En photo comme partout, on finit souvent par avoir des réflexes conditionnés, le plus souvent influencés par l’environnement culturel photographique (ce que vous voyez tout le temps). Ça peut être très divers : utiliser systématiquement la règle des tiers, faire de la photo de rue uniquement en noir et blanc, prendre des portraits uniquement à l’ombre, etc. L’un deux est de prendre ses photos de paysage au grand-angle, voire à l’ultra grand-angle. Voyons pourquoi faire tout l’inverse peut être profitable à vos images 🙂

Alors attention, les réflexes pavloviens dont je parle plus haut ne sont pas forcément Le Mal Absolu, et vous n’allez pas brûler dans l’Enfer des Photographes si vous en avez (cet endroit mythique où les capteurs sont microscopiques et la lumière toujours mauvaise :P).

Un bon nombre sont basés sur des principes réels (la règle des tiers est un moyen simple de commencer à penser à sa composition, il est souvent plus facile d’avoir un bon rendu de portrait à l’ombre, etc.), et certains peuvent même faire partie intégrante de votre style photographique, si vous les avez choisis de manière consciente. Par exemple, on imagine assez mal Thomas Leuthard photographier en couleurs (il le fait un tout petit peu, mais le noir et blanc est quand même nettement plus sa préférence).

Le souci n’est pas tellement d’avoir des réflexes conditionnés, mais plutôt de :

  • Les utiliser comme solution de facilité : ce qui est facile ne donnera sans doute pas de photo originale.
  • Ne jamais les remettre en question : une pratique peut être bonne la plupart du temps, mais ne pas s’adapter à toutes les situations.

Pendant mon récent voyage aux USA, j’avais emmené un téléobjectif, acheté dans le but avoué de photographier la faune que je ne manquerais pas de voir dans les magnifiques parcs nationaux américains. Comme je n’ai vu que quelques cervidés (sans lumière), et des écureuils, j’ai remplacé mes photos espérées d’ours noirs et de coyotes par des photos de paysage. Et je me suis rendu compte que le téléobjectif était souvent très utile pour avoir une perspective différente.

Rappel : un téléobjectif, c’est quoi ?

Je vous invite à lire l’article plus complet sur la longueur focale pour bien comprendre (et aussi celui sur la taille du capteur), mais en substance, vous avez 3 grands types de longueurs focales (le « zoom », exprimé en mm) :

  • la focale « normale », qu’on dit se rapprocher de la vision humaine. C’est une façon (trop?) simplifiée de dire qu’avec une focale normale, le cadrage est intuitif par rapport à ce qu’on voit à l’oeil nu, et l’image dans le viseur ne semble ni agrandie ni rétrécie, pour vulgariser au maximum.
    C’est une focale autour de 40-50mm en équivalent 24×36 (soit 20-25mm en micro 4/3, et 28-35mm en APS-C).
  • les focales « grand-angle », qui englobent un angle de vue plus large, et qui « dézooment » par rapport à la vision humaine. Ils permettent d’englober un large paysage dans une seule image. Les ultras grand-angles vont encore plus loin dans la largeur de l’angle de vue.
    Ce sont toutes les focales en dessous de 40mm. On parle en général de grand-angle aux alentours de 24mm (équivalent 24×36) et d’ultra grand-angle aux alentours de 16mm (toujours 24×36).
  • Les focales « téléobjectifs », qui ont un angle de vue plus réduit, et « zooment » par rapport à la vision humaine. Ils permettent de se focaliser sur un détail, ou de photographier plein cadre un sujet lointain.
    Ce sont toutes les focales au-dessus de 50mm. On considère en général 90mm (24×36) comme un petit téléobjectif, 200mm comme un gros téléobjectif, et au-dessus de 300-400mm comme un super téléobjectif.

Précision : Je vulgarise à l’extrême ici, pour qu’on se mette d’accord sur le vocabulaire. « Zoomer » et « dézoomer » sont des termes incorrects employés comme ça, mais ils sont destinés à simplifier l’effort de visualisation pour les débutants qui commenceraient par cet article 😉

Le grand-angle, c’est pas automatique

(comme les antibiotiques)

En photo de paysage, on a tendance à utiliser quasi systématiquement un grand-angle, voire un ultra grand-angle. Et pour cause : ce type d’objectif permet d’englober une grande partie du paysage grandiose que vous avez sous les yeux, ce que vous avez souvent envie de transmettre. Seulement voilà, le résultat peut être très bon (voir mon article sur les grand-angles), mais aussi plutôt plat et vide, selon les situations.

Typiquement, le grand-angle fonctionne bien :

  • si l’élément marquant du paysage (montagne, rivière, etc.) est proche de vous
  • si vous pouvez inclure un premier plan, soit avec un élément particulier (une fleur ou un arbuste au premier plan), soit simplement en vous plaçant proche du sol pour renforcer l’effet de perspective
Cannon Beach, Oregon
Cannon Beach, Oregon
Photo noir et blanc Olympic National Park, Etat de Washington (14mm, Priorité ouverture à f/16, 1/60s, ISO 1250)
Olympic National Park, Etat de Washington (14mm, Priorité ouverture à f/16, 1/60s, ISO 1250)

(Cliquez sur les images pour les voir en grand !)

Mais parfois, photographier au grand-angle donne simplement le sentiment d’une grande photo toute vide. C’est le cas si vous avez un large paysage sans trop d’éléments marquants, ou avec un élément trop lointain, et encore plus si vous n’avez pas de premier plan à inclure. J’en donnerai des exemples plus bas.

La solution quand vous rencontrez ce type de situation, c’est d’utiliser un téléobjectif (sans blague, dit celui qui a lu le titre de l’article :D). S’il vous faut juste un petit téléobjectif, vous pouvez le plus souvent simplement zoomer (avec le zoom du kit) pour vous donner un point de vue plus serré. Mais pour des plus grandes focales (type 200mm et plus), il vous faudra plutôt un objectif dédié.

Voyons donc les avantages que donne le téléobjectif en paysage 😉

Il permet de cadrer plus serré dans un paysage « trop grand »

En vrai, avec nos yeux, cette grande plage ou cette chaîne de montagnes infinie sont très jolies. Et on a envie de les saisir en entier. Sauf qu’elles sont trop grandes, et qu’une fois sur un cliché, on voit juste une très petite ligne de montagne, ou une plage dont on distingue à peine les détails.

En zoomant (ou en changeant d’objectif), on peut resserrer son cadrage et ainsi se focaliser sur la partie la plus intéressante du paysage, ce qui donne de suite plus d’intérêt à la photo. Regardez ce que ça donne en utilisant un téléobjectif :

Il permet de compenser l’absence de premier plan intéressant

Parfois, ce n’est pas tellement que le paysage est si grand. C’est juste qu’on n’a aucun premier plan pour faire « rentrer » le spectateur dans l’image. Et du coup, elle manque de dynamisme, on n’accroche pas : juste un nouveau paysage ennuyeux parmi d’autres.

Comme on n’a pas de premier plan, autant ne pas essayer et l’assumer totalement : zoomer sur une certaine partie du paysage permet aisément de se passer de premier plan. L’oeil comprend que c’est une vue prise au zoom, et donc ne s’attend pas à la présence d’un premier plan. Il s’imagine mentalement se focaliser sur une partie très précise du paysage. (oui, mes yeux ont leur pensée propre 😛)

Il permet de se focaliser sur des détails lointains

Au-delà de compenser des défauts de la photo que vous vouliez faire au grand-angle au départ, ce qui un fait un peu « béquille » comme fonction (ce n’est pas très flatteur pour ce pauvre télé), il permet aussi de volontairement se focaliser sur un détail intéressant, que vous aviez repéré mais n’arriviez pas à mettre en valeur.

Typiquement, c’est ce qui m’est arrivé en montant à Glacier Point dans le parc du Yosemite, d’où on voit très bien la vallée. On avait une vue plongeante sur plusieurs cascades, mais elles étaient évidemment à plusieurs kilomètres. Un coup de 600mm, et hop, c’est réglé ! ^^

Cas pratique : il « écrase les perspectives »

Pour finir, on dit souvent du téléobjectif qu’il « écrase les perspectives ». Vous avez le droit de vous gratter le menton d’un air perplexe, ce n’est pas forcément très clair comme formulation.

Pour repréciser, la longueur focale n’influence PAS la perspective dans l’image, comme je l’ai prouvé par A+B dans cet article : c’est la distance au sujet qui influe dessus. Cependant, plus vous avez un grand angle de vue, plus vous avez de chance d’inclure dans l’image des éléments proches de vous, et donc de renforcer la perspective.

Ce qu’on appelle « écraser les perspectives » est en fait assez simple : avec un téléobjectif, on voit moins la différence de taille entre les éléments proches et lointains. Donc par exemple, si vous regardez un paysage juste comme ça, vous voyez l’arbre près de vous assez grand, et la montagne au loin assez petite (alors qu’elle est évidemment plus grande que l’arbre, sauf dans des univers parallèles :P). Une focale grand-angle permet indirectement d’exagérer cet effet, si on se rapproche : les éléments proches paraissent plus grands, et les éléments lointains plus petits.

Le téléobjectif permet l’inverse. Comme il va grossir les éléments lointains, il réduit cette différence de taille : les éléments proches et lointains auront des tailles plus similaires. C’est ce qui permet d’avoir des photos de paysage avec la lune très grosse dedans par exemple. Je n’en ai pas fait moi-même, mais voici un exemple trouvé sur Flickr :

Chuck Coker photo éoliennes coucher de soleil lune ciel rouge
Licence CC BY-ND Chuck Coker

Cet effet produit par le téléobjectif permet aussi de mieux « séparer » les plans, et d’avoir une plus faible profondeur de champ. Laissez-moi illustrer ça par un exemple pratique.

A Coquille Point (c’est le vrai nom), l’endroit où j’ai pris la photo « chance du siècle » avec le goéland qui passe pile au bon moment, j’ai repéré un banc, à 2m du bord de la falaise. Je suis d’abord passé devant sans ciller, puis 3 secondes plus tard une idée m’est venue : photographier l’idée de contemplation de l’océan. Il y avait un truc à faire avec ce banc et les gros blocs fracassés présents dans la baie.

La première idée qui m’est venue (et la bonne) a été de m’éloigner du banc, et de zoomer, pour donner autant de place au banc lui-même qu’aux blocs de roche à l’arrière-plan. Je me suis éloigné de facilement 20m pour ça. Vous remarquerez aussi que je me suis abaissé, pour bien inclure le rocher, et aussi inclure de l’herbe proche de moi, rendue floue par la faible profondeur de champ (oui, tout est fait exprès 😉 ).

Photo banc falaise mer vagues Coquille Point noir et blanc
300mm, f/5.6, 1/1000, ISO 160

Ensuite, je me suis dit que ça ferait un bon exemple pour le blog, et qu’il fallait que je prenne la « même » photo au grand-angle. (oui, je pense à vous même à des milliers de kilomètres, vous voyez ! 🙂 ) Voici ce que ça donne :

Photo banc falaise mer vagues Coquille Point noir et blanc
14mm, f/11, 1/400, ISO 160

Vous voyez qu’on inclut beaucoup plus d’éléments de l’image, y compris le ciel (beaucoup plus lumineux), et que les blocs de roche dans l’océan sont beaucoup plus petits dans l’image (c’est ce qu’il est important de voir). Vu la focale, la profondeur de champ est aussi plus importante. J’aime moins l’image, je la trouve moins rêveuse et évocatrice, plus « descriptive », bref ce n’est pas ce que je voulais montrer. Et pour rappel, c’est ça l’important : que votre image finale (et donc vos choix de réglages et de post-traitement) soit en adéquation avec votre intention photographique.

Voilà, j’espère que tous ces exemples vous auront convaincus de ne pas forcément tomber dans le réflexe conditionné du paysage = grand-angle, et de sortir un peu des sentiers battus, en n’oubliant pas d’utiliser cet outil qu’est la longueur focale pour faire des photos différentes, et qui sait, meilleures ! Et vous, est-ce que vous zoomez en paysage ? Exprimez-vous dans les commentaires !

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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