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Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Apprendre la Photo. Alors, le 17 septembre 2020, l’Institut pour la photographie à Lille nous a invités, Thomas et moi, à animer une rencontre avec nos abonnées, à l’époque où la situation n’obligeait pas encore à fermer les lieux de culture et où, en plus, il faisait beau et on pouvait parler dehors, tranquilles, avec une bière. D’ailleurs, vous vous rappelez peut-être d’avoir vu mon invitation sur les réseaux. Évidemment, tout le monde n’a pas pu venir à Lille nous écouter, et heureusement, parce que 100 000 personnes qui débarquent à Lille, ça se serait vu. Du coup, on avait enregistré toute notre discussion pour éventuellement pouvoir la diffuser et vous en faire profiter, et là, il est temps de le faire.
Alors, par contre, je vous préviens, Thomas est arrivé à la bourre à cause des bouchons et tout ça, du coup il a installé son micro un peu vite, il s’est planté sur un truc technique que je vous passe, et du coup on n’a pas de son propre pour sa voix à lui. C’est le son du micro main qui résonne un peu, ce n’est pas ouf, franchement, mais j’ai décidé de diffuser quand même ces quelques vidéos, parce que je pense que les réponses qu’on a données aux gens qui étaient là peuvent vous intéresser, et puis, de toute manière, vous aurez les sous-titres pour suivre. Et ce n’est pas des sous-titres automatiques de YouTube, qui ne sont pas dingues, on ne va pas se mentir, ce sont de vrais sous-titres faits à la main par Pascale – on la remercie –, et c’est d’ailleurs le cas pour toutes les vidéos de la chaîne, au passage, donc si vous ne pouvez pas mettre le son parce que vous êtes dans les transports et que vous avez un peu de décence, ou que vous êtes dans une réunion chiante au boulot – on vous voit 😉 –, ou que vous êtes sourd ou malentendant, eh bien vous pouvez quand même suivre ce que je raconte. (Non, il n’y a pas d’échappatoire.)
Donc voilà, pour les activer, cliquez sur ce bouton du lecteur YouTube, et vous pourrez suivre ce qu’on raconte, quelles que soient les conditions.
Allez, c’est parti, je vous laisse avec la question du public, et notre réponse.
Participant :
Déjà, je vous remercie, parce que j’apprends plein de choses grâce à vous, et je vous suis depuis 6-8 mois et je suis impressionné de ce que vous faites. Et ça donne vraiment envie d’apprendre la photo et de continuer à ne pas faire que du matériel, mais aussi à apprendre ce que font les autres. Voilà, je voulais vous remercier.
Je voulais vous demander, par rapport aux réseaux sociaux, comment vous vous placez par rapport à ça ? Comment ne pas rentrer dans la course aux likes, et du coup, comment faire attention à continuer à être inventif, à se renouveler, sans faire en sorte de taguer un maximum avec plein de hashtags et pour qu’on soit vu un maximum ? C’est intéressant de mettre des hashtags, que des gens nous voient, parce que quand je mets des hashtags, il y a des gens qui me disent : ah, c’est cool ce que tu fais, et ça donne envie de continuer, du coup. Donc il y a un côté : c’est bien d’avoir un retour sur ce qu’on fait, mais en même temps, ne pas rentrer dans la course aux likes. Et quand je vois certaines photos qui ont des millions de likes qui sont toutes pourries, parce que c’est juste un truc qui fait bien, un coucher de soleil, et puis voilà.
Thomas : Merci beaucoup pour ta question.
C’est un truc sur lequel je gueule beaucoup, les réseaux sociaux, dans mon contenu. Si tu me lis un peu, tu as déjà dû en entendre parler. J’ai un rapport un peu « dual » avec ça. Ça existe, ce mot ?
Laurent : Moi j’aime bien l’anglais « love-hate relationship ».
Thomas : Dans le sens où Instagram peut passer par une plateforme pour montrer tes images, je trouve que c’est vraiment un outil de communication, dans le sens où, pour ça, c’est vachement bien, je suis assez actif dessus, parce que c’est un des réseaux sociaux qui je trouve marche le mieux en termes d’engagement organique, etc.
Alors, la différence entre l’engagement payant et l’engagement organique, c’est que l’engagement organique c’est celui que tu as naturellement, en fait. Et Facebook en 2010, tu ouvrais une page, tu publiais du contenu, tu avais beaucoup de vues, en fait, sur ton contenu. Petit à petit ils ont monétisé la plateforme, parce qu’il fallait des investisseurs et payer la coke, mais la partie purement organique était vraiment très faible, elle est de plus en plus faible. Moi j’ai une page Facebook – je ne sais pas si tu la suis, et on s’en fout –, mais ce qui est publié dessus, c’est automatique, en fait, les posts sont très peu vus et l’intérêt a vraiment baissé.
Instagram n’est pas là-dedans, Instagram, tu as beaucoup de visibilité organique encore, sans trop pousser tes posts. Pour la visibilité du contenu, c’est vachement bien.
Après, l’usage que j’en ai, c’est… Je t’inviterais à lire « Mémoires d’un métier » de Stephen King, dans lequel il raconte comment lui, il crée. Et c’est hyper intéressant. Ça parle de l’écriture, mais ça s’applique à plein de productions artistiques de toutes les sortes. En fait, il explique dedans que quand il crée, il le fait la porte fermée, par contre quand il relit, etc., il le fait la porte ouverte. Alors, je ne t’invite pas à faire ton édition avec tout internet, mais il y a un peu ce côté-là de : je produis pour moi, dans mon coin, seul, avec l’idée que j’en ai, et après j’ouvre la porte et je montre.
Et en fait, quand tu fais ce truc-là, tu n’as pas trop le problème d’être enfoncé par les réseaux sociaux, tu vois. Dans le sens où quand un truc te plaît, qu’il est terminé, que tu le trouves bien, tu le mets en ligne et après ça marche, ça marche pas, c’est pas grave.
Moi c’est ma pratique, c’est-à-dire que, ça doit faire six mois que je n’ai rien mis sur mon compte ; je mets des stories où je joue de la guitare et je fais des blagues nulles. Mais sinon je publie très peu, parce que les trucs que j’ai faits ne sont pas finis, et du coup je les montre pas.
Par contre, je sais que quand je les montre, moi, ça me plaira, et si le retour est bien, tant mieux, s’il n’est pas bien, tant pis, mais au moins j’ai fait mon truc dans mon coin sans trop être influencé par ça.
J’ai autre chose à dire, je l’ai oublié…
Laurent : Donc, je suis d’accord avec tout ce qu’a dit Thomas juste à l’instant. Si tu me suis sur Instagram, tu as dû voir que ça fait quelques semaines ou mois que j’ai arrêté de publier mes propres images et je publie les images de mes élèves à la place. Donc c’est clairement devenu un outil de communication. Je suis là pour montrer le travail de mes élèves, pour dire qu’ils font du bon travail et que derrière les gens achètent mes formations. C’est assumé, tu vois.
Parce que, en fait, simplement, le travail photographique que je fais en ce moment est principalement sur le long terme, que j’ai commencé il y a un an et demi, où là, je viens de faire mon portfolio papier, que je vais faire lire à des gens, qui vont me dire que c’est nul ou que c’est bien, je ne sais pas encore. Et du coup, c’est un travail que je ne veux vraiment pas publier en ligne avant d’avoir un truc un minimum construit, tu vois ?
Donc, peut-être que quand j’aurai fait la lecture du portfolio quelques fois, qui n’est que l’embryon d’un truc que j’espère être un livre un jour, peut-être que je ferai une vidéo à ce stade. Parce que c’est une espèce de marqueur, tu vois, c’est : OK, j’ai fait un portfolio à ce stade-là, j’ai eu tel avis dessus, je vais orienter mon travail de telle ou telle manière, rendez-vous donc dans un an.
Ça, ça peut être intéressant de le montrer à mon audience. Mais entre-temps, mettre mes photos sur le réseau… Oui, effectivement, il y en a qui seront plus likées que d’autres, mais de toute façon, ce que je fais comme boulot, ça va pas être trop liké… C’est un truc qui ne va pas s’apprécier dans le cadre des réseaux sociaux, parce que, pour moi, le gros problème, c’est que quand tu scrolles Instagram – et je suis pareil, hein, tout le monde est pareil –, c’est l’immédiateté qui compte, plus que la qualité de la photo. C’est-à-dire : est-ce que, immédiatement, elle va plaire ? Elle peut immédiatement plaire et être quand même une photo qui, artistiquement, est bien. Salgado, par exemple, ou Steve McCurry, ça plaît immédiatement. Parce que c’est un truc qui correspond à nos canons esthétiques, etc., et du coup on a le réflexe du double tap.
Mais il y a plein de trucs qui sont aussi bien artistiquement et qui par contre n’ont pas l’immédiateté qu’ont certains artistes. Et du coup, le réseau social va plus montrer le critère de l’immédiat que la qualité en soi, en fait. Ce qui, cela dit, peut être un critère. Il y a des gens qui peuvent vouloir que leur travail soit immédiat et que tout le monde le comprenne. Pourquoi pas ? Ça ne peut pas suffire… enfin, si, ça peut suffire si tu veux juste un truc populaire. Mais ça peut être un critère. Moi je comprends qu’on puisse souhaiter que tout le monde capte.
Moi, le projet que je suis en train de travailler en ce moment, clairement, je l’ai montré à ma mère, elle… je pense que… il va y avoir un petit doute, quoi. C’est normal, c’est pas fait pour être évident.
Après, peut-être qu’au fil des pages, tu vois, c’est un truc, plus… j’espère plus qu’en ouvrant le bouquin, au fil des pages tu commences à comprendre : oui, ça, OK, je commence à voir le truc. Mais du coup, c’est pas adapté aux réseaux sociaux.
Donc, voilà, les likes, effectivement, ça peut être un outil de communication, parce que, c’est sûr, si tu as un gros compte Instagram et qu’il y a plein de gens qui voient tes images, forcément ça peut t’apporter des choses. Quand tu as une audience, tu peux toujours faire plein de choses avec ; tu peux vendre des choses, tu peux juste…
Je pense à Jonathan Bertin – parce qu’en gros, je connais un instagrameur, donc je ne pense qu’à lui – qui doit avoir un peu plus de 100 000 followers sur Instagram, et lui, clairement, ce que ça lui a amené, c’est plus des contrats. Il a fait une couverture d’album, etc. Mais pour moi, on va plus sur de la photo professionnelle, dans le sens de commande. Alors, après, lui, c’est du professionnel, mais qui reste quand même un peu artistique, dans le sens où on le recrute pour lui, en fait. On ne le recrute pas pour faire un taf, où ça pourrait être d’autres qui le fassent, tu vois. On le recrute pour lui, donc il y a quand même un côté… Bon, il y a des artistes qui font de la commande, ça s’est toujours fait.
Donc ça peut être utile pour ça, mais oui, je pense que l’audience est plus utile dans un contexte pro qu’artistique. Même si parfois il y a un overlap entre les deux – une superposition, pardon ; des fois je mets des mots anglais.
Oui, voilà, je pense que j’ai tout dit.
Thomas : Oui, en fait, ce que je voulais dire, c’est qu’il faut s’en méfier, pour deux raisons : la première, c’est que, il y a des gens qui en ont beaucoup et qui les payent, en fait. Alors, c’est assez drôle, mais quand tu utilises un peu la plateforme marketing de Facebook, auquel Instagram appartient, tu te rends compte très vite que c’est une régie publicitaire Facebook, pas un réseau social, et tu n’as pas besoin de payer des minecash ou des gens à cliquer toute la journée sur tes trucs ; il y a des outils sur Facebook qui permettent d’augmenter la visibilité de tes publications. Ce qui peut être utile pour plein de choses, parce que tu peux cibler des audiences pour tel ou tel type de publication pour leur suggérer des produits après et tout ça. Mais des gens qui peuvent apparaître avec énormément de likes, il y a ce côté qui peut être acheté, en fait, ce n’est pas forcément une approbation réelle derrière.
Je pense que le plus grand héros, je ne sais pas si vous vous êtes tapé la campagne de pub de David Michigan. Je ne pensais jamais sortir ce nom à l’IPP, c’est la première fois qu’il sera entendu dans un milieu culturel.
Laurent : Et la dernière.
Thomas : Allez checker ça, vous vous taperez une belle barre, c’est mon cadeau, je vous l’offre pour la soirée. Mais c’est un instagrameur qui a beaucoup beaucoup, énormément d’abonnés, et en fait c’est que du vent, quand on regarde ses publications, elles sont peu likées et tout ça. Il y a vraiment ce côté acheté dont il faut se méfier. Et aussi, il faut se méfier du fait que – ça va être tout con, mais Clément Chéreau, il a un compte Instagram. Clément Chéreau, il a été conservateur en chef de la photographie au Centre Pompidou, il a été embauché par le SF MoMA, de San Francisco, et il vient de remplacer Quentin Bajac au MoMA de New York. On peut dire qu’il s’y connaît un peu, et il a un compte Instagram. Donc ce mec-là, il met 10 likes par jour. Voilà. Quand tu as un like de Clément Chéreau, c’est à peu près que ton taf est intéressant, tous les autres, tu ne sais pas qui est derrière. Tu peux avoir juste des lycéens qui ont trouvé tes photos cool, etc., et qui cliquent dessus, ou des gens qui s’y connaissent. Tu vois, tu n’as pas une valeur qualitative que tu peux estimer avec.
Parce que, comme Laurent le dit, tu as des gens qui en ont des millions et qui font des trucs pas ouf – on va arrêter le name dropping ici. On ne va pas balancer des noms plus que ça.
Laurent : On ne va pas balancer les noms des gens qu’on n’aime pas. Enfin, pas pour l’instant.
Thomas : Ah si, on peut faire ça ou pas ?
Participant : Ce qui est cool aussi, c’est d’avoir un retour de ses proches, les amis, frères et sœurs qui disent : ah, c’est cool ce que tu fais. Et du coup, c’est aussi pour ça que je publie, c’est pour leur permettre de voir ce que je fais, et quand je ne publie plus, ils me disent : mais, tu as arrêté ou quoi ? Et du coup, il y a un côté motivant dans le cercle proche.
Thomas : Après, ça ne va pas être le meilleur…
Participant : Je sais que vous avez…
Thomas : Tu peux me tutoyer, sinon c’est horrible.
Participant : Je sais que tu as un avis qui est proche de…
Thomas : Eh bien, en fait, c’est juste que ce n’est pas vraiment des experts, et il y a forcément de l’affect qui entre ligne de compte. Ils ne vont pas te dire : c’est quand même sacrément de la merde.
Alors, je comprends que ça puisse te motiver, mais c’est un peu piégeur. C’est un peu piégeur pour ça. Il y a… Qui disait ça ?… Oussama Ammar, c’est un mec qui avait une pépinière de startups, et qui fait beaucoup de conférences sur plein de choses. Je crois que c’est lui qui dit ça. Il se limite, quand il lance un business, un projet, à deux ou trois personnes à qui il demande leur avis, pas plus que ça, parce que sinon, le problème c’est que – c’est ce que j’ai déjà dû dire quelque part –, c’est que, si tu plais à tout le monde, c’est que tu es dans la moyenne, c’est que tu fais un travail moyen.
C’est un peu exagéré, parce que Salgado plaît à tout le monde et il ne fait pas un travail moyen, mais il y a un peu ce côté-là. Multiplier les avis et compagnie. Ça peut être cool et motivant que la famille t’encourage, c’est hyper bien, mais…
Participant : Je comprends.
Thomas : Mais tu vois le truc, c’est piégeur.
Laurent : en fait, ça dépend aussi de l’objectif de chacun. Il y a la notion que Jean-Christophe Béchet aborde dans « Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique » – qui est un titre vraiment trop long…
Thomas : Ça pourrait s’appeler « Lis ça et ferme ta gueule ».
Laurent : C’est ça ! Parce que c’est une grosse claque, ce bouquin. C’est tout petit, mais il y a tellement de grosses vérités dans ta tête, dedans, que c’est cool.
Et il y a un concept qu’il développe dedans, c’est un petit peu la séparation entre photographe amateur, professionnel et artiste. Et il dit, en substance, que la photographie, c’est la relation entre trois choses : c’est entre l’objet photographié – qu’est-ce qu’on photographie ? –, le photographe, et le public, les personnes qui regardent.
Et en gros, il dit : les amateurs vont mettre l’objet photographié avant tout, c’est-à-dire qu’il faut que la photographie représente correctement ce sujet-là ; le professionnel va mettre le public avant tout, puisqu’il vend sa presta, donc il est là pour satisfaire le client ; c’est tout à fait logique ; et l’artiste va mettre lui avant tout. Si ça plaît au public, cool. Si ça représente bien le sujet, cool, mais ce n’est pas fondamental.
Et du coup, ça dépend vachement de ton but, au final. Et tu vois, les réseaux sociaux, finalement, pour un artiste, oui ça peut servir à faire sa com’, mais dans l’absolu, que ce soit aimé ou pas, ce n’est pas hyper important, parce que lui, ce qui lui importe, c’est d’exprimer qui il est, dedans.
Pour un amateur, à la limite, c’est bien, mais de toute façon, un amateur qui a un petit compte, il ne va jamais avoir non plus des centaines de likes – enfin, il est peu probable qu’il ait demain 100 000 followers, tu vois. Ça peut arriver, mais enfin…
Et par contre, le professionnel – et c’est ce que je disais avant, finalement, c’est que parfois il y a des amateurs qui vont avoir des comptes Instagram qui vont grossir et qui vont se transformer au bout d’un moment en pro. C’est qu’on veut satisfaire le public d’abord, parce qu’il faut aussi continuer à nourrir les likes. C’est-à-dire que si on a fait 2 000 likes la veille, il faut qu’on fasse 2000 likes le lendemain, si possible un peu plus ; donc il y a toujours une espèce de course, comme ça. Et du coup, il faut plus satisfaire le public. Ce qui n’est pas mal en soi, c’est juste de la photo professionnelle. C’est que d’une manière ou d’une autre, on satisfait un certain type de public. Avant de se satisfaire soi. Après, si on arrive à faire les deux en même temps, tant mieux ! Mais dans l’absolu, tu as toujours une priorité. Il y a toujours un truc dans ta tête que tu vas mettre avant. Forcément.
Thomas : Laurent parlait de comment marchent les artistes, il y a un exemple de ça qui est hyper drôle – tu devrais le suivre, parce que ça va te détendre. Le… Je ne sais pas si vous connaissez Stephen Shore ? Si ce n’est pas le cas, on arrête tout de suite et on va tous à la bibliothèque. Vous connaissez Stephen Shore ? OK, posez vos affaires.
Stephen Shore fait partie des pionniers de la photographie américaine en couleur. Ces photographies ont été achetées par le MoMA quand il avait 14 ans, et c’est un des tout premiers à avoir été exposé en couleur, là-bas. Un peu après Eggleston, mais… Ah oui, non, ça ne déconne pas… 14 ans… Moi je faisais autre chose avec internet et lui il était au MoMA. Chacun ses priorités, je regrette pas.
Tout ça pour dire que Stephen Shore, il est à peu près au summum de la reconnaissance photographique. Très tôt dans sa carrière, il a eu des travaux qui ont beaucoup marché, parce que dès qu’il a eu la vingtaine, il a fait « American Surfaces » qui est un livre sur la vue, en fait, sur la sensation de voir, où il a essayé de voir le monde par ses photographies, de se rapprocher le plus possible de comment, la sensation physique de voir.
Laurent : Qui vient d’être réédité, d’ailleurs.
Thomas : Qui vient d’être réédité et qu’on trouve au Furet du Nord, qui est pas mal. D’ailleurs, Richard, regarde la vidéo, Richard, je sais que tu aimes ce livre.
Stephen a fait ça, et après il a fait « Uncommon Places », qui est un peu l’inverse, qui dépasse la vue même, parce qu’il a photographié de l’environnement urbain à la chambre photographique, aux États-Unis, et là pour le coup, c’est l’inverse. C’est-à-dire, ça ne recrée pas du tout la sensation de voir, mais c’est des images qui sont, pas très grandes, c’est pris à la chambre donc ça fait des grands négatifs qui sont très détaillés et c’est assez loin de la façon dont, nous, on perçoit le monde.
C’est-à-dire quand tu regardes « American Surfaces », tu vois les choses comme lui les voyait, vraiment, tu t’approches, tu regardes, tu vois plein de détails que lui n’a pas vus à la prise de vue.
Donc, bref, Stephen Shore est un monument de la photographie contemporaine, il est encore en vie, il a écrit « Leçon de photographie », qui est un bouquin de cours hyper cool, qui est édité par Phaidon, je crois – j’en ai fait un résumé sur le blog, si tu veux le lire, parce que je ne suis pas sûr que le livre on puisse le trouver. Donc vraiment un monument. Et il y a une conférence de lui avec Gregory Crewdson qui l’interviewe pendant le confinement, c’est très cool. Bref.
Donc, un monument, et ce gars-là il a un compte Instagram – tu vois, je reviens où on était. Il y avait un fil ! Je n’étais pas du tout perdu.
Donc ce mec a un compte Instagram, et c’est ridicule, on dirait le compte de ma grand-mère. Genre, il fait des photographies de son chien, des feuilles, il est vraiment… Il s’en tamponne, et en fait, je pense que dans dix ans il va nous dire : il y avait un projet, regardez, il y avait un sens, je me fous de votre gueule depuis dix ans, y a un truc.
Moi, je me dis que si ce gars-là il s’en fout complètement d’avoir un compte qui marche, etc., il fait des photos de son chien, il est content quand ses voisins disent que son chien est beau, je pense qu’il faut se détendre. Il faut suivre Stephen Shore. Mais au bout de quelque temps, ça devient vite ennuyeux de voir des salades et des tomates, mais à part ça, c’est plutôt cool.
Je suis au max, là, faut que j’aie une autre question.
Laurent : Je pense que, oui, c’est le moment, on le sent, c’est le moment pour une autre question.
Il faut se foutre de la critique destructrice. Au final, c’est surtout ce qui nous empêche d’être l’artiste que nous voulons être. Les likes sont là pour gratifier les personnes en manque d’attention. Rien de plus.