Cette semaine, Fujifilm a retiré une vidéo promotionnelle mettant en scène Tatsuo Suzuki, un photographe de rue japonais, à la suite d’une indignation générale sur les réseaux sociaux quant à sa manière de photographier. Décryptons ça ensemble.

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Bonjour à tous, ici Laurent Breillat pour Apprendre la Photo, bienvenue dans cette nouvelle vidéo dans laquelle on va revenir sur la polémique de la semaine, qui a BEAUCOUP fait couler d’encre virtuelle.

Vraiment beaucoup.

Je ne reviens pas systématiquement sur les polémiques de la photo, mais là il y a pas mal de choses intéressantes à dire autour de ça, d’autant plus que j’ai lu BEAUCOUP, “vraiment beaucoup”, de choses fausses de tous les côtés.

Si vous n’êtes pas trop sur les réseaux sociaux tant mieux pour vous, vous n’en avez peut-être pas entendu parler, alors, résumons.
Fujifilm a récemment annoncé le Fuji X100V, le nouvel appareil de sa gamme X100, qui est un petit boîtier avec une focale fixe équivalent 35mm (donc relativement grand-angle), et clairement destiné aux photographes de rue, de par sa compacité, sa discrétion, son look, sa visée optique proche des télémétriques classiques et sa focale justement, qui est classique en photo de rue.
Afin de faire la promotion de l’appareil, Fuji a réalisé quelques vidéos avec des photographes utilisant l’appareil, nommées “My milestone” (mon jalon, dans le sens d’une étape importante) ou “My approach” (mon approche).

Les photographes présentés sont assez variés, on a dans l’ordre :

Bert Stephani, un photographe belge qui photographie sa vie quotidienne, sa famille, mais aussi des personnes qu’il rencontre.

Alberto Buzzanca, un photographe italien qui fait des portraits studio de jolies filles.

Nick Turpin, un photographe britannique qui fait de la photo de rue avec des plans plutôt larges. Il est aussi membre du célèbre collectif In-Public, qui rassemble aussi Saul Leiter, Meyerowitz, Matt Stuart, Mark Powell, Gus Powell, Jesse Marlow, Trent Parke, Narelle Autio… Que des grands noms de la street photo.

Ekkarat Punyatara, un photographe thaïlandais pour le National Geographic, qui dans la vidéo documente un couple pour son projet sur les familles LGBT.

Marco Campelli, un photographe italien qui fait ce qu’on peut appeler des “portraits lifestyle”

(Bon, on remarquera quand même qu’il n’y a aucune femme, peut mieux faire, hein.)

Et enfin, le photographe qui nous préoccupe aujourd’hui, Tatsuo Suzuki, un photographe japonais qui fait de la photo de rue, et qu’on voit dans la vidéo photographier les gens de très près quand ils passent à côté de lui. Je vous mets un petit extrait (voir vidéo) pour vous donner une idée.

À la suite de la publication de cette vidéo, comme on est en 2020 et que toute modération est passée par la fenêtre, les internet se sont scandalisés, et Fuji a retiré la vidéo et coupé les ponts avec Suzuki.

Ensuite, beaucoup de monde s’est scandalisé que Fuji retire la vidéo, et ça a tourné en bagarre générale par tweets interposés, comme tous les jours sur un nouveau sujet à notre époque.

Je voudrais tout de suite régler la question de la réaction de Fuji : qu’on soit pour ou contre la technique photographique de Suzuki, Fuji n’avait pas tellement le choix. C’est une marque qui fait face à une marée de réactions négatives sur les réseaux sociaux, et il est très difficile pour elle de réagir autrement, indépendamment de l’opinion que les dirigeants peuvent avoir de ce type de pratique. C’est une entreprise, pas mère Thérésa, ils ne vont pas défendre un truc au risque de perdre beaucoup de clients, ça n’a pas trop de sens pour eux.
Si on est dans le “camp de Suzuki”, je peux comprendre qu’on soit déçu que la marque ne défende pas sa position, mais honnêtement ça n’arrive jamais, c’est pas du tout une bonne idée pour une marque, et je le comprends.

La question la plus intéressante, c’est donc celle de la technique photographique de Suzuki. Sur les réseaux, beaucoup de gens trouvent que ça va trop loin, que c’est une agression, ou prétendent que c’est illégal.

Il y a plusieurs choses à dire là-dessus.

La première, c’est que l’extrême majorité des réactions ont été faites dans l’émotion, et sans se renseigner plus que ça, en ayant au mieux juste vu la vidéo de Fuji, voire juste des captures d’écran, et sans tellement connaître le travail de Suzuki, ou la photographie de rue en général. Parce qu’il faut absolument donner son avis, crier très fort, mais surtout ne pas aller lire quelques articles pour mieux connaître un gars qu’on connaît depuis les 3 minutes d’une vidéo Fujifilm, hein.

Qui est Tatsuo Suzuki ?

Alors, parlons un peu de Suzuki, et essayons de mieux le connaître avant de le juger : c’est donc un photographe japonais, né en 1965, qui est issu de la scène punk. Il a quitté la musique pour la photographie en 2008, et a rapidement réalisé qu’il était surtout intéressé par les gens.
Il a commencé par être attiré par la photographie de sans-abris, qu’il prenait d’abord de loin, mais ça l’a ennuyé.

Il a fini par échanger avec eux et prendre des portraits de beaucoup plus près, qu’on peut encore voir sur son site. Si j’en crois mes sources, il semble donc que la plupart de ses portraits de sans-abris soient consentis.

Prendre leurs portraits et entendre leurs histoires de vie difficiles semble l’avoir un peu fatigué émotionnellement, si je comprends bien ses interviews, et il s’est ensuite plutôt dirigé vers la “rencontre de moments”, dans une photographie de rue plutôt prise en marchant, à la rencontre de ses sujets, en particulier dans le quartier de Shibuya à Tokyo, qui est le quartier des affaires et d’une gare, et est donc très fréquenté et bondé en permanence. Vous avez déjà dû le voir en photo d’ailleurs, c’est un quartier qui est très photographié, notamment par les photographes de rue.

Esthétiquement, son travail est dans un noir et blanc très contrasté, et toujours pris de très près, avec un 35mm. En ça, on peut le rattacher à l’école de la photographie de rue japonaise apparue à la fin des années 60, notamment avec Daido Moriyama qui est le plus connu d’entre eux. En regardant quelques photos de ce dernier, la parenté est évidente. Vous voyez bien qu’il y a une certaine esthétique qui est partagée.


Précisons maintenant que le travail de Moriyama est largement reconnu dans le milieu de l’art, avec notamment des expos à la fondation Cartier pour rester près de chez nous, ou au MoMA de San Francisco.

Suzuki en lui-même n’a pas encore une reconnaissance aussi importante : il a gagné quelques prix, mais à ma connaissance n’a pas encore eu d’expo dans un grand musée, ce qui paraît cela dit assez normal, puisqu’il ne fait de la photo que depuis 2008. Cela dit, il va apparemment publier un livre chez Steidl en mai, qui est un éditeur très prestigieux qui n’accepte pas n’importe qui dans ses rangs (je vous invite à voir le catalogue pour vous en convaincre, mais si je vous dis Robert Frank ou William Eggleston, ça devrait suffire 🙂 ). C’est donc sans doute le début d’une reconnaissance du milieu de l’art pour lui ; ça devrait arriver puisque on commence chez Steidl, et je pense que vite fait il va avoir des expos qui devraient arriver dans les années qui suivent.

Dans tous les cas, il est difficile de nier que Suzuki est un artiste, et qu’on aime ou non son travail, ses images sont fortes et il y a une vraie personnalité artistique derrière.

Maintenant qu’on le connaît un peu, passons au cœur du débat : sa manière de photographier.
Certains disent que c’est une manière de photographier un peu “creepy”, c’est-à-dire louche, suspecte, gênante. Je comprends qu’on puisse le ressentir comme ça, et en même temps on peut aussi se dire qu’au contraire, les sujets sont au courant qu’ils ont été photographiés, contrairement à la photo de rue prise plus discrètement, où les sujets n’ont pas forcément conscience qu’on les photographie. Voire au téléobjectif, ce qui est encore pire.
Je ne pense pas que l’un soit forcément plus “creepy” que l’autre, c’est juste une approche différente, et je pense que selon les gens, on peut préférer l’un ou l’autre : ça dépend si on est davantage gêné par le fait qu’on prenne notre photo dans la rue, ou par le fait d’avoir un appareil proche de soi.

Est-ce une agression ?

D’autres parlent d’agression. Le terme semble un peu fort, puisque la définition c’est :
“Action d’attaquer une personne ou un groupe de personnes de façon soudaine et brutale, et sans avoir été provoqué.”

Parler d’attaque sans même avoir eu de contact physique ça semble un peu exagéré. Je peux comprendre qu’on soit surpris et qu’on n’aime pas, bien sûr, mais je pense que c’est le propre d’une ville grouillante comme Tokyo. Dans les grandes villes, il y a sans cesse des incursions dans notre espace personnel, simplement du fait de la densité de population.

Je ne dis pas spécialement que c’est souhaitable d’ailleurs, hein : qui n’a pas été gêné par quelqu’un d’impoli qui ne fait attention à rien autour de lui, et qui nous met un sac à dos dans la tête dans un métro bondé ? Simplement que s’acharner sur un photographe parce que c’est l’indignation du jour, c’est un peu oublier que c’est quand même une pratique très minoritaire (on y reviendra vers la fin de cette vidéo).

Beaucoup ont également fait la comparaison avec Bruce Gilden, un photographe américain de l’agence Magnum (donc largement reconnu pour son travail artistique), qui photographie les gens dans la rue plus ou moins à la même distance, mais en plus avec un coup de flash. Il y a une vidéo à plus d’un million de vues où on le voit photographier dans la rue, et les réactions étaient les mêmes.

Il faut nuancer le coup de flash, car ça reste en plein jour donc c’est pas aussi éblouissant qu’on le pense. Mais pour moi il est encore plus “in your face” que Suzuki.
C’est évident que c’est désagréable pour les gens, mais on y reviendra ensuite : ça reste un cas très particulier, et les gens s’énervent beaucoup pour un truc qui ne leur arrivera jamais.

Est-ce que c’est légal ?

Ensuite il y a la question de la légalité ou non. Je ne connais pas la loi japonaise sur le sujet, et mes recherches m’ont indiqué tout et son contraire sur le sujet, donc je ne peux rien affirmer là-dessus. Si vous êtes avocat au Japon, n’hésitez pas à mettre un commentaire !
J’ai par contre vu beaucoup de Français crier au fameux “droit à l’image”, en oubliant que

1) ils regardent une vidéo tournée au Japon, donc le droit français ne s’applique pas, puisque (surprise), notre pays n’est pas au centre du monde, et 2) le droit à l’image n’interdit pas de photographier des gens dans la rue sans leur consentement.

Je ne vais pas revenir sur les détails légaux complets ici, je vous renvoie à la vidéo de Thomas sur le sujet qui dit tout (et a été validée par Joëlle Verbrugge dans les commentaires, qui est l’avocate française spécialiste du sujet).

Simplement, pour faire court : on a le droit de photographier des gens dans la rue, dans la mesure où la diffusion des images ne leur cause pas de tort. Par exemple si c’est contraire à la dignité humaine (vous photographiez quelqu’un évanoui dans son vomi un samedi soir). Notez que si vous ne la publiez pas, c’est pas un souci (vous pouvez difficilement porter atteinte à la dignité de quelqu’un avec une photo qui dort sur votre disque dur, hein :P), donc c’est lié à la publication de l’image et au tort que ça cause à la personne.

Faut-il interdire ce qui ne plaît pas ?

J’entends déjà ceux qui vont dire que ça ne leur plaît pas d’être photographiés dans la rue. Je l’entends bien, et vous avez le droit. Ça vous déplaît, personne ne peut vous enlever ça.
Cela dit, dans une société, on n’interdit pas quelque chose parce que ça déplaît à quelqu’un. Sinon, on interdirait rapidement tout, car chacun des 65 millions de Français a des trucs différents qui lui déplaisent.

La loi est faite pour régler les différends entre les gens, mais aussi faire une hiérarchie de ce qui est plus ou moins important pour conserver l’état de droit et la démocratie (vous savez, ce truc cool qui vous permet de râler sur Twitter :D).

Et donc, si on autorise les photographes à faire des photos de rue, c’est pour préserver leur liberté de création artistique, et par là même, leur liberté d’expression, qui est un droit de l’Homme, et donc extrêmement protégé dans la loi, pour des raisons évidentes (démocratie, tout ça).
Donc la loi considère que la liberté d’expression est plus importante que le fait que les gens “n’aiment pas être photographiés dans la rue”. Personnellement, ça me paraît absolument normal, et je ne comprends pas qu’on ne puisse pas être effrayé par une société qui interdirait la photo de rue, qui est un témoignage historique essentiel, parce que quelques-uns sont “gênés”. Mais admettons, on peut ne pas être d’accord là-dessus.

En effet, il existe déjà des limitations à la liberté d’expression en France. Par exemple, le négationnisme : je pense qu’on peut aisément considérer que c’est bon pour la société de pénaliser certains propos.
Cela dit, c’est une vision qui est très française : aux États-Unis, les limites à la liberté d’expression sont très peu nombreuses. On peut considérer que c’est moins bien que notre conception de la liberté d’expression, mais ce n’est qu’un avis : on juge les choix d’une autre culture, et au final, les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients. C’est simplement un choix de société, et évidemment dans l’exemple que je donne, c’est aussi lié à notre histoire. Le fait d’avoir eu notre gouvernement qui a déporté des gens, ça rend forcément le sujet plus sensible et la limite à la liberté d’expression plus utile pour la société.

Comment pourrait-on limiter la photo de rue concrètement ?

Maintenant, admettons qu’on veuille mettre une limite à la liberté d’expression des photographes de rue. Comment faire ?

• On peut tout simplement interdire toute photo de rue sans le consentement des sujets. Dans ce cas, on tue complètement la photo de rue, puisqu’elle se repose sur la spontanéité des situations. Ça peut être un choix de société, pourquoi pas, mais veut-on vraiment que notre société ne soit plus du tout documentée artistiquement ? Personnellement ça ne me semble clairement pas souhaitable, mais si vous pensez que ça ne pose pas de souci, merci de m’expliquer en commentaire pourquoi empêcher des gens de créer des projets artistiques est bon pour la société.

• Ensuite, on peut être moins extrême, et décider d’interdire simplement les pratiques les plus intrusives, comme la photo de trop près. Comment on décide ce qui est trop près ? Chaque personne a une zone d’intimité différente : on a tous connu quelqu’un qui était un peu trop tactile et proche physiquement, ou à l’inverse quelqu’un qui tenait toujours une distance avec nous plus importante que ce qu’on aurait fait. Donc, comment choisir objectivement quelle distance est gênante ou pas ? C’est vraiment difficile comme problème. Est-ce 50 cm, 1 mètre, 2 mètres ? On ne sait pas trop.

De plus, la proximité, ou même l’usage d’un flash, ne sont pas vraiment des indicateurs si fiables que ça de la gêne ressentie. Par exemple Martin Parr, un très célèbre photographe qu’on ne présente quasiment plus, est en général assez près de ses sujets, et met souvent un coup de flash pour déboucher les ombres et créer un rendu contrasté, très saturé, presque pop. Pourtant, sur AUCUNE des vidéos où on le voit photographier, ses sujets ne semblent dérangés, ni même le remarquer, parce qu’il se fond un peu dans la masse, il fait un peu touriste, et je pense que les gens ont l’impression que c’est juste quelqu’un qui a pris une photo au flash de la plage ou je ne sais pas quoi, et, oui, ils ont vu un éclair de flash, mais ça ne les dérange pas tant que ça, en fait, simplement parce que ça ne semble pas dirigé vers eux.

Alors qu’au final, il n’est pas beaucoup plus loin que Bruce Gilden, il y a un éclair de flash aussi, mais comme sa méthode est moins “in your face“, les gens réagissent moins. Alors qu’en réalité, la proximité est la même. Alors comment on définit ça dans la loi ? C’est vraiment extrêmement compliqué.

• Ensuite, on peut limiter la photographie de rue que si elle fait du tort aux personnes. Et là, bonne nouvelle, c’est déjà le cas : par exemple si vous êtes en terrasse peinard alors que vous êtes en arrêt maladie, et censé rester chez vous, et qu’à la suite de ça vous avez des ennuis avec votre patron ou la CAF, ça vous cause un tort, là vous pouvez poursuivre le photographe. Voilà, ça existe déjà. La loi, déjà, punit les gens qui causent du tort aux autres, mais ce n’est d’ailleurs pas spécifique à la photographie.

Bref, ça paraît franchement difficile de limiter la pratique de la photographie de rue, sans piétiner violemment la liberté d’expression. Cela dit, si vous avez une idée qui permet de le faire, lâchez-vous en commentaire, hein. 😉

“C’est pas un débat légal, c’est un débat éthique”

Vous allez me dire “oui, mais Laurent, ça, c’est le débat légal, je veux bien admettre qu’on ait le droit de faire ça, mais c’est pas un débat légal, c’est un débat éthique et moral”.
Je comprends la distinction évidemment, mais on ne peut pas complètement séparer les deux. La morale et l’éthique sont avant tout personnelles : chacun a des conceptions différentes de ce qu’il faut faire ou non, et c’est bien normal. Personne ne remet en cause que chacun ait son opinion là-dessus.
Je vais même vous dire la mienne : je ne ferai JAMAIS des photos d’aussi près que Suzuki, et encore moins avec flash comme Bruce Gilden. Ce n’est pas DU TOUT ma personnalité, je suis plutôt introverti, même si vous ne le voyez pas dans les vidéos. De plus, je ne fais au final plus vraiment de “photo de rue” au sens où on l’entend ici, donc ça ne me concerne même pas directement. Je ne le défends pas pour moi, je n’ai pas de billes là-dedans.
Cela dit, ça reste ma morale personnelle. Et je ne peux l’imposer à personne. Et le rôle de la loi, c’est justement d’accorder un peu les morales personnelles de tout le monde. Par exemple, tout le monde est à peu près d’accord que le meurtre c’est mal. Du coup c’est interdit. Si la majorité pensait que c’était OK, ça ne le serait sans doute pas.
Ça, c’est peut-être trop caricatural pour que vous me suiviez sur l’exemple, mais on le voit davantage sur d’autres domaines : si vous parlez à des Américains, vous constaterez que beaucoup considèrent le droit d’avoir une arme à feu comme un droit fondamental. Alors que la plupart des Français ne toucheront jamais une arme de leur vie et n’en ont rien à foutre.
On peut émettre un jugement dessus, ce n’est pas le sujet ici, mais on voit bien ici que la morale générale de la population influe beaucoup sur les lois.

Donc les questions morales sont très liées aux questions légales, dans la réalité.

On en revient à la question dont j’ai parlé précédemment : faut-il changer la loi pour rajouter une limite à la liberté d’expression, en regard des conséquences que ça a ? Certains peuvent penser que oui, mais globalement je pense qu’on a toujours eu raison d’être TRÈS prudents quand on ajoute une limite à la liberté d’expression.
Surtout qu’il existe une autre loi qui protège la liberté de création artistique, je vous mets la source en description.

Qu’est-ce qui se passe vraiment dans la réalité ?

La dernière chose dont je voudrais parler, c’est qu’il faut redescendre un peu sur terre : la photographie de rue reste une pratique assez minoritaire, à laquelle peu de gens seront réellement soumis dans leur vie.
Vous faire photographier dans la rue ne vous arrivera sans doute pas, et si ça vous arrive, il y a TRÈS PEU de chances que ce soit par quelqu’un qui utilise la même technique que Tatsuo Suzuki ou Bruce Gilden.

Au passage, j’ai juste trouvé un témoignage sur Twitter, qui est en japonais, mais dont il y a une traduction sur un site :
https://twitter.com/tomomi30/status/1225068841622892545
C’est une femme qui a râlé contre Suzuki pour qu’il efface la photo, et il a fini par le faire, même si c’était à contrecœur.

À part celui-ci, on l’a bien vu sur Twitter : personne ne s’est présenté comme victime de cette technique photo. Personne. Les gens se scandalisent pour un truc qui ne leur est pas arrivé, et ne leur arrivera pas.

Sans compter l’énorme ironie de trouver de la violence dans une photo prise d’un peu près, mais de ne voir aucun problème à harceler un photographe sur les réseaux (Suzuki a dû fermer son compte Twitter depuis cette affaire).

Et ça, c’est un grand classique des réseaux sociaux, et d’une attitude d’indignation constante (regarder les tweets de ces personnes est d’ailleurs très instructif sur leur état d’esprit), souvent dans le confort de l’anonymat d’ailleurs : ces gens ne se battent POUR rien, mais CONTRE tout, souvent dans un effet de groupe et de caisse de résonance où tout le monde s’indigne d’un truc qu’ils n’ont même pas vu.

Par exemple, je n’ai vu personne faire remarquer à Fuji que sur les 6 photographes présentés, il n’y avait pas une seule femme.
Et à l’inverse, je n’ai vu personne les féliciter d’avoir inclus un photographe thaïlandais, un pays dont les artistes sont peu mis en avant à l’international, d’autant plus quand c’est quelqu’un qui est sur un projet sur les familles LGBT, qu’il a démarré à la suite d’une loi thaïlandaise qui les discrimine. Mais ça, évidemment, ça fait moins de likes et de retweets.
Bref, la critique est facile, mais l’art est difficile.

Et j’ai un dernier argument choc : Tatsuo Suzuki a un Corgi. Un COR-GI. C’est LE chien le plus mignon. Une mauvaise personne ne peut pas avoir un Corgi.

Et enfin, pour quand même terminer sur une note positive, je tenais à vous présenter rapidement le travail de deux photographes de rue qui, vous le remarquerez, sont également assez proches de leurs sujets :

• Tout d’abord Mellissa O’Shaughnessy (désolé si j’écorche son nom), une photographe de rue new-yorkaise qui s’inscrit vraiment dans la street photography typique, et qui a, je trouve, un certain sens de l’humour assez proche d’Elliott Erwitt par moments. La différence étant bien évidemment la couleur, assez vive chez elle, mais toute en subtilité quand même.

• Et également Andre Wagner, un autre photographe lui aussi new-yorkais, qui photographie en argentique et en noir et blanc. C’est intéressant de juxtaposer les deux, et de voir comme dans la même ville, deux photographes peuvent produire des images si différentes. Avec quand même quelques points communs, notamment la distance au sujet, le cadre, etc.

Voilà, alors, juste avant de finir cette vidéo : elle est plus longue que ce que je pensais faire à la base, mais je pense qu’il y avait plein de sujets assez complexes qui s’entremêlent dans ce débat. J’ai donc voulu faire des recherches approfondies sur le sujet avant d’en parler, pour vous aider à mieux comprendre les problématiques abordées.
Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais merci d’avoir des ARGUMENTS dans les commentaires. J’ai passé 4 heures juste à faire les recherches et écrire cette vidéo, sans compter le tournage et le montage, ce n’est pas pour avoir quelqu’un qui arrive et lâche un truc sans savoir en 15 secondes.
Je sais que c’est globalement pas trop le genre parmi vous (vous n’êtes pas des inconnus sur Twitter quoi), mais comme j’ai eu ma dose récemment, je vais sans doute bannir facilement toute personne qui arrive pour lâcher sa colère sans trop réfléchir 😉
Vous avez le droit de ne pas avoir le temps de faire de recherches, ou de ne pas savoir, mais dans ce cas je vous conseille de plutôt interroger qu’affirmer, ça permet d’avoir un débat sain et serein.

Bref, si vous avez aimé mettez un pouce bleu et partagez-la, et évidemment donnez-moi votre avis civilisé en commentaire !
Si jamais vous découvrez la chaîne avec cette vidéo, vous pouvez vous abonner pour ne pas rater les prochaines : le plus souvent je ne parle pas des polémiques dans la photo, mais plutôt d’artistes photographes intéressants, sans compter les interviews avec des experts.
Je vous dis à plus dans la prochaine vidéo, et d’ici là à bientôt, et bonnes photos !

Sources :

– https://soranews24.com/2020/02/08/fujifilm-removes-promotional-video-after-it-causes-outrage%E3%80%90video%E3%80%91/
– https://www.squal-photographie.com/photographes-de-rue/tatsuo-suzuki
– https://medium.com/mono-mania/tatsuo-suzuki-1080fc12638
– https://fujifilm-x.com/global/stories/x100v-my-approach-ekkarat-punyatara/

 

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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