Je fais beaucoup de photo de rue, qui est une manière pour moi de m’intéresser à l’humain, qui est toujours au centre de mes images. Comme dans tout, il faut un peu de temps pour commencer à se faire plaisir, et malgré une bonne connaissance de la photo, c’est une discipline qui demande pas mal de pratique.

C’est un domaine dans lequel on apprend toute sa vie, mais je commence à avoir pas mal de pratique, et j’ai donc décidé de partager un peu avec vous ce que j’ai appris jusque là.

La photo de rue : définition

Avant tout, mettons nous d’accord sur la définition de la photo de rue. Photographier des bâtiments, c’est de l’architecture. Photographier des modèles qui posent dans la rue, c’est de la photo de portrait ou de mode.

Willy Ronis, Le petit parisien, 1952

La photo de rue, c’est trois éléments :

  1. C’est fait dans un lieu public : la rue évidemment, mais aussi des gares, aéroports, centres commerciaux, parcs, plage, etc. Tout ce qui n’est pas un lieu privé.
  2. C’est spontané : si c’est une photo posée avec 3 flashs, 2 assistants, et des modèles rémunérés, ce n’est pas de la photo de rue. Cela dit, on peut étendre la définition à des photos qui sont “semi-spontanées” : le photographe a vu quelque chose, n’a pas eu le temps de déclencher, et demande à la personne de repasser au même endroit par exemple. C’est le cas de la célèbre photo de Willy Ronis ci-contre.
  3. Ca implique l’humain, ou une trace de son passage. En général (même s’il y a des exceptions), quand on parle de photo de rue, on s’attend à ce que l’humain y prenne une place (sachant que la rue, pour rappel, ce n’est pas naturel :P).

5 astuces pour dépasser sa peur en photo de rue

Plutôt que de vous parler d’aspects techniques et matériels (qui sont en réalité assez simples et finalement peu importants pour la discipline), je préfère commencer par la vraie première étape, dépasser sa peur. Je distillerai les conseils techniques au milieu 😉

En effet, photographier les gens dans la rue peut être difficile pour beaucoup d’entre vous, en particulier ceux qui sont un peu timides. Ça peut même carrément vous pétrifier, et vous pourriez bien décider d’aller faire une session de photo de rue et revenir complètement bredouille, car vous aurez eu trop peur de déclencher. Sauf si vous suivez mes conseils bien entendu ! 😀

Alors ça évoluera avec le temps bien sûr, mais il faut bien commencer avec quelque chose, et je pense que vous serez preneurs d’astuces pour vous faciliter un peu la tâche, et intégrer le fait que la plupart des gens ne mordent pas 😀 (enfin, sauf si on leur demande gentiment :P)

1. Essayez le portrait posé pour commencer

photo de rue portrait

Alors oui, je l’ai dit avant : faire un portrait posé, ce n’est pas vraiment de la photo de rue.

Seulement voilà, vous pourriez avoir des a priori sur les gens, et penser qu’ils n’aiment pas qu’on prenne leur photo. Rassurez-vous, c’est souvent faux ! Mais comme vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole, cet exercice va vous en convaincre.

Il suffit de vous promener, de trouver quelqu’un qui vous intéresse photographiquement parlant, et de lui demander si vous pouvez le prendre en photo, là maintenant. Alors vous allez me dire « ah mais c’est super difficile ça, c’est encore pire que de photographier sans demander ! »

Oui, peut-être, mais d’abord je suis cruel :D, et ensuite je vous assure qu’une fois que vous aurez fait ça, le reste vous paraîtra plus facile.

Si vous ne savez pas quoi dire, vous pouvez apprendre ça par cœur, et le dire avec un grand sourire :

Bonjour ! Je fais de la photo, je m’intéresse aux gens, et j’ai trouvé votre visage/tenue/coupe de cheveux/manteau en vison/chien intéressant. Est-ce que je peux vous photographier, ça ne prendra qu’une minute ? 🙂

Astuces :

  • Souriez !
  • Essayez de trouver ce qui vous a attiré l’oeil chez la personne.
  • Souriez !
  • Ne dites pas « excusez-moi », ne demandez pas la permission de prendre 30 secondes de son temps, demandez directement la photo.
  • Souriez ! 😀
  • Soyez dynamique dans votre ton et votre approche.

Je vous garantis que ça marche dans 90 % des cas. Pour éviter de stresser quand la personne dira oui, ayez votre appareil réglé auparavant pour du portrait (focale fixe, grande ouverture, etc.)

Si vous avez trop peur des refus, commencez par les gens habillés de façon originale (ou même tout simplement bien habillés), en général ils sont plus à l’aise avec leur image, donc plus ouverts pour se faire photographier.

Proposez d’envoyer la photo par e-mail après, n’ayez pas de complexe ! 🙂

2. Optez pour du matériel discret

Une fois que vous aurez pratiqué ça, on va passer un peu aux choses sérieuses, et essayer de faire de la vraie photo discrète et spontanée. Pour ça, vous aimerez sans doute être discret, pour éviter que les gens que vous photographiez ne vous voient, tout au moins avant que vous preniez la photo.

Donc pour commencer, ne sortez pas avec un gros reflex + un téléobjectif genre 70-200. Vous allez juste être aussi visible que si Marie-Antoinette se baladait avec sa cour au beau milieu de votre ville. Ce n’est pas vraiment ce qu’on cherche ici, vous l’aurez compris 😛

photo de rue discret
J’étais très proche d’eux, et ils ne m’ont pas vu. Ca n’aurait peut-être pas été le cas avec un gros reflex !

L’idéal est un petit boîtier avec un petit objectif. C’est discret, ça ne fait pas « sérieux » (même si on peut prendre d’excellentes images), et du coup les gens font moins attention. Et c’est très bien ! La dernière chose qu’on veut, c’est passer pour un photographe pro.

J’avoue que depuis que j’ai acheté mon hybride, c’est devenu mon boîtier de prédilection pour la photo de rue, et il est hors de question que je revienne au reflex pour cet usage.

Avec le 20mm f/1.7 ou le 45mm f/1.8, il est très discret, et personne ne me remarque (et très franchement, même avec un zoom en fait).

En plus, comme je ne le porte pas à l’oeil pour photographier, je suis plus discret dans mes mouvements aussi : vous vous doutez bien qu’entre pointer discrètement son appareil sur le sujet en regardant sur l’écran, et porter l’appareil à l’oeil, avec le grand mouvement de bras que ça implique, le premier est plus discret.

Depuis, j’ai fait énormément de photo de rue avec, donc les séries que j’ai déjà présentées sur YouTube :


 

Cela dit, vous n’êtes pas obligé de changer d’appareil photo pour faire de la photo de rue. Si ça devient votre domaine de prédilection, je vous conseille fortement d’opter pour un hybride plutôt qu’un reflex, c’est plus adapté. Mais si c’est juste comme ça, vous pouvez déjà opter pour une optique discrète sur votre reflex, genre une petite focale fixe comme un 35mm ou le fameux 50mm f/1.8. Evidemment, si vous avez un compact ou un bridge, c’est déjà discret hein 😉

3. Paraissez normal et inoffensif

photo de rue discrétion
Elle n’a rien capté alors que j’étais à côté d’elle.

Cela dit, quel que soit votre matériel, pour vous faire discret, il ne faut pas avoir l’air louche, et ça passe par plusieurs astuces simples.

La première, l’astuce clé, et ça va vous paraître vraiment tout bête, c’est de paraître confiant. Si vous paraissez effrayé, nerveux, les gens vont le remarquer. Et quelqu’un qui paraît nerveux doit faire quelque chose de mal non ? Alors que vous ne faites RIEN de mal ! Vous prenez de belles images, c’est tout 🙂 (ou en tout cas, vous essayez :P)

Tandis que si vous agissez de façon confiante, comme si vous saviez ce que vous faites, les gens ne vous remarqueront même pas ! Donc gardez un air de nonchalance confiante, et baladez-vous l’appareil à la main comme si c’était tout à fait normal, car… ça l’est !

Une astuce qui marche vraiment très bien, c’est de vous faire passer pour un touriste, ou tout au moins quelqu’un qui photographie autre chose. L’architecture est une bonne excuse en général, faire semblant de photographier un monument, une porte, ou un mégot de cigarette fonctionne très bien 😛

Si votre sujet vous a plus ou moins remarqué (pas en tant que photographe hein, juste votre présence), ne le regardez pas directement, faites semblant de photographier autre chose, et attendez qu’il retourne à ses occupations pour déclencher. Si besoin, prenez quelques clichés de cette porte teeeeellement intéressante 😀

photo de rue discrétion
Bon, lui, par contre, il m’a vu ! 😛 Et comme vous pouvez le constater, je suis toujours vivant 😀 (il ne m’a pas parlé, il a juste continué ses activité, c’est-à-dire prendre un selfie devant un endroit où 3000 personnes sont mortes…)

Les gens ne prêtent pas attention aux touristes en général, donc jouez là-dessus à fond. J’adore faire ça à l’étranger, mais très franchement ça marche tout autant en France. Mettez un bob, un short et des sandales avec des chaussettes s’il le faut 😛
(N.B. : Apprendre la Photo n’est pas un blog de conseils vestimentaires, je décline toute responsabilité en cas d’effondrement soudain de votre vie sociale et amoureuse :D)

4. Essayez des techniques de ninja

photo de rue cueillette
Ici, j’ai vu ce cadre intéressant, et j’ai attendu qu’un personnage se place au bon endroit !

En plus de votre propre apparence et attitude, vous pouvez aussi employer des techniques photographiques particulières pour vous rendre aussi discret qu’un ninja ! Vous serez ainsi le premier ninja en bob/short/sandales du monde ! 😛

Plus sérieusement, il y a 2 astuces principales qui peuvent vous aider.

Tout d’abord, vous repérez un décor intéressant photographiquement (des lignes, des reflets, un message publicitaire qui peut prendre une signification particulière, etc.), et vous attendez qu’un sujet passe devant, au bon endroit. Rappelez-vous, c’est ce que j’avais fait quand je vous avais raconté le making-of de cette image.

L’idée, c’est que les gens ne pensent pas que vous les inclurez dans la photo, et que vous attendrez qu’ils passent. Donc ils vous ignorent. Ou alors ils font l’inverse : ils s’arrêtent pour vous laisser faire la photo ! (ce qui est particulièrement pénible quand on les voulait naturels dans le cadre, mais bon, on y peut rien :P)

La seconde astuce, c’est de shooter depuis la taille : l’appareil autour du cou, mais soit sans viser, soit en regardant discrètement sur l’écran. Si vous avez un écran orientable c’est l’idéal, mais sinon vous pouvez aussi voir en écartant un peu l’appareil de votre taille.

Très franchement, sans écran, c’est difficile. J’avais essayé avec un reflex, et je n’avais obtenu qu’une image que j’aimais bien, pour son flou de bougé et son aspect rêveur qui apportaient quelque chose à la photo. Mais à l’hybride, c’est bien plus simple.

Le seul moyen de réussir sans viser, c’est d’utiliser une focale fixe dont on connaît bien la perspective (un équivalent 40 voire 50mm est le plus intuitif), et d’utiliser l’hyperfocale, ou le système de « zone focus » (qui mérite un article à lui tout seul, je ne vais pas détailler ici).

Mais honnêtement, quand on a la possibilité d’avoir un écran orientable, pourquoi s’embêter à faire ça ?

5. Choisissez bien votre sujet

Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant : si vous « sentez mal » une personne, abandonnez l’idée. Ce que je veux dire, c’est que si vous pensez que la personne pourrait très mal réagir, ou potentiellement violemment, ne prenez pas de risque. Typiquement, les gens visiblement alcoolisés, énervés, etc.

Ne cédez pas à vos a priori non plus : ce n’est pas parce que quelqu’un n’a pas de toit qu’il va réagir violemment, évidemment, en particulier si vous savez expliquer votre démarche. Là encore, ça va sans dire, mais ça va franchement mieux en le disant, vu l’attitude générale de la population à l’égard des sans-abris.
On appelait les grands photographes de rue des photographes humanistes, et l’humanisme c’est ça aussi 😉

Mais dans l’extrême majorité des cas (je veux dire 99,99 % des cas hein !), il n’y aura aucun problème. Vous seriez étonné des réactions des gens (qui de toute façon ne vous verront pas la plupart du temps).

Si vous vous faites repérer, c’est très simple :

  1. Souriez !
  2. Montrez votre appareil photo avec un air interrogateur (vous n’avez même pas besoin de prononcer un mot), l’air de demander l’autorisation. Vous verrez que la plupart du temps, les gens réagissent bien 🙂 (et sinon, et bah passez à un autre sujet, ils courent littéralement les rues !)

Et si vous prenez de l’assurance, il peut être intéressant d’aller voir les gens après le cliché, de leur montrer l’aperçu sur votre écran, et de leur proposer de leur envoyer le cliché (et pourquoi pas un tirage?). Songez que ça ne leur est probablement jamais arrivé, que c’est plutôt flatteur, et que ce sera probablement LE moment de leur semaine qu’ils raconteront à tous leurs amis !

Donc allez-y, si votre image peut vous faire sourire vous ET quelqu’un d’autre, c’est encore mieux 🙂

Et vous, vous avez déjà essayé la photo de rue ? Qu’est-ce qui vous a bloqué, quelles solutions avez-vous trouvées ? Dites-nous tout en commentaire ! 🙂

Si vous voulez aller plus loin et vous former pour faire les photos de rue dont vous rêvez, découvrez notre formation “Oser la photo de rue“. Vous y apprendrez comment :

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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