Thierry Mugler (Monaco 1998), Helmut Newton

Helmut Newton (1920-2004) est un photographe germano-australien célèbre pour ses photographies de mode et ses nus féminins audacieux.

Surnommé le “roi du kink” pour son style érotique et fétichiste, il a marqué le monde de la photo au XXe siècle par son esthétisme sophistiqué et provocant. Ses images mêlent glamour et transgression, représentant souvent des femmes dénudées, puissantes et dominatrices, ce qui les rend immédiatement reconnaissables et souvent controversées. À travers une carrière internationale s’étalant sur cinq décennies, Helmut Newton a su réinventer la photographie de mode, tout en déclenchant débats et fascination autour de ses œuvres uniques.

Autoportrait Helmut Newton
Helmut Newton dans son studio parisien, début des années 1980

Jeunesse à Berlin et exil forcé

Plaque commémorative à Berlin (CC BY-SA 3.0)

Helmut Newton naît Helmut Neustädter le 31 octobre 1920, dans une famille juive berlinoise de classe moyenne (père allemand, mère américaine). Dès l’adolescence, il développe une passion pour la photographie : à 16 ans, il quitte l’école pour devenir apprenti dans le studio de Yva (Else Neuländer-Simon), photographe renommée spécialisée dans les portraits, la mode et les nus. Ce mentorat façonne son regard : Yva réalisait déjà des images de nu audacieuses pour l’époque, et Newton dira plus tard qu’elle fut « une grande photographe et une femme passionnante » qui l’inspira durablement.

Helmut Newton en 1936
Le jeune Helmut dans le studio de Yva (1936)

Mais la montée du nazisme va bouleverser sa vie. En 1938, à 18 ans, Helmut doit fuir l’Allemagne nazie en raison des persécutions antisémites : tandis que ses parents s’exilent en Argentine, lui embarque sur un paquebot en direction de la Chine. Il fait escale à Singapour, où il travaille brièvement comme photographe de presse, avant de gagner l’Australie en 1940. Comme de nombreux réfugiés allemands, il est interné quelque temps à son arrivée puis libéré en 1942. Il s’engage alors dans l’armée australienne en pleine Seconde Guerre mondiale, servant pendant cinq ans comme chauffeur de camion. Cette période de guerre et d’exil marquera profondément Newton : avoir échappé à la tyrannie nazie renforce chez lui un esprit frondeur et un goût de la liberté absolue.

De Melbourne à Paris : la carrière internationale

Démobilisé en 1945, Helmut Newton obtient la nationalité australienne et décide d’angliciser son nom : Helmut Neustädter devient officiellement Helmut Newton en 1946, symbole de son nouveau départ en terre anglophone. Il s’établit comme photographe à Melbourne, où il ouvre son studio et commence à se faire connaître pour ses clichés de mode et de théâtre. C’est là qu’il rencontre June Brunell, actrice et photographe australienne qu’il épouse en 1948. June, qui prendra plus tard le pseudonyme Alice Springs, jouera un rôle important dans son travail – posant comme modèle, l’assistant sur les éclairages et même coachant d’autres modèles. Leur couple soudé (ils resteront mariés jusqu’à la mort de Helmut) n’aura pas d’enfants, consacrant toute son énergie à la photographie.

June Brunell femme de Helmut Newton
June Brunell, 1948 (© Helmut Newton)

Dans les années 1950, Newton rêve de conquérir l’Europe. Après un passage à Londres, il s’installe en France en 1961, au cœur du Marais à Paris. Ce déménagement marque le vrai lancement de sa carrière internationale : très vite, Helmut Newton devient un photographe de mode prolifique, réalisant des séries pour de nombreux magazines prestigieux – en particulier Vogue, avec qui il entame une collaboration de 25 ans qui asseoit sa renommée. À Paris, il développe son style signature et s’impose par ses images audacieuses publiées dans Vogue France, Elle, Queen, Marie Claire, sans oublier des incursions dans des revues plus érotiques comme Playboy. Dans les années 1970, ses photographies provocantes attirent l’attention mondiale et commencent à être exposées dans les galeries et musées, de Paris à New York.

Paris, 1977 (© Helmut Newton)

Au sommet de sa carrière, Helmut Newton partage sa vie entre Paris et Los Angeles, puis à partir de 1981 il se fixe en partie à Monaco tout en continuant de travailler globalement. Infatigable, il publie des livres de photos à succès (White Women, Sleepless Nights, Big Nudes, etc.) et multiplie les projets. En janvier 2004, à 83 ans, il trouve tragiquement la mort à Los Angeles : victime d’une crise cardiaque au volant en quittant l’hôtel Château Marmont, il perd le contrôle de sa voiture qui s’encastre dans un mur. Ce destin dramatique met fin à une vie d’aventures et de création, mais Helmut Newton laisse derrière lui un héritage photographique considérable.

Le style Helmut Newton : érotisme glacé et femmes fatales

C’est au cours des années 1960-70, durant sa collaboration avec Vogue Paris, que Newton affine le style qui le rendra célèbre dans le monde entier. Ses photographies sont hautement stylisées et chargées d’érotisme, souvent en noir et blanc, avec un éclairage dramatique. Helmut Newton aime travailler la nuit, dans les rues parisiennes désertes, s’inspirant de l’ambiance des films noirs – une influence qu’il doit notamment à son admiration pour Brassaï et ses clichés nocturnes. Il en résulte des images au contraste appuyé, à l’esthétique sophistiquée, où chaque détail est maîtrisé pour créer une atmosphère mystérieuse et cinématographique.

Campagne Vogue, 1975 (© Helmut Newton)

L’empreinte de Newton en photographie de mode vient de ce mélange inédit entre glamour, fétichisme et provocation. Il intègre volontiers des éléments de voyeurisme, jouant avec les miroirs, les regards cachés, les mises en scène suggestives. Surnommé le “King of Kink” par le magazine Time, il brouille la frontière entre la photographie de mode et la photo de charme, introduisant des références au fétichisme, au sado-masochisme ou à la domination dans des magazines grand public. Ses scénarios photographiques controversés et hyper-sexualisés, peuplés de modèles sculpturales en talons aiguilles, renversent les conventions traditionnelles de la photo de mode. « J’aime la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût – c’est bien plus excitant que ce prétendu bon goût », revendiquait Newton, qui assumait son attirance pour l’esthétique du mauvais goût chic afin de mieux choquer le regard.

Un trait marquant de l’œuvre de Newton est la façon dont il représente les femmes. Loin d’être passives, ses modèles féminins – souvent de grandes blondes longilignes – affichent une puissance dominatrice. Newton voit dans le corps nu féminin un symbole de force et de contrôle, plutôt qu’un objet de faiblesse. Ses femmes “prennent les devants plutôt que de suivre”, ce sont des êtres libres qui aiment qui elles veulent, comme elles le veulent, avec une vigueur et une assurance totales dans la maîtrise de leur propre corps. Cette vision, remarquablement en avance sur son temps, donne des images où beauté, érotisme et force se conjuguent. Comme l’explique une historienne de l’art, « Newton visualisait des femmes qui mènent la danse ; des femmes pleines de santé, jouissant de la splendeur de leur corps athlétique sur lequel elles exercent un contrôle total ». Cette approche confère à ses photos de nus un caractère à la fois provocant et étonnamment empouvoirant du point de vue de la femme représentée.

Shoe, Monte Carlo, 1983 (© Helmut Newton)

Visuellement, plusieurs motifs fétiches reviennent dans ses clichés : les mannequins de vitrine mêlés aux êtres humains, les accessoires fétiches (chaînes, menottes, corsets), les décors luxueux d’hôtels ou de villas, qui créent un univers immédiatement identifiable. Chaque photographie raconte une histoire suggérée. Newton construit minutieusement la pose de ses modèles comme un metteur en scène : « Ne fais pas la miséreuse, sois sublime… Ne souris plus, prends un air dangereux », guide-t-il ses mannequins, sculptant leur posture jusqu’au moindre détail. Son usage magistral de la lumière achève de définir le caractère de ses personnages, tout en laissant place à l’imagination du spectateur. Cette façon unique de marier esthétique soignée et narration implicite a fait de Helmut Newton l’un des photographes de mode les plus influents de son époque.

Collaborations et œuvres emblématiques de Helmut Newton

Au fil de sa carrière, Helmut Newton a collaboré avec les plus grands magazines et couturiers, produisant des images devenues iconiques de la culture mode. Sa longue association avec le magazine Vogue, d’abord en France puis dans ses éditions internationales, lui a permis de réaliser d’innombrables séries marquantes. À la fin des années 1970, il dispose même d’une quasi carte blanche à Vogue France, où son style noir et blanc audacieux s’impose comme une nouvelle grammaire visuelle faite de lingerie apparente, de poses désinvoltes et de sensualité assumée.

American Vogue, 1975 (© Helmut Newton)

Parallèlement, Newton n’hésite pas à travailler pour la presse dite “légère”. Dès le début des années 1970, il entame une collaboration de près de 30 ans avec Playboy, pour lequel il réalise des portfolios mêlant célébrités et mannequins dans des mises en scène osées. L’un de ses clichés les plus célèbres pour Playboy est le portrait de l’actrice Charlotte Rampling, nue allongée sur une table de dîner avec un verre de vin (Arles, 1973). Cette photo, à la frontière entre la scène volée et la composition étudiée, illustre la fascination de Newton pour les lieux intimes (comme les chambres d’hôtel) et brouille les repères entre reportage et mise en scène. Rampling deviendra d’ailleurs l’une des muses du photographe, tout comme d’autres personnalités féminines fortes qu’il a immortalisées.

Charlotte Rampling, Hôtel Nord-Pinus, Arles 1973 (© Helmut Newton)

En effet, Helmut Newton a photographié de nombreuses stars et égéries de la mode ou du spectacle. Son portfolio compte des portraits ou séries avec des icônes telles que Catherine Deneuve, Grace Jones, Isabelle Rossellini, Claudia Schiffer, Kate Moss, Monica Bellucci ou encore Charlotte Rampling – qui toutes incarnent la femme puissante selon Newton. Ces collaborations avec des célébrités et des top-modèles ont contribué à sa notoriété grand public, ses images frappantes faisant souvent la couverture des magazines.

Catherine Deneuve, 1976 (© Helmut Newton)

Dans l’univers de la haute couture, Newton a également laissé son empreinte. Il a travaillé avec de grands couturiers et griffes de luxe, dont la plus fameuse reste Yves Saint Laurent. En 1975, Vogue Paris lui commande une série de photos pour promouvoir la nouvelle tenue de soirée révolutionnaire de Saint Laurent : le Smoking pour femme. Newton réalise alors une image qui deviendra légendaire : dans une ruelle sombre de Paris, une femme androgyne, cheveux gominés et cigarette aux lèvres, pose en tuxedo noir YSL. Pour l’une des variantes du shooting, Newton fera poser le mannequin nue, simplement vêtue du pantalon et de talons, accentuant encore l’ambiguïté sexuelle de la scène.

Le Smoking (version 2), (© Helmut Newton)

Cette photo du Smoking est aussitôt saluée comme un symbole de l’émancipation féminine mêlé à un style résolument chic et subversif. Elle demeure l’une des œuvres emblématiques du photographe, où mode et provocation se rejoignent parfaitement.

Parmi les autres séries marquantes de Newton, on peut citer son projet “Naked and Dressed” dans les années 1980 : il photographie les mêmes modèles d’abord habillés puis entièrement nus (portant seulement des talons), dans des poses identiques. Ce jeu de comparaison audacieux – publier côte à côte la version habillée et la version nue d’une image – était techniquement très difficile selon Newton lui-même, mais cela lui permit d’explorer l’impact du vêtement sur la perception du corps.

Sie Kommen, Dressed (1981), (© Helmut Newton)

De même, sa série des “Big Nudes” (grands tirages de nus féminins en pied) a frappé les esprits par son échelle imposante et sa célébration sans fard du corps de la femme assumant une pose fière et droite. Newton s’est aussi amusé à expérimenter avec la technologie de son temps, par exemple dans sa série “X-Ray” pour la maison de joaillerie Van Cleef & Arpels : il fit radiographier ses modèles par un médecin pour voir ce que donneraient 3 millions de dollars de diamants aux rayons X – constatant avec humour que les pierres disparaissaient complètement sur la radio, ne laissant visibles que les montures en métal.

X-Ray, 1994 (© Helmut Newton)

Qu’il s’agisse de campagnes de mode, de portraits de stars ou de projets personnels, Helmut Newton a constamment cherché à repousser les limites esthétiques. Son alliance unique de luxe et de lubricité, de sophistication et de scandale, lui a valu autant d’éloges enthousiastes que de critiques outrées au fil des ans.

Polémiques et réception critique

Avec son goût du provocant, Helmut Newton a inévitablement suscité des polémiques. Tout au long de sa carrière, la critique est restée divisée à son sujet : génie subversif célébrant la femme puissante pour les uns, voyeur misogyne pour les autres. Ses photos de mannequins nues en posture dominante, agrémentées d’accessoires fétiches ou placées dans des scénarios équivoques, ont choqué une partie du public, surtout dans les années 1970-80. La question a souvent été posée : ses images sont-elles une forme d’hommage aux femmes ou relèvent-elles d’un pur machisme un peu sordide ?

British Vogue, 1966, (© Helmut Newton)

L’écrivaine féministe Susan Sontag a symboliquement incarné cette controverse. En 1979, lors d’une célèbre émission télévisée de Bernard Pivot (Apostrophes), Sontag confronte Helmut Newton et l’accuse publiquement de produire des images « profondément misogynes » qui réduiraient les femmes à des objets. Newton, peu habitué à se justifier, se défend maladroitement, et l’échange tendu reste dans les annales comme le procès de la photographie newtonienne. Cette critique rejoint celles d’autres intellectuels trouvant son travail trop sexualisé, d’une vulgarité gratuite ou fantasmant une violence érotique dérangeante envers les femmes.

Cependant, de nombreuses voix se sont élevées en défense de Helmut Newton, en particulier parmi les principales intéressées : les femmes qu’il a photographiées. Le documentaire Helmut Newton: The Bad and the Beautiful (2020) donne ainsi la parole à plusieurs de ses modèles célèbres – Charlotte Rampling, Isabella Rossellini, Grace Jones, Claudia Schiffer – et toutes offrent un regard plus nuancé sur l’œuvre du photographe. Plutôt que de se sentir rabaissées, beaucoup disent s’être senties valorisées par Newton.

Isabella Rossellini et David Lynch, 1988, (© Helmut Newton)

L’une fait remarquer que ses photos, loin de masquer le sexisme du monde, en sont le miroir critique et forcent le débat, ce qui à sa façon sert la cause des femmes. Une autre souligne que la prédilection de Newton pour les modèles nues et puissantes révèle en réalité l’admiration profonde qu’il avait pour celles-ci. Toutes décrivent un Helmut Newton professionnel et respectueux, capable de mettre en confiance ses modèles même lorsqu’elles posaient dans le plus simple appareil. Son épouse June Newton elle-même, ainsi que la rédactrice en chef de Vogue Anna Wintour, témoignent de son respect envers les femmes et rejettent l’idée qu’il ait été personnellement pervers ou malsain.

Ainsi, la réception critique de Newton oscille entre condamnation et célébration. S’il a pu être accusé de mauvais goût ou de misogynie, il est également salué pour avoir mis en lumière la puissance et la sexualité des femmes d’une manière inédite. Qu’on l’admire ou le déteste, Helmut Newton ne laisse personne indifférent : il a forcé le monde de la mode à regarder en face ses propres fantasmes et contradictions. Comme le résume un critique, « on reconnaît tout de suite une photo d’Helmut Newton », et ce style unique continue de faire débat bien après la disparition de l’artiste.

Provocation et mise en scène : l’art du scandale selon Newton

Helmut Newton a toujours revendiqué un rapport décomplexé à la provocation. Il aimait se définir avec malice comme un « voyeur professionnel », assumant le regard intense qu’il portait sur ses sujets. Chez lui, la transgression flirte sans cesse avec un certain esprit ludique. Cette dualité – sérieux du scandale et légèreté de la farce – est un véritable moteur créatif dans son travail. Newton a érigé la provocation en principe esthétique, non pas pour choquer gratuitement, mais parce qu’il considérait que bousculer les conventions engendrait des images fortes, chargées de sens. Ayant grandi sous un régime oppressif, il gardera d’ailleurs toute sa vie un esprit espiègle d’anticonformiste, défiant le puritanisme et la censure avec humour.

Sur ses séances photo, Helmut Newton orchestre ses idées comme de véritables scénarios. C’est un metteur en scène du désir et du pouvoir. Chaque détail est planifié : le choix des décors (hôtels de luxe, villas modernistes ou paysages urbains nocturnes), des accessoires (armes factices, laisses, cigarettes…), des poses dominantes ou soumises – tout concourt à provoquer une réaction chez le spectateur. Ses photographies sont souvent pensées comme des tableaux vivants empreints d’érotisme et d’ironie. Newton pousse parfois la théâtralisation jusqu’à s’inclure lui-même dans l’image : dans une série sur les chambres d’hôtel, on le voit ainsi allongé tout habillé aux pieds d’un de ses modèles nues sur le lit, tenant dans sa main non pas un fouet mais… le déclencheur de son appareil photo. Un clin d’œil qui montre bien le jeu de rôles à l’œuvre et le contrôle qu’il exerce sur la scène.

Toujours en quête d’effets choc, Newton n’hésite pas à utiliser des éléments outranciers. Il avait par exemple pour habitude de transporter dans le coffre de sa voiture divers accessoires de bondage pour ses shootings. « Je transporte toujours des chaînes et des cadenas dans mon coffre – pas pour moi, mais pour mes photos – et je ne serre jamais les nœuds très fort », confiait-il ironiquement. Ce goût du scandale étudié ne l’empêchait pas de créer des images d’une grande beauté formelle. Au contraire, c’est dans ce contraste entre l’élégance impeccable de la composition et l’audace du sujet qu’éclate la “patte” Newton.

Helmut Newton savait qu’en matière d’art visuel, provoquer, c’est interroger. En mettant en scène des fantasmes – parfois dérangeants – il obligeait le public à confronter ses propres tabous. Ses photographies, souvent comparées à des scènes de film, laissent le récit ouvert et invitent chacun à imaginer l’avant et l’après du cliché. Cette façon très calculée de titiller l’imaginaire tout en brisant les normes fait de Newton un provocateur certes, mais un provocateur intellectuel. Plus de trente ans après le scandale de certaines de ses œuvres, on réalise que Newton avait anticipé de nombreux débats contemporains sur le regard (masculin/féminin), le pouvoir dans la représentation des corps, ou la question des limites de la sexualisation en art. Son travail navigue sciemment sur cette frontière, faisant de la mise en scène de la transgression un art en soi.

Héritage et influence dans la photographie

Helmut Newton a durablement influencé le monde de la photographie de mode et d’art. Son style inimitable – ce mélange de sexe, de pouvoir et de sophistication visuelle – a ouvert la voie à de nombreux photographes après lui, qui ont tenté à leur tour d’explorer les thèmes du désir, du fétichisme ou de la domination dans des contextes haute-couture. Des artistes comme Ellen von Unwerth, Bettina Rheims ou Steven Meisel ont par exemple, chacun à leur manière, hérité de l’audace de Newton pour renverser les stéréotypes de genre dans leurs images.

Signe de sa reconnaissance artistique, les œuvres de Newton sont entrées dans les collections des plus grands musées du monde, du MoMA (Museum of Modern Art) de New York au Victoria & Albert Museum de Londres, en passant par le Musée d’Art Moderne de Paris. En 1996, la France l’a fait commandeur des Arts et Lettres, saluant l’ensemble de sa contribution à la photographie. Jusqu’à la fin de sa vie, Helmut Newton a continué à recevoir des distinctions et à publier des ouvrages somptueux célébrant son travail.

1995 (© Helmut Newton)

Quelques mois avant sa mort, en octobre 2003, il fait un geste marquant pour son héritage : il fait donation de plus de 1000 de ses photographies à sa ville natale de Berlin. Dans la foulée, il crée la Helmut Newton Foundation afin de préserver et promouvoir l’œuvre qu’il a construite avec son épouse June (alias Alice Springs). La fondation, inaugurée en 2004, siège à Berlin dans l’ancien Kasino du quartier de Charlottenburg, aux côtés du Musée de la Photographie. Depuis, elle organise chaque année des expositions dédiées aux clichés d’Helmut et June Newton, ainsi qu’à d’autres artistes majeurs de l’image. Ce lieu est rapidement devenu une destination incontournable pour les passionnés de photographie, offrant une plongée dans l’univers sulfureux et élégant du maître.

1995 (© Helmut Newton)

Vingt ans après sa disparition, Helmut Newton demeure une référence absolue de la photographie de mode. Son nom continue d’évoquer un style inimitable, fait de mises en scène glamour et d’érotisme audacieux. Si son œuvre fait encore débat, c’est qu’elle a su toucher à des sujets intemporels – le pouvoir du regard, la liberté du corps – avec une acuité et une esthétique qui ne vieillissent pas. Son héritage se mesure autant à l’influence visible qu’il a eue sur les générations suivantes de photographes, qu’à la postérité iconique de certains de ses clichés (on pense encore au Smoking YSL, aux Big Nudes, etc.), entrés dans la culture populaire. Helmut Newton a élargi le champ des possibles en photographie, prouvant qu’on pouvait concilier art et mode, provocation et beauté. À ce titre, son travail occupe une place singulière dans l’histoire de la photographie du XXe siècle.

Anecdotes marquantes sur Helmut Newton

  • Crise cardiaque et virage artistique (1971) : En décembre 1971, en pleine ascension, Helmut Newton est victime d’une crise cardiaque à New York. À 51 ans, cet épisode le fait réfléchir sur ses priorités. Une fois remis, il décide de ralentir le rythme effréné des commandes commerciales. « La compétition acharnée, c’est fini ! » déclare-t-il alors. Durant quelque temps, il abandonne même la photo de mode pour ne plus réaliser que des nus artistiques, affirmant : « je ne photographie plus que des nus, rien que des nus ». Ironie du sort, il avouera s’être vite ennuyé sans la mode – ce qui le pousse à revenir vers la photographie de mode, mais avec une approche renouvelée. Fort de son expérience du nu, il intègre désormais davantage de sensualité crue dans ses images fashion, équilibrant mieux ses projets entre plaisir personnel et travail de commande.
Sumo, livre de Helmut Newton
Sumo : 480 pages, 30 kilos, 50 x 70 cm !!
  • Le livre Sumo, objet de tous les superlatifs : En 1999, Helmut Newton s’associe à l’éditeur Taschen pour publier Sumo, un ouvrage rétrospectif hors norme. Véritable livre-objet mesurant 50 × 70 cm pour 35,4 kg, Sumo compile 400 de ses photographies emblématiques. Pour tenir ce pavé géant, le designer Philippe Starck conçoit un lutrin spécial. Tiré à 10 000 exemplaires numérotés, Sumo est un succès retentissant : l’exemplaire n°1, signé par toutes les célébrités photographiées, se vendra aux enchères à Berlin pour la somme record de 620 000 marks. À l’époque, Sumo est le livre le plus cher et le plus imposant jamais publié – un coup de maître à la démesure du photographe. En 2009, la Helmut Newton Foundation consacrera une exposition d’un an à fêter les 10 ans de cet ouvrage culte.
  • Une fin tragique à Hollywood (2004) : La mort de Helmut Newton elle-même tient de l’anecdote tragique. Le 23 janvier 2004, alors qu’il quitte le parking du célèbre Château Marmont à Los Angeles, le photographe est terrassé par une crise cardiaque au volant de son tout nouveau SUV Cadillac (véhicule qui venait de lui être offert la veille). Sa voiture accélère soudainement et finit sa course dans un mur, après avoir heurté une autre personne sur le trajet. Transporté d’urgence à l’hôpital Cedars-Sinaï, Helmut Newton est déclaré mort peu après, à l’âge de 83 ans. Selon ses vœux, ses cendres ont été rapatriées et enterrées à Berlin, au cimetière Schöneberg, non loin de la tombe de Marlene Dietrich qu’il admirait tant. Cet épilogue dramatique – un accident de voiture sur la côte Ouest, presque comme dans un scénario de film noir – vient clore la vie d’un artiste qui avait toujours flirté avec le danger et la mise en scène, jusqu’au bout.
Plaque commémorative au Château Marmont (Los Angeles)

FAQ sur Helmut Newton

Clément Belleudy
Je connais Laurent depuis le tout début d’Apprendre.Photo. Depuis 2020, je lui prête main forte sur la création de contenu, et comme apprendre est plus efficace en s’amusant, j’ai à cœur de créer des contenus pédagogiques et plaisants à lire, sans jamais trop se prendre au sérieux !
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