sur une plage en Thaïlande qui s’appelait « Plaidoyer pour une photo floue », parce que j’avais posté une photo de Cynthia Haynes, qui ne fait que du flou, ses photos ne sont pas nettes, j’avais posté ça et j’ai eu beaucoup de réactions de gens qui disaient : « ouais, c’est tout flou », c’était très reptilien comme réaction, presque, c’était genre « c’est pas net donc c’est pas bien ». Et j’avais été un peu étonné qu’il y ait eu des réactions aussi violentes ; il y avait des trucs qui étaient vraiment méchants, limites. Mais calmez-vous ! C’est une photo, déjà, donc on va se calmer.
Et du coup j’avais fait une vidéo là-dessus pour expliquer que ce n’est pas parce que c’est flou que ce n’est pas bien.
Et je pense qu’en fait, quand vraiment tu n’as pas de culture photo – ce qui est OK, hein, ce n’est pas méprisant quand je le dis –, quand tu ne connais pas spécialement la photographie en général et que ça s’est limité à ce que tu as pu voir par-ci par-là sans vraiment chercher, tu penses sans doute que flou, c’est mal.
Du coup, j’aurais plutôt tendance à dire qu’aujourd’hui – ce sera ma conclusion, je pense –, aujourd’hui, le flou, c’est peut-être plutôt un concept bourgeois.
Entre guillemets.
Thomas : Entre guillemets, oui. Pas de débat politique, s’il vous plaît ! Foutez-nous la paix !
Laurent : Oh oui, je supprime, oubliez.
Thomas : On ne peut pas s’empêcher de secouer à chaque fois, c’est trop fun.
Un bon projet photographique, c’est au moins combien de photos ?
Laurent : Je renvoie juste à ma vidéo sur Série VS projet ?
J’ai fait une vidéo là-dessus. Il n’y a pas de réponse. Autant pour la série, je pense qu’il ne faut pas aller en dessous de 10, sinon c’est compliqué d’avoir un truc un peu cohérent, autant pour un projet, je ne sais pas s’il y a un minimum, mais…
Si, je peux rajouter un truc, c’est que le livre photo, classiquement, on est très très rarement en dessous de 60 photos. C’est entre 60 et 100 en moyenne, je dirais, pour un livre photo ? La plupart du temps.
Thomas : « Les Américains » de Robert Franck, c’est 83.
Laurent : Donc on est dans cet ordre d’idée là. Donc on va dire que c’est un bon guide.
Thomas : Comment tu évacues tes questions ! Moi je me retrouve avec…
Mis à part le type de photographie dans lequel vous vous investissez le plus volontiers, et que je qualifierai de photographie de rue à vocation artistique, quelles autres disciplines photo sont, selon vous, dignes d’intérêt ? Reportage d’actualité, reportage sportif, animalier, paysage, voyage ? Bon, je ne vais pas proposer la macro, quoique…
Thomas : C’est un truc qui va me poursuivre jusqu’à la fin de ma vie !
Laurent : Ben, tu as voulu, voilà… Tu as voulu polariser, tu as polarisé.
Est-ce que je fais une liste à la Prévert ? Ce n’est peut-être pas utile, cela dit, mais je pense que tout ce qui est photographie documentaire, ou « photojournalisme » ça a un intérêt simplement de témoignage. On ne s’en rend peut-être pas bien compte aujourd’hui, parce que quand on est dedans, voir du photojournalisme aujourd’hui ça n’a pas forcément un intérêt aussi important. Mais quand on voit, ben, le travail de Susan Meiselas, pour parler d’une vidéo récente, heureusement qu’elle l’a fait à l’époque, parce qu’aujourd’hui on a ce témoignage-là et qu’il y a une part historique là-dedans, tout en ayant une part artistique, donc pour moi ça a un gros intérêt, clairement.
La photo de rue, on en a parlé, je pense qu’on ne va pas justifier l’intérêt que ça a, ici – puisque ce n’était pas la question.
Thomas : il y avait reportage sportif, animalier.
Laurent : Oui, alors. Reportage sportif, dans un sens. Oui, on peut considérer que le sport c’est une partie de l’histoire, donc oui, c’est sans doute bien que dans 50 ans on ait des photos de Hussein Bolt qui gagne son truc, enfin j’en sais rien, je n’y connais rien en sport.
Thomas : Il y en a quand même qui sont iconiques. Il y a la photographie des deux mecs noirs avec le gant.
Laurent : Oui, absolument. Là, on est déjà sur du sport, effectivement, mais il y a un message politique aussi, donc.
Mais on va dire que si c’est purement sur du sport, même ça, oui, je pense que ça a un intérêt que ce soit fait. Après, je ne vais pas acheter un bouquin forcément que de photos de sport, tu vois. Sauf si c’est les 50 meilleures de tous les temps. Je ne sais pas.
Thomas : Est-ce que déjà tu peux dire quelles seraient les 50 meilleures et qu’est-ce que c’est que « meilleures » ?
Laurent : Oui, exactement, mais bon, si quelqu’un avait fait, je ne sais pas, une curation des photos de sport légendaires, pourquoi pas ? Ça peut être intéressant.
Il y a des photos de Mohamed Ali qui sont… Donc, oui, ça a un intérêt, mais pour moi ça fait partie de l’actualité, et la photographie a aussi ce rôle-là à la base.
La photographie animalière aussi, je pense. Déjà parce que peut-être que d’avoir des photos de lions, dans 50 ans ce sera beaucoup plus facile que de voir un lion, à part dans un zoo – au rythme où ils s’éteignent.
Donc, oui, déjà, ça a cet intérêt-là. Pour moi, en fait, si on pense au futur, on peut facilement dire : est-ce que ça a un intérêt ou pas.
Après, est-ce qu’on a besoin de plus de photos de lions ? Je ne sais pas. Je dis ça, mais j’en fais, donc. Après, c’est par plaisir perso, c’est pas forcément… Je ne pense pas que je ferai un jour un livre de mes photos de lions, tu vois.
Thomas : Oui, tu pourrais l’appeler « Africa à la Nick Brandt » et le vendre chez YellowKorner. Coucou Laurent Baheux. ^
Laurent : Et puis, je ne sais pas, est-ce que j’ai fait le tour des domaines intéressants ? Il y en avait d’autres ?
Thomas : Il y avait 3 petits points et la macro.
Après, le truc, c’est que moi, je ne réfléchis pas comme ça, par type de discipline ou par genre photographique.
Quelque part, je m’en fous. C’est vraiment le propos et l’investissement de l’auteur qui vont m’intéresser, en fait.
Si un mec a quelque chose à raconter, quelque chose de fort et avec un vrai parti-pris artistique, quelqu’un qui a été au bout de son projet, de son idée et de ce qu’il voulait faire, moi ça m’intéresse, peu importe « le reportage ».
Laurent : Même si c’est de la macro ?
Thomas : Oui, même s’il y a de la macro, pourquoi pas ? Ça fait longtemps qu’on attend, mais.
On va parler que de ça.
Mis à part Richie, Badin et Araki, quels livres photographiques nous conseilleriez-vous pour découvrir le Japon et les autres pays d’Asie ?
Eh bien, vas-y !
Thomas : Alors, Richie n’est pas japonais…
Laurent : Non, mais Roberto Badin non plus.
Thomas : Quels livres photographiques pour la photo asiatique, c’est ça ?
Laurent : Oui, le Japon et les autres pays asiatiques, si je me souviens bien. Oui, c’est ça.
Thomas : Alors, le truc, c’est que dans ma bibliothèque perso qui est assez générique – je n’ai pas dix millions de références non plus, mais j’ai quand même un beau panorama – je n’ai pas vu d’ouvrages exclusivement sur la photographie asiatique.
J’ai un atlas de la photographie de rue qui consacre un chapitre sur la photographie asiatique. Il y a « L’Histoire des livres photo », par exemple je sais que Martin Parr en a fait un sur le livre en Chine.
L’Histoire du livre photographique, c’est ça. Ça a été fait par Martin Parr et Gerry Badger. Là c’est le premier tome, c’est générique. Et je crois qu’il y en a un sur la photographie chinoise.
Après, voilà, je n’ai pas de références en tête sur la photographie asiatique. Peut-être, ce qui serait cool à découvrir, c’est Provoke. Provoke, c’est un magazine au Japon qui a mis en avant vachement de photographes connus maintenant, comme Araki, Moriyama, etc.
Provoke, ils ont sorti un livre qui est un fac-similé de tous les numéros de Provoke et ça donne une bonne vision de la photographie japonaise.
Après, un seul livre sur la photographie japonaise, je n’en ai pas en stock.
Laurent : Oui, sur la photographie japonaise, non.
Ça dépend. Mais comme là, il citait Richie et Roberto Badin qui ont photographié le Japon, peut-être qu’il voulait dire aussi la photographie de ces pays-là.
Et moi j’allais plutôt rebondir sur le côté « ouais, pourquoi pas les photographes japonais plutôt que la photographie du Japon ? ». Qui, en soit, oui, le Japon est un sujet, mais…
Je pense à « Ravens » de Masahisa Fukase qui est un putain de chef-d’œuvre, on peut le dire. Enfin, moi, ça reste un de mes bouquins préférés de tous les temps.
Thomas : On devrait vraiment faire un Incroyable Photographe dessus.
Laurent : Ah oui, carrément. C’est un livre très poétique, qui n’est pas forcément, je pense, à mon avis, à première vue très accessible, parce que c’est très « dark ».
Thomas : Tu as fait une vidéo sur Fukase.
Laurent : J’ai fait une vidéo sur Fukase, à laquelle je vous renvoie.
Franchement, je pense peut-être plus intéressant d’aller voir la photographie japonaise plutôt que la photographie du Japon, en soi, parce qu’elle est assez différente de la photographie européenne. Ça ouvre un peu nos horizons, je pense. Parce qu’il y a des trucs qui sont très « weird » quand même.
C’est juste une culture différente, donc, forcément, ils produisent des choses qui sont très différentes de nous, et ça permet, je pense, d’ouvrir un peu ses chakras et à mon avis c’est intéressant.
Thomas : C’est vrai qu’en dehors du Japon, en Chine il y a Ren Hang qui avait été exposé à la MEP cette année, qui est très particulier.
Laurent : C’est weird, oui. C’est bien de voir ça, je pense.
Thomas : Oui. Donc, la conclusion, c’est qu’on n’a pas réponse. On n’a pas un livre avec toute la photo asiatique. Il va juste falloir commencer par entrer par une porte et creuser ce qui t’intéresse, mais ça va être plutôt plusieurs bouquins petit à petit. Ou juste commencer par Provoke, c’est le plus synthétique que j’ai en tête.
Quand il est question de composition, j’ai souvent l’impression que les personnes qui analysent les photos recherchent des triangles « Oh, regardez le bras du modèle, l’agrafeuse et le poney au second plan, ça forme un triangle ! » La question c’est : pourquoi ? Parce qu’un triangle forme plus ou moins une flèche ? Ou alors c’est un truc tarabiscoté, genre règle des tiers, nombre d’or ou genre de trucs un peu mystiques qui ne vont pas très loin ? Bref, quelle est la place du triangle dans la composition ?
Laurent : Heu… À mon avis, c’est sans doute en grande partie un peu comme la règle des tiers, c’est que quoi que tu fasses, en fait, tu auras toujours plus ou moins trois éléments dans l’image, donc tu vas plus ou moins toujours faire un triangle.
En fait, je pense qu’il y a quand même une « vérité », c’est que quand tu regardes une image, ton regard va d’abord se poser sur quelque chose et ensuite il va explorer le reste de l’image, et souvent il va finir par revenir au sujet initial – enfin, si l’image est bien construite. S’il ne revient pas et qu’il s’échappe du cadre, souvent c’est là qu’on dit que la composition est faible. Même si la théorie de la composition, c’est pfiou, un truc qui prend des bouquins entiers, donc, on ne va pas le faire là.
Du coup, je pense effectivement que tu as tendance à avoir des triangles qui « se forment », de manière purement conceptuelle, où tu as un sujet, un deuxième sujet, peut-être un troisième, où effectivement l’œil va se balader entre les points d’intérêt.
Si tu as trois personnes dans une image, il va regarder les trois personnes. Donc si elles ne sont pas sur la même ligne, ça va faire un triangle.
Donc à mon avis, c’est un truc qui va juste naturellement s’appliquer tout le temps quoi qu’il arrive.
Après, par contre, pour des photos qui sont plus graphiques, où il y a un vrai triangle dans l’image, complet, genre il y a une ombre qui forme un triangle, un truc comme ça, effectivement, comme le triangle a un peu une forme de flèche, ça peut avoir tendance à diriger le regard vers la fin du truc. Je pense à des photos de Roberto Badin, par exemple, dont j’ai fait une interview récemment. Typiquement, dans ses photos il y a des moments très graphiques comme ça, où tu as vraiment un triangle qui va mener vers un truc. Et comme on a aussi l’habitude de voir des lignes de fuite – parce que c’est comme ça qu’on voit –, ça rappelle ça à l’œil et on a tendance à regarder dans cette direction.
Donc il y a une petite vérité, quand même, mais il ne faut pas non plus chercher le triangle partout.
Thomas : Je te rejoins sur l’aspect où on peut les trouver partout. Il y a Eric Kim, qui est un blogueur américain qui travaille sur la photographie de rue, principalement, qui a fait de très bons articles, jusqu’en 2016 à peu près – et après il s’est mis à faire 50 articles par jour en coloriant tout et n’importe quoi – il avait fait un article justement sur le triangle dans la composition, genre « utilisez les triangles dans la composition ! » et il a montré plein d’exemples où il en trouvait partout, et pour moi c’est presque un truc un peu d’Illuminati, en fait, au bout d’un moment.
Laurent : Non, mais, si on cherche, on trouve.
Thomas : C’est comme la règle des tiers. J’ai fait un article assez long sur le sujet, et les gens se comportent un peu comme une religion avec ça. Genre ça doit forcément être là et si tu ne le vois pas, c’est que t’es nul, etc. C’est un peu un truc d’Illuminati au bout d’un moment, où tu vois ça partout.
Laurent : Oui, si tu cherches, tu trouves, quoi.
Thomas : Je pense que ça peut être bien utilisé, comme toute composition bien faite, mais il n’y a pas de vérité absolue.
Laurent : Tu peux faire de bonnes photos sans triangle. En tout cas.
Thomas : Voilà. Ce sera la leçon de cette vidéo, merci à tous.
C’est intéressant.
Honnêtement, je suis sorti de Paris Photo ébloui et nourri, mais aussi épuisé et déprimé. Épuisé par un piétinement de presque 5 heures, par le nécessaire jeu de coudes, par le nombre d’images vues, etc. Mais surtout déprimé par cette pensée : que valent mes images dans un monde déjà si plein d’images, et d’images excellentes, importantes, certaines chères et recherchées, couvrant tous les genres. Sachant que ce qui se trouvait au Grand Palais n’est qu’un fragment de « tout ce qui compte » depuis les débuts de la photo.
Ne faut-il pas être d’une grande prétention à vouloir soi-même faire une œuvre photographique ? Pourquoi tout ce temps passé à créer des images ou des séries, dont probablement tout le monde ou presque se fichera et qui très certainement ne survivront pas ou si peu ? Cela pose plus globalement la question de la motivation.
Comment la conserver ? Que recherche-t-on exactement à travers tout cela ? Cela a-t-il un sens ? Dans quel état j’erre ?
Question connexe : on dit souvent qu’il vaut mieux éviter de trop regarder les réseaux sociaux pour ne pas se démotiver et se comparer, mais aller à Paris Photo, n’est-ce pas encore pire que les réseaux sociaux, car la plupart des images y sont bonnes, fortes, et la comparaison est donc encore plus cruelle ?
Laurent : Il est vrai que Paris Photo, c’est un événement énorme qui est relativement épuisant physiquement, puisque tu as beaucoup de gens, il fait chaud, tu piétines toute la journée, et tu regardes beauuucoup d’images aussi, ce qui est un peu fatigant pour le cerveau. Donc je comprends le côté un peu overwhelming, tu te prends tout ça dans la face. En particulier quand tu n’es pas habitué, je pense.
J’ai plein de trucs à répondre.
Déjà, je le prends à l’inverse de ça. Moi, je trouve ça encourageant qu’il y ait eu des gens qui ait eu le courage d’exprimer leur vision et que, aujourd’hui, qu’on puisse voir des choses qu’ils ont vues, déjà à une époque où on n’était pas forcément nés, et même pour des photographes plus récents, des choses que nous on ne voit pas, parce qu’on n’a pas la même personnalité.
Je pense que c’est encourageant, parce qu’on voit que ce qui reste avec le temps, c’est surtout la personnalité des auteurs plutôt que leurs sujets, au final.
Parce qu’il y a plein de gens qui ont photographié les mêmes sujets que certains, mais il n’y en a que quelques-uns qui sortent du lot, et ils sortent du lot par leur personnalité.
Et tout le monde a une personnalité, en fait.
Par définition. Ces gens-là n’avaient pas un « talent particulier », ils avaient surtout une personnalité qu’ils ont exprimée dans leurs images.
Moi je trouve ça intéressant, parce que justement, pour moi, ça me montre plutôt que, au contraire, c’est accessible à tous.
Alors, accessible à tous, ça ne veut pas dire à tout le monde. C’est-à-dire tout le monde peut le faire, mais… oui, c’est accessible à quelques-uns, enfin… À Paris Photo, dans 20 ans, parmi vous, j’espère qu’il y en aura au moins un qui sera à Paris Photo dans 20 ans parmi vous. Mais il n’y en aura probablement pas mille – enfin, ça m’étonnerait.
Ce serait cool, je pourrais dire : Ouais, Apprendre la Photo vous amène à Paris Photo, mais non, ça n’arrivera pas. ^^
Après, il y a un autre côté, c’est pourquoi on le fait. Moi, je ne fais pas de la photo pour être à Paris Photo. Si j’y suis un jour, c’est hyper cool, et ça ne veut pas dire que je ne vais pas essayer de diriger mon travail photographique vers quelque chose qui va me mener vers plus de visibilité. Parce que quand on veut exprimer un truc, en général, on ne veut pas… Enfin, ça dépend, il y a des gens qui ne veulent l’exprimer que pour eux, coucou Vivian Maier, mais moi, je fais d’abord de la photo pour moi, parce que c’est des trucs que j’ai envie d’exprimer, et qu’à la fin, que j’ai mon travail photographique et que je sors un tirage, je suis content de le voir.
Rien que ça se suffit. En fait, si j’ai juste ça, je suis déjà content de le faire.
Donc, derrière, être à Paris Photo ou pas, dans vingt ans ou dans cinquante, ou après ma mort, peu importe, ça n’est pas hyper grave. Si j’y suis, c’est une addition à ça.
Donc je le fais d’abord pour moi.
Effectivement, on peut se poser la question : à quoi ça sert de le faire ?
En fait, je pense que ça ne sert, par contre, que si on y met sa personnalité.
On revient un peu sur l’opposition qu’il y a toujours entre photo descriptive et photo – je disais narrative avant, mais narrative, c’est presque un peu limité –, photo personnelle.
Si on le fait que pour décrire, et qu’on ne met pas assez de sa personnalité dedans, ou pas du tout, c’est sûr que ça n’a pas d’intérêt. Mais ça, on l’a déjà dit plein de fois.
Mais si on met sa personnalité, je pense que oui. Il y a quand même des chances qu’à un moment ça parle à suffisamment de gens et que…
Et au final, même si ça ne parle qu’à cinquante personnes, ben c’est quand même cinquante personnes ! C’est pas rien, quoi.
Donc moi, je trouve ça plutôt encourageant.
Et par rapport aux réseaux sociaux, pour moi, en fait, c’est beaucoup plus décourageant.
Thomas : Parce que tu as des chiffres.
Laurent : Oui, si tu scrolles sur Instagram, et en réalité, combien de temps réellement tu restes sur chaque photo, sur Instagram ? Même des photos de bons photographes, tu ne les regarderas jamais aussi longtemps sur Instagram, sur le compte de Magnum Photo, que quand tu la vois à Paris Photo dans un cadre.
Thomas : Oui, c’est vrai.
Laurent : Donc, au final, je trouve les réseaux sociaux plus décourageants, parce que si notre seule porte de sortie pour nos photos, c’était les réseaux sociaux, ça voudrait dire que notre seule porte de sortie c’est que quelqu’un, un jour, voie notre photo une demi-seconde sur Instagram et qu’il like.
Il l’aura oubliée très très vite. Tandis qu’un jour, si tu es à Paris Photo, il y a beaucoup de gens qui vont la voir.
Thomas : C’est juste un outil de com.
Laurent : C’est juste un outil de com. Oui, je ne sais pas, je crois que j’ai à peu près fait le tour de ma réponse.
Thomas : J’aurais globalement fait la même, en mieux dit, bien évidemment. 😉
Non, je te rejoins forcément sur ce que tu dis.
Juste sur l’aspect décourageant, ça ne l’est pas forcément, d’aller à Paris Photo.
Je me souviens – alors, ce n’était pas à Paris Photo, c’était dans un bouquin, mais ça aurait pu se passer à Paris Photo – que découvrir le travail d’Eggleston, moi, ça m’avait fait vachement de bien, en fait.
Parce que je m’étais rendu compte que moi, ce que j’aimais faire, eh bien, ça avait déjà été fait avant par d’autres gars, et que c’était pas nul et que c’était pas inintéressant.
Personnellement, j’aime beaucoup m’intéresser au banal dans ma photographie, donc que ce soit dans la vie, etc. c’est quelque chose que j’aime bien. Et quand j’ai commencé à me rendre compte que j’aimais ça, tu vas sur les réseaux sociaux et tu vois que les mecs ils font du 500 px HDR machin, et tu te dis putain, je suis vraiment loin de ça, et peut-être que ce que je fais, c’est nul, ça n’a pas d’intérêt, parce que moi je suis pas là-dedans, tout ça.
Et en fait, quand je suis tombé sur ce gars-là, je me suis dit : ah bon, en fait, il y a d’autres gens qui ont aimé le même truc que moi – qui l’ont fait avant, mieux, etc., c’est pas le sujet. Mais genre, ce que moi j’aime faire, ça a déjà été fait, ça a déjà été développé, ça a plu et ça existe en fait.
Et je trouve ça plutôt bien. Et peut-être, je ne sais pas, il suffit juste que tu aies une personnalité qui s’intéresse à certains trucs, le fait d’aller à Paris Photo et de te dire : ah oui, il y a ce gars-là qui a fait pareil avant, il l’a fait différemment, ça peut te nourrir et te motiver, au final, je trouve.
Après, j’ai déjà eu l’effet inverse, où – ça m’est arrivé plutôt avec la musique, où tu vas sur certains concerts et que tu écoutes les gars jouer, tu te dis : mais je vais jamais y arriver !
Mais ne retenez pas cet exemple, retenez l’autre exemple. Allez à Paris Photo, peut-être que ça vous ouvrira des portes.
Laurent : Oui. Et je rajouterai juste un truc là-dessus, sur le côté encourageant, par exemple, avec « Des oiseaux » de Pentti Sammallahti, qui est un de mes…, enfin, mon livre préféré cette année, à la fin du bouquin, tu vois les dates des photos. Je ne sais pas combien il y a de photos dans le bouquin, mais une soixantaine, sans doute, elles ont été prises sur une durée de quarante ans, un peu plus de quarante ans, je pense. Et le bouquin est hyper bien, mais tu te dis : mais évidemment que je ne fais pas d’aussi bon taf, enfin ! Ça ne fait pas quarante ans que je le fais.
Donc à la limite, c’est encourageant dans le sens où les gens qui ont fait de grosses œuvres, du boulot hyper bon, ben en fait, ils ont juste passé beaucoup de temps. Donc c’est normal si aujourd’hui ma photographie n’est pas du tout à ce niveau-là.
Moi, ça fait même pas dix ans que je fais de la photo, et ça fait, allez, trois ans que j’essaie de faire de la photo qui me soit personnelle. Quatre ans.
Donc évidemment, c’est normal !
Donc c’est plutôt encourageant dans ce sens-là, en se disant : c’est juste logique, il faut juste que je travaille plus.
Thomas : Et plus longtemps. Bossez plus et plus longtemps et bien ! À mon tour ?
Bonjour Thomas et Laurent. Comme vous avez une grande communauté de photographes, ce serait le moment de présenter un défi, à ceux qui sont intéressés évidemment. En 4 ou 5 photos, présenter sa ville ou son village, sa rue ou son boulot, tout ce qui est près de chez lui. Bien à vous. Bernard.
Je te coupe la parole avant que tu ne la prennes, les défis photo, j’en fait déjà sur mon Instagram, avec Richie dont on a parlé tout à l’heure. C’est des défis argentiques qu’on fait régulièrement et on partage. C’est juste dans le but de pratiquer ensemble et de partager autour d’un thème ou d’une contrainte. Ça, on le fait déjà sur les réseaux sociaux. Et ce projet-là, je vais en reparler dans une vidéo prochainement. No spoiler, mais ça va arriver, ne t’inquiète pas, Bernard.
Laurent : Mais sinon, si vous voulez faire ce défi-là, je propose 12 photos à la place de 4-5. Et OK, allez-y !
Thomas : Et vous nous les envoyez, par la Poste.
Comment trouver le moyen d’exprimer ce que l’on veut dire à travers ses photos, au niveau de l’approche du sujet, et/ou du traitement de celui-ci ?
Thomas : Alors, si tu veux, ce que je te disais tout à l’heure, ce n’est pas forcément les questions les plus petites qui sont les plus faciles auxquelles répondre. Là, comme ça.
Alors, j’ai écrit un blog qui…
Laurent : Qu’il lise ton livre, en gros ?
Thomas : C’est ça.
Je pense qu’en étant déjà sincère, personnel et en ne trahissant pas la matière première. Déjà.
En étant sincère, ça voudrait dire : en faisant les choses parce qu’elles te tiennent à cœur et pas en les faisant parce que tu penses que ça va faire des likes derrière, etc. Je pense que ça se sent dans les photos quand les gens sont vraiment investis.
Notamment le travail de Mary Ellen Mark sur les prostituées, qui a passé du temps avec, Depardon qui a passé du temps dans les hôpitaux psychiatriques, etc.
La sincérité, je trouve que ça paye dans ton travail.
Quelque chose de personnel, ça se rejoint un peu, mais vraiment des sujets qui te tiennent toi à cœur et qui sont importants pour toi.
Il y a un exemple d’un lecteur du blog de Laurent qui a commencé à travailler sur le droit des animaux, qui est vraiment parti – on a échangé avec lui – qui est vraiment parti à fond là-dedans, et vraiment ça lui tient à cœur, et je pense que ça se sent dans ses images quand t’es investi dedans.
J’ai dit sincère, personnel et ? J’ai oublié le dernier, c’est pas grave, on verra au rush, mais le dernier était important et…
Laurent : Ne pas trahir la matière première.
Thomas : Ah oui, ne pas trahir la matière première.
Ne pas trahir la matière première, c’est un truc, je trouve, qu’il faut avoir constamment en tête quand on commence un projet, et à toutes les étapes.
Par exemple, j’avance un petit peu plus loin, mais quand on fait un livre, il faut que la forme du livre soit raccord avec la matière première.
Par exemple, pour « Intercités », je n’en ai pas fait de bouquin, mais c’est un projet où je documentais mon trajet quotidien Rouen-Paris-Rouen, si j’avais dû en faire un livre, j’aurais trouvé ça hyper cool de le faire dans un petit format, style 20 minutes, tu vois, les livres que tu prends dans les gares et avoir le même format. C’est ça que j’entends par ne pas trahir la matière première. C’est rester fidèle à ce qu’on photographie.
Je ne sais pas, par exemple, si vous vous intéressez, comme le fait David, aux droits des animaux, la défense du droit des animaux, faire un truc hyper coloré, punchy et hyper clinquant, ça n’irait pas dans le bon sens.
Donc je pense que si tu restes fidèle à toi-même et à ce que tu as envie de faire et aussi à ta matière première, ton sujet, je pense que tu vas vers un truc personnel… je pense qu’en combinant les deux, tu vas vers un truc personnel qui te ressemblerait.
J’ai pas mieux, là, de toute façon. La vérité, j’ai pas mieux.
Laurent : Pour le reste, il faut lire son livre.
Thomas : C’est pas moi qui le dis.
Laurent : Alors, qu’est-ce qu’on a ? Ha ha ! Je pense qu’il faut qu’on la fasse sur ta chaîne, celle-là.
Thomas : Ben, écoute, on y va.