“Faire une photo, c’est à la fois chercher un contact et le refuser, être en même temps le plus là et le moins là.”
Ainsi parle Harry Gruyaert, l’incroyable photographe que je vous présente aujourd’hui.

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“Faire une photo, c’est à la fois chercher un contact et le refuser, être en même temps le plus là et le moins là.”

L’incroyable photographe d’aujourd’hui s’appelle Harry Gruyaert, il est belge et il naît en 1941 à Anvers, en Belgique. Il grandit entouré d’appareils photo et de caméras 16 mm, son père travaillant chez Gevaert, société belge qui fabriquait des pellicules et du papier pour la photographie et a ensuite fusionné avec Agfa. Il a donc toujours voulu faire de la photo, et étudie à l’École de Photographie et de Cinéma de Bruxelles jusqu’en 1962.

Il quitte rapidement la Belgique, dans laquelle il trouvait qu’il ne se passait rien culturellement, et voyage de par le monde. Il est rapidement embauché pour le magazine Elle à Paris, où il fait de la photo de mode pendant un temps pour gagner sa vie, mais dont il se désintéresse rapidement.

Il deviendra membre de la célèbre agence Magnum en 1981, malgré les doutes de certains membres.

Mais c’est en 1974 que sa carrière d’artiste prend forme, avec sa série TV shots. Son poste de télé, quand on en tord l’antenne, produit des couleurs étranges, ce qui lui rappelle le pop art qu’il a découvert à New York.

Pendant qu’un assistant bouge l’antenne pour lui, il photographie alors des bouts de l’écran en macro, notamment lors des JO de Munich et sa dramatique prise d’otages, ainsi que les dernières missions Apollo sur la Lune.

Plus que le contenu, c’est la couleur qui ressort de ces images. Gruyaert dit aimer regarder la banalité avec humour, mais c’est aussi une manière pour lui de retranscrire la puissance de lavage de cerveau de la télévision qui l’effrayait, et de faire le portrait d’un pays à travers la télé.

Je trouve que ce travail prend tout son sens avec le temps, et reste comme un témoignage d’une époque déjà révolue. Pensez-y quand vous photographiez : ce que vous voyez comme banal aujourd’hui ne le sera pas aux yeux des générations futures.

Si ce travail peut encore en laisser certains perplexes aujourd’hui, même parmi vous je m’en doute, il préfigure le génie de Gruyaert dans l’utilisation de la couleur. Avec Joel Meyerowitz, Saul Leiter, William Eggleston ou encore Stephen Shore, il fait partie d’un courant de photographes qui donneront à la couleur en photographie ses lettres de noblesse.

Son œuvre sera marquée par ses voyages, notamment au Maroc, en Inde, aux États-Unis, au Japon, en Russie, et même en Belgique, dont il finira par maîtriser la lumière.

Avant d’en parler plus longuement, je vous laisse regarder quelques images :

Car la force de Gruyaert est sans doute dans sa capacité à trouver comment sublimer les lumières très variées des différents pays qu’il a visités.

Qu’il soit dans la lumière contrastée du Maroc ou de l’Inde, ou dans les teintes plus douces et plus froides de la Belgique ou de la Russie communiste, son utilisation de la couleur reste toujours juste et subtile.

Alors comment identifier ce qui fait la patte Gruyaert ? Tout d’abord, il photographie le plus souvent dans un contexte citadin, mais reste éloigné des grandes villes, tout au moins en apparence : ne cherchez pas de photo prise dans l’agitation de la cinquième avenue à New York, ce n’est pas le style de la maison.

Visuellement, son style se reconnaît souvent à l’utilisation de la couleur et des ombres : de grands aplats sombres, souvent créés par la lumière de fin de journée, contrastent et mettent en valeur les couleurs de l’image : murs ocre du Maroc, le bleu d’une moquette d’aéroport ou de la mer du Nord, le rouge d’un néon, d’une porte de garage ou d’une table de train.

Pour Gruyaert, la couleur est au centre de la construction de l’image. Pour lui, le noir et blanc permet une relation plus directe avec les gens, mais si on fait de la couleur, il faut que ce soit primordial.

Ses images sont construites pour proposer différentes couches de compréhension : la composition, mais aussi un certain esprit de l’endroit, et un moment précis dans le temps. Pour lui, ses images disent quelque chose sur leur époque et prennent une profondeur grâce à ça.

Vous remarquerez également que l’humain est souvent présent (ou alors sa trace), mais qu’il est le plus souvent une simple silhouette, un personnage dans une scène.

En effet, Gruyaert s’inscrit dans l’opposition de la tradition des photographes humanistes à la française, et se sent plus proche des photographes américains : pour lui, tous les éléments de l’image ont la même importance, que ce soient le paysage, les objets présents ou les personnes.

Et donc, ce ne sont pas les visages qui l’attirent, mais plutôt une attitude : ce qui compte pour lui, c’est la composition et l’impact de l’image.

Bref, si vous souhaitez améliorer votre regard sur la photographie couleur, je vous conseille vivement de vous intéresser de plus près à l’œuvre d’Harry Gruyaert.

Le meilleur moyen pour ça est sans doute le catalogue qui a été édité à l’occasion de son exposition rétrospective à la Maison Européenne de la Photographie, et qui a servi à illustrer cette vidéo. La qualité des photos est incroyable, et c’est un de mes livres photo préférés, je vous encourage vivement à l’ajouter à votre collection !

Plus récemment, Gruyaert a sorti East & West, un double livre consacré d’une part à ses photos réalisées à Los Angeles et Las Vegas en 1981, toutes en couleurs vives et en contrastes, reflets d’une Amérique dans son âge d’or, et d’autre part à celles réalisées en Russie en 1989, au crépuscule de l’URSS, toutes en bleus et verts pâles.
Le contraste entre les deux est saisissant, et leur réunion dans un même livre permet de prendre conscience de l’incroyable maîtrise de la couleur qui caractérise son travail, dont je vous laisse admirer quelques dernières images

Je vous mets également en description les sources qui m’ont servi à préparer cette vidéo, notamment l’article très complet de Thomas Hammoudi, qui m’a gentiment autorisé à m’inspirer de son travail, surtout qu’on s’est rendus compte qu’on avait beaucoup de sources similaires 🙂

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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