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Bonjour à tous et bienvenue dans cette nouvelle vidéo, premier épisode de la série « La photo aujourd’hui ».

Je pars à Marseille pour aller à la rencontre d’un couple de photographes, Pauline Alioua et Chris Garvi, et parler de leur travail.
On se retrouve là-bas.

Pauline, Chris, merci beaucoup de m’accueillir pour cette discussion – j’allais dire interview, mais c’est plus une discussion, je pense.

Pour commencer, est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Pauline : Merci à toi d’être venu. Je m’appelle Pauline Alioua, j’ai 33 ans (c’est ça), j’habite à Marseille depuis 4 ans.
Je suis photographe amateur – je ne sais pas trop comment le dire.
À côté, j’ai un travail, je suis agent immobilier sur la ville de Marseille. Voilà.

Chris : Alors, Chris Garvi, je suis professeur d’anglais en lycée professionnel, et photographe amateur le reste du temps.

Laurent : OK. Vous avez aussi publié des livres. Vous ne le dites pas parce que vous êtes modestes, mais on y reviendra juste après.
J’ai envie de commencer par vous demander : pourquoi avoir choisi la photographie ? Qu’est-ce que ça vous apporte ? Pourquoi la photo et pas autre chose ? Parce qu’il y a plein de manières de s’exprimer, au final.

Pauline : Moi, la photo, parce que j’ai toujours aimé bouger, voyager, c’est quelque chose qui m’a été transmis par mes parents, le goût du voyage. C’était une manière très naturelle de garder un souvenir de ce que je voyais, et puis c’était pour moi le médium parfait entre le cinéma et la littérature. Ça m’a paru assez évident, en fait, depuis le début, de choisir ce médium et pas un autre.
Je ne suis pas douée pour le dessin. C’est ce que je vois qui fait ce que je suis, je crois, donc, voilà, c’était évident.

Chris : Quant à moi, j’ai eu du mal, vraiment, à identifier le moment, le moment qui a été déclencheur, où j’ai commencé la photographie. Mais je pense que c’est la découverte du travail de Willy Ronis.

Laurent : OK. Donc c’est vraiment une influence…

Chris : Oui oui, absolument. C’est vraiment ce travail que j’ai découvert, à la fin du lycée. Je pense que c’était dans un livre que j’avais chopé dans une bibliothèque, et c’était vraiment le moment déclencheur. Et je me suis dit : voilà, je veux faire ça. Je veux faire les photos de Ronis.

Donc au départ, je faisais beaucoup… j’ai tenté de faire du mimétisme, de copier les images de Ronis.
Et depuis je n’ai jamais arrêté la photographie. Ça fait plus de 20 ans que je photographie.

Laurent : Oui, ça fait un moment déjà.
Du coup, j’ai envie de vous demander, avant de parler de votre travail commun – parce qu’on va y revenir, mais c’est, je pense, un aspect important de ce que vous faites –, mais avant, pour vous individuellement, comment se passe la genèse d’un projet photo ? L’idée, d’où vient l’inspiration, sur le travail photographique derrière, ou purement sur la création à la prise de vue, l’édition ? Voilà, comment ça se passe pour vous et d’où ça vient ?

Pauline : Pour mon travail personnel, je pense que ça vient… je pense que c’est difficile à identifier de manière consciente. Je pense que ce sont des choses qui me sont venues en vivant, tout simplement. En m’informant sur… le monde d’aujourd’hui, ou ce que je…
C’est assez dur à identifier. Presque, oui, ce sont des choses que j’ai en moi, que j’ai envie de travailler, que j’ai envie de creuser. Alors, ça peut être en rapport… moi et mon environnement, ou moi et ce que je vis au moment où je commence à photographier. Presque ce sont des choses qui se répètent, ce sont des images que j’ai en tête et qui, à force de prendre mon appareil et de me balader, etc., ce sont des choses qui reviennent comme une espèce de récurrence, et c’est à ce moment-là que je me dis : pourquoi pas approfondir ? Voilà.

Laurent : D’accord. Donc tu sens qu’il y a quelque chose qui revient et c’est… au bout d’un moment ça finit par devenir : tiens, c’est quand même marrant.

Pauline : Oui, voilà, c’est ça. Ça revient, et pourquoi ? Et qu’est-ce que je peux en dire de plus ? Où est-ce que ça peut me mener ? Voilà. Ça naît d’interrogations, plus que de…

Laurent : Tu penses à un projet particulier quand tu dis ça ?

Pauline : Eh bien, peut-être le premier livre que j’ai fait, « Phantomatic », c’était une série que j’ai faite après un événement, une séparation dans ma vie personnelle, et j’ai eu envie de l’exprimer à travers des images qui seraient plutôt des analogies avec ce que je ressentais à ce moment-là. Et qui m’ont aussi permis de guérir, de comprendre, d’avancer, en fait.
Après, oui, j’ai un projet qui s’appelle « X », qui est sur l’inconnu. Alors, par exemple, c’est un thème qui est un petit peu étrange, mais en tout cas j’ai eu une prise de conscience ; je me suis rendu compte, déjà, que j’avais plus de facilité à photographier dans des lieux qui m’étaient inconnus.
Plus je reste dans une ville, moins j’ai de facilité à prendre des images de là où je suis, et je me suis rendu compte, en fait, que ce que j’aimais, je crois, c’était ça : ne pas connaître et me laisser surprendre. Donc j’ai commencé à faire quelques images là-dessus, et puis finalement, c’est devenu un projet que j’ai alimenté, et voilà.

Chris : Oui, alors, personnellement, j’ai deux manières de travailler qui sont assez systématiques et que j’ai déjà identifiées.
Donc, soit, en effet, le projet vient en amont et j’ai une idée d’où je veux aller. Donc là je sors, j’ai mon idée, j’ai un titre et j’ai une trame narrative. Et là, je sors faire des images.
Ou alors c’est l’inverse : les images vont dicter, en fait, en série, le projet sur lequel je vais travailler après, par la suite, en éditing.

Laurent : Tu as des exemples concrets ? Parce que je vais afficher des photos, comme ça les gens verront de quoi on parle.

Chris : Oui, bien sûr. Alors, le dernier en date, c’était un travail que j’ai fait à la chambre photographique, en noir et blanc.
Depuis quelque temps, je faisais des photos avec cette chambre sans vraiment… Je sentais qu’il y avait des photos à faire, mais sans en comprendre l’aboutissement, en fait.
Ce projet s’appelle « Je t’attendrai sur une autre planète ».
C’est un poème d’amour. Et donc tout à coup, ces photos ont pris tout leur sens, de par le titre qui est venu, mais après, en aval, et pas en amont.

Par contre, pour donner l’exemple contraire, j’ai travaillé sur un projet qui s’appelle « Je marcherai le long de l’Huveaune », et là, concrètement, donc c’est une marche le long de l’Huveaune, qui est une rivière qui traverse Marseille, et donc toutes les images que j’ai faites sont parties de l’intention de photographier ce qui se passait le long de cette rivière, de la source à la fin de sa course dans la Méditerranée, ici à Marseille.

Laurent : D’accord. C’est vraiment deux manières différentes de travailler.

Chris : De travailler et aussi, pour chaque projet, je vais utiliser un format différent. Ça va être le Leica, ça va être un moyen format, un 6×6, un 6×7, une chambre.

Laurent : OK. Donc ça redémarre un peu…

Pauline : Ça dicte un peu ta manière de travailler.

Chris : Ça va complètement dicter ma manière de travailler, et c’est évident que quand je travaille à la chambre, ce n’est pas du tout la même chose que de travailler au Leica, à l’instinct, de manière furtive, rapide, etc.

Laurent : OK. Et il y a des inspirations qui viennent aussi d’autres photographes ou… ? Pauline a parlé tout à l’heure du cinéma, et j’ai cru comprendre que chez toi, c’est quelque chose qui aussi te porte, je pense, visuellement.

Pauline : Oui, moi, beaucoup plus personnellement que la photo. J’ai une culture photo que j’ai développée, voilà, mais beaucoup plus depuis que je connais Chris. D’ailleurs je te remercie. Mais moi, c’est plutôt le cinéma qui m’a forgée, enfin qui a construit mon imaginaire, mon inconscient visuel. Oui, c’est le cinéma plutôt. Étrangement.
Enfin, pas étrangement, mais…

Laurent : Non, pas si étrangement.

Pauline : Non, pas étrangement, mais disons que j’aurais pu vouloir faire du cinéma. Je ne suis pas contre, hein, après c’est une autre configuration. Faire du cinéma, c’est aussi travailler en équipe, etc.

Laurent : C’est vrai que le cinéma tout seul, c’est plus compliqué.

Pauline : Ça demande des qualités plurielles, alors que la photo, c’est un appareil et puis ses yeux, et puis ça suffit. Mais oui, c’est plus le cinéma.
Après, voilà, je me construis davantage de culture photo autour des livres de Chris, et puis on élargit notre bibliothèque.

Laurent : Et toi, Chris, tu as démarré avec Willy Ronis qui a été le premier qui t’a inspiré, je comprends bien, et est-ce qu’aujourd’hui il y a certains photographes qui t’inspirent vraiment, visuellement, mais même dans la démarche, ou dans d’autres aspects où il y a vraiment certains photographes que tu sens que dans ton travail il y a une trace ?

Chris : Oui oui. C’est évident, d’abord, que les photographes humanistes comme Ronis, Cartier-Bresson, etc., continuent de m’influencer. C’est évident. Mais après, par la suite, oui, il y a eu toute l’école américaine, Stephen Shore, Sternfeld, Meyerowitz, donc tous ces photographes qui m’ont influencé et continuent de m’influencer.
Mais l’influence, aujourd’hui, elle vient notamment de la fréquentation des livres.

Laurent : Oui, il y en a quelques-uns dans la bibliothèque, donc, effectivement, il y a de quoi s’inspirer.
Si j’ai souhaité vous interviewer ensemble – parce que ceux qui nous regardent peuvent peut-être se demander pourquoi vous êtes deux ; à part parce que vous êtes en couple, mais ce n’est pas une raison forcément suffisante – c’est parce que vous avez une particularité qui est assez rare dans le monde de la photographie, c’est que vous avez des projets communs qui ont notamment donné naissance à plusieurs livres.

Chris : Tout à fait.

Laurent : Et je trouve ça vraiment intéressant, parce que la photo, c’est en général plutôt solitaire. Il y a très très peu de photographes qui bossent ensemble, et du coup j’avais envie de savoir comment ça se passait pour vous dans la pratique. Est-ce que, à la base, vous avez l’idée à deux ? Comment ça se passe à la prise de vue ? Est-ce que vous vous répondez ou c’est plus tard ?

Chris : Alors, je pense qu’il faut peut-être parler de la genèse du travail à deux. Je pense que c’est important d’en parler.

Pauline : Oui oui, bien sûr.

Chris : Donc, au départ – mais très tôt –, c’est après s’être connus, un ou deux mois après, j’ai ce Rollei 35, un tout petit appareil photo que je pourrai te montrer plus tard qui est chargé d’une Trix, on était à Toulon avec Pauline et je lui ai dit : je pense que ça serait bien qu’on ait cet appareil en commun, et que l’on photographie ensemble tout ce qui nous inspire, notre quotidien, notre vie de couple, en fait, finalement.
Et donc la genèse est là, en fait. Du coup, c’est à partir de ça que les projets suivants vont s’ouvrir.
Donc ça, c’est quelque chose sur quoi on travaille depuis 3 ans, de manière continue, on y revient très régulièrement, voire très souvent.

Laurent : OK. Donc, ça, c’est là d’où c’est parti. Je ne sais pas si depuis c’est encore comme ça ? Parce que dans le bouquin il y a de la couleur et du noir et blanc, et j’ai cru comprendre que c’est chacun son domaine et chacun son appareil aussi, du coup, dans ces projets-là, comment ça se passe ?

Pauline : Oui, parce que, effectivement, ça, c’est le projet qui nous a… Voilà, bon, on s’est rencontrés à travers la photographie. Moi je suis arrivée sur Marseille et j’ai connu Chris via Instagram. Enfin, j’ai connu Chris, j’ai connu son travail, j’ai vu ses photos et j’ai été très enthousiaste de ce que je voyais. Donc je l’ai contacté, et puis on s’est rencontrés, et puis, bon… je ne vais pas parler de coup de foudre, mais bon, voilà, on s’est tout de suite très bien entendus, on a été connectés très rapidement, et je pense que c’est aussi à travers…, grâce à la photo, puisqu’à ce moment-là je revenais d’une résidence et j’ai montré mon livre à Chris. Et voilà, la connexion s’est faite à ce moment-là.
Et très vite, comme il l’a dit, on a eu envie de photographier notre relation. Ça, c’est un projet qui est en cours. On en reparlera peut-être.
Du coup, on est animés tous les deux de notre envie de découvrir, de voyager, on aime beaucoup voyager ensemble.
Évidemment, vu qu’on pratique tous les deux la photo, on a commencé, mais très naturellement, en fait, à photographier ensemble.
Enfin, ensemble, disons qu’on a un regard très différent sur…, on peut être dans une rue ensemble, et puis photographier, mais de façon déjà très différente. Et puis on s’attarde chacun à des choses complètement différentes.
Chris, quand il est dans la rue, c’est un spectacle à lui tout seul. Il faut le voir travailler, c’est super intéressant.
Chris, il est très furtif, il est avec son Leica, il est là, je pense qu’il a un sens très à lui, en tout cas, de considérer l’espace.
Donc il se positionne, pour que son champ…, enfin il organise son espace visuel comme il le veut.
Et moi je suis plus lente. Je suis plus statique que lui, je fais plus de mise au point. Je fais moins de photos, du coup, Chris en fait plus.
Et puis voilà, on fait chacun notre truc, sans se dire, évidemment : écoute, moi je vais prendre ça et puis toi tu vas prendre ça plutôt. C’est très naturel et puis au bout de quelques minutes, on se retrouve et on continue notre marche, et puis voilà.

Laurent : D’accord. Donc à la prise de vue, il n’y a pas vraiment de répondant entre vous deux, c’est plus chacun fait ce qui l’inspire sur le moment.

Chris : Jamais.

Pauline : Jamais on se concerte pour dire : toi il faudrait que tu prennes plutôt ça. Même quand on sait que ça débouchera sur un projet commun, on ne se dicte jamais l’un l’autre quoi prendre. Ça serait triste.

Chris : Oui, bien sûr.

Laurent : Du coup, le répondant, il vient plus à l’édition, j’imagine.

Chris : Ah, c’est tout à l’édition. À l’éditing, on étale tout. On fait des tirages de lecture qu’on étale. Alors, ça prend des mois, évidemment, parce que ça ne se joue pas en deux heures de temps. Donc on étale, on reprend, on refait des ordres, c’est très compliqué.
Mais c’est comme ça que le dialogue…, c’est à ce moment-là que le dialogue va se jouer.
À la prise de vue, c’est pratiquement impossible, même si parfois, c’est rigolo, parce que moi je sais, à certains moments, les photos qu’elle va prendre. Je sais quand elle va s’arrêter ; et toi c’est pareil pour moi.

Pauline : Oui, on sait ce qui va toucher l’autre.

Chris : Forcément, à force… Mais on ne dit rien.

Pauline : C’est une espèce de danse, en fait. On est à côté, on se sépare, on se retrouve. On se déplace et on revient. Et puis on se tient la main, et puis on continue.

Chris : On s’attend. On s’attend beaucoup aussi. Il y a une forme d’attente qui…

Pauline : Je l’attends beaucoup.

Chris : Je t’attends aussi. Un petit peu moins, c’est vrai. Mais voilà, il y a aussi cette forme de patience qui est essentielle, au respect du travail de l’autre, en tout cas. Autrement, ça ne fonctionne pas. Si elle me presse, si je la presse, ça ne peut pas marcher. Ça, c’est clair et net. Ça fait partie d’une forme de… pas de contrat, je dirais, mais enfin de respect l’un envers l’autre.
Et puis, moi j’aime la voir photographier. J’adore la voir photographier.
Parce que, tu parlais tout à l’heure d’une forme de, comment dire, d’attente, mais pour moi plutôt de lenteur, que je trouve très poétique.
Je vois ce qu’elle attend, à peu près, alors moi, j’ai des mots qui me viennent comme ça, plutôt en prose, mais une forme de poésie qui m’inspire beaucoup.
Et puis aussi, ce qui est intéressant, c’est que si jamais elle attend quelque part, moi ça me force à aller voir ailleurs, ou simplement en me tournant, en me décalant un petit peu, j’ai autre chose.

Laurent : C’est intéressant, parce qu’il y a quand même une sorte d’interaction dans, comme tu dis, la danse. Il y a un côté…, le fait que vous soyez tous les deux au même endroit, ça influence quand même vos photos, mais ça ne les influence pas dans le sens de : vous regardez la même chose, mais au contraire vous avez chacun vos manières de le faire et vous avez l’air chacun de beaucoup aimer la manière dont l’autre photographie.

Chris : Oh oui, complètement.

Laurent : Le répondant, il est plus dans le fait qu’il y ait une forme de complémentarité, voire de symbiose entre les deux, mais qui n’est pas une influence directe sur le travail.

Chris : Ah non, pas du tout.

Pauline : Et puis, on ne voit pas, de toute façon, la même chose dans notre appareil. Lui est au 35 mm, moi je suis au 50 mm, donc déjà, on ne voit pas la même chose.
Même si on est au même endroit et qu’une scène nous intéresse tous les deux, de toute façon, une photo ne sera jamais semblable, parce que derrière il y a des yeux qui sont différents, mais aussi parce que nos appareils ne nous permettent pas de voir la même chose.

Laurent : Oui, bien sûr.

Pauline : Donc, ça, c’est aussi intéressant.

Laurent : Oui, ça conditionne quand même quelque chose. Il n’y a pas la même optique.

Chris : Oui, complètement.

Laurent : Et du coup, comment vous gérez la frontière entre vous deux ? Parce que vous êtes quand même, même si vous bossez ensemble sur un projet commun, comme vous l’avez bien montré, vous avez chacun votre personnalité artistique, photographique, visuelle, et comment vous gérez ça ? Alors, c’est plus au stade de l’édition du coup, comment vous gérez la frontière entre les deux ? Est-ce qu’il y a une volonté, pas de les fondre, mais en tout cas de trouver suffisamment de recoupements pour que ce soit cohérent ? Ou au contraire, il y a peut-être même parfois une forme d’opposition, qui peut être une manière de… d’associer les deux boulots ?

Chris : Alors, personnellement, je ne vois pas ça comme une frontière, mais au contraire comme une continuité.
C’est-à-dire que chaque… Une image de Pauline va alimenter la mienne, et vice versa, bien sûr, et va lui donner davantage de force, en fait.
Alors, soit dans l’aspect narratif de l’histoire qu’on veut, ou simplement graphique aussi, parce que, voilà, on peut aussi s’arrêter à quelque chose de graphique, visuellement qui nous plaît et qui ne raconte pas forcément quelque chose en particulier sur une image, mais enfin, dans un corpus, oui.

Et comme tu le disais tout à l’heure, justement, comme notre manière de photographier n’est pas du tout la même, il y a aussi, fatalement, une différence qui se fait à la prise de vue, puis ensuite à l’éditing aussi, parce qu’on n’a pas du tout les mêmes images lorsqu’on fait notre éditing.

Pauline : Oui oui, c’est une forme de complémentarité, vraiment. Je pense qu’on partage, qu’on a une sensibilité qui est très commune, donc à partir de là, en fait, les images vont rentrer en dialogue très naturellement, même si elles sont très différentes.

Laurent : il n’y a pas besoin de rechercher tant que ça au final.

Pauline : Non, au final… Bon, là, pour le dernier projet, le livre sur le Maroc « Dans le creux du manque », c’est une autre histoire, mais le premier qu’on a autoédité ensemble, l’éditing s’est fait très rapidement. On a tiré toutes nos photos, on les a étalées, et en fait les associations se faisaient très naturellement.
Alors, on n’a pas su expliquer pourquoi.

Chris : C’était assez magique, oui.

Pauline : C’était du domaine du sensible, du magnétisme, mais il y avait des photos, c’était évident de les mettre ensemble.
Alors que pourtant elles n’avaient rien à voir, mais elles nous disaient la même chose.

Laurent : Oui, je comprends. De toute façon, l’édition c’est pas des maths.

Chris : Voilà, c’est ça. Absolument, complètement.

Laurent : C’est très instinctif et il y a des choses qui fonctionnent ensemble et tu dis : OK, d’accord.

Pauline : Et on ne l’explique pas. C’est comme ça.

Laurent : Tu les vois l’une à côté de l’autre et tu dis : Hmm… Ça fonctionne, sans savoir pourquoi, mais…

Chris : Et puis, d’ailleurs, il ne faut pas tout le temps chercher à savoir pourquoi ça fonctionne. Ça fonctionne.

Pauline : Je pense qu’il faut se laisser aller à ça.

Laurent : Une sorte de lâcher-prise.

Chris : Oui. De toute façon, tout est perfectible, donc tu peux sortir un bouquin et te dire, deux ans après : finalement, on refait, on refait tout, on pourrait tout refaire et tout reprendre.
Bon, enfin, on est sûrs de certains paramètres, notamment les images qui ouvrent et les images qui ferment. Il y a…

Laurent : oui, c’est important, ça.

Chris : Pour nous, c’est très important.

Laurent : Je parle assez rarement de l’aspect matériel, parce que c’est souvent anecdotique, mais là on l’a déjà un petit peu évoqué. Vous bossez tous les deux à l’argentique, et du coup, je pense que ça prend quand même une place dans votre travail… Enfin, ça change les choses.
Donc, pourquoi ce choix et comment ça influence vos séries, vos projets ?

Chris : Alors, moi, ma réponse va être un peu décevante, parce que je n’ai fait que de l’argentique, je n’ai jamais fait de numérique. Donc c’est la seule chose que je connaisse.

Laurent : Et tu n’es pas passé au numérique parce que… tu es très bien avec l’argentique… ?

Chris : Alors, à vrai dire, je m’étais acheté un boîtier numérique, et je n’ai pas réussi… Concrètement, pourquoi ? Parce que, je me souviens, j’avais acheté ça avant d’aller à New York ; je suis allé à New York avec ce boîtier, un Nikon, et je suis revenu avec, je ne sais pas, 1 500 photos, tu vois. Et je me suis complètement perdu dans ma photographie.
Je me suis complètement perdu, et ça m’a valu un coup d’arrêt de deux ans après – un an et demi à deux ans – parce que j’étais…
En une fois.

Laurent : Ah oui, ça a carrément eu un effet nocif sur ta photo.

Chris : Oui, parce que je me suis complètement perdu dans ce tas d’images. J’ai perdu mon regard. Je ne sais pas, j’ai trop photographié.

Laurent : En fait, tu en as pris trop là-bas. Tu t’es peut-être moins retenu… je ne sais pas, tu as peut-être photographié des choses que tu n’aurais pas photographiées, autrement, et du coup… tu as eu plus de déchets.

Chris : Oui, par exemple, oui. Mais c’est vrai que, du coup, pour en revenir à la pratique de l’argentique, je déclenche, en général, bon je fais pas mal de films de manière générale, mais en tout cas, la scène… j’attends vraiment… enfin, pour parler de la pratique de rue, parce que c’est ce dont on parle depuis tout à l’heure, j’attends que les choses se mettent en place, et je déclenche.
Il n’y a pas de mode rafale, il n’y a pas de « je shoote à outrance ». Alors, il y a beaucoup de ratés, évidemment.

Laurent : C’est complètement normal.

Chris : C’est complètement normal, notamment quand on travail au Leica qui a la parallaxe qu’il faut gérer, etc., selon la distance que tu as avec le sujet, il y a beaucoup de ratés. Mais c’est aussi la joie du pour cent d’images qui va ressortir et qui va être évident lors de l’éditing.

Pauline : Moi, j’ai toujours fait de l’argentique, parce que je trouvais ça…, enfin, c’est mon papa qui en faisait et je trouvais ça assez magique. On partait en vacances et on devait attendre la fin des vacances et le développement pour pouvoir voir les photos. C’était très excitant, c’était… Vraiment, je vivais ça de manière très intense, en fait, ce retour à la maison, cette patience qu’il fallait avoir pour pouvoir découvrir les photos. Et puis s’approprier de façon plus intense les souvenirs, aussi.
Et puis je me suis acheté un numérique quand j’ai eu envie de faire plein de photos et de tester plein de choses. Je faisais pas mal d’interviews d’artistes sur Paris, des photos de concert, etc., donc j’avais besoin d’un numérique, clairement.

Laurent : Oui, c’est le meilleur outil pour ça.

Pauline : J’en avais besoin.  Mais je ne cessais pas ma pratique de l’argentique, parce que pour moi, c’est vraiment la photographie, c’est tout un mode qui est assez prenant en fait, mais ce n’est pas juste mettre son œil dans le viseur et puis déclencher. C’est vraiment une philosophie, quoi. Enfin, je ne sais pas. Je ne veux pas paraître élitiste ou complètement allumée quand je dis ça, mais c’est vraiment une philosophie.
Tout devient beaucoup plus… vivant. On met son film, il y a aussi une certaine technique à acquérir, la gestion des lumières, avoir conscience de la lumière qui est dans notre environnement, ne pas pouvoir tout faire aussi, parce qu’à partir du moment où on met une certaine pellicule, on ne peut pas tout faire. Donc j’aime aussi cette contrainte de ne pas pouvoir tout faire.
C’est intéressant aussi, c’est être conscient des limites du monde physique dans lequel on se trouve.
Et puis, c’est l’attente qui me plaît beaucoup, l’attente, découvrir les photos. C’est Chris, en plus, qui me développe les films, donc c’est tout un cérémonial qui me comble et, aujourd’hui, je ne pourrais pas revenir au numérique.
Voilà, je ne pourrais pas. Et puis, l’appareil en soi, numérique, t’as des jolis appareils – celui-ci, par exemple – qui sont proches d’un boîtier argentique, mais nous, on aime que ce soit petit, qu’on n’ait pas besoin de…, enfin, qu’il n’y ait besoin que d’une petite pile comme ça, et encore…, on n’en a pas forcément besoin.
Donc c’est tout ça qui me plaît, en fait.

Chris : Oui, et aussi, j’ajouterais le fait d’être réglé sur 36 poses. Tu vois ? Une fois que…

Laurent : C’est un rythme particulier.

Chris : C’est un rythme très particulier. Tu sais qu’avant il faut faire attention, au début aussi il faut faire attention, il y a comme ça toute une forme de rituel. Et puis il y a un aspect physique aux choses, et d’odeur aussi.
Moi, j’adore sentir le film avant de le mettre. Ça a toujours été comme ça. C’est une odeur que j’aime et dont je ne peux pas me passer, tu vois.
Ça va conditionner tout le reste, si tu veux. La prise de vue sera conditionnée par tout cet aspect spirituel, ritualisant, de la pratique dans son ensemble.

Pauline : Et puis l’économie de, comme tu dis, le fait qu’il y ait 36 poses, c’est contrôlé.

Laurent : Oui, tu photographies différemment.

Pauline : Voilà. C’est économiser, s’économiser, ne pas être dans la démesure des modes rafale et autres. Qui peuvent être intéressants, hein, je ne dis pas, mais dans notre pratique, enfin, dans ma pratique en tout cas, il n’y a pas de place pour ça.

Chris : C’est vrai que quand tu es dans ces conditions-là de prise de vue, dans la rue en tout cas, c’est vraiment ce dernier instant d’équilibre, et c’est ça que tu cherches.
Et à mon avis, ça, tu ne peux pas le retrouver si tu es au numérique où tu es évidemment tenté, pour avoir le bon élément au bon endroit, etc.

Laurent : Tu vas la faire la rafale, là. Si tu veux, tu la fais.

Chris : Si tu veux, tu la fais. Tandis que, à ce moment-là, il y a une forme de tension qui se crée quand tu es derrière, quand tu as l’œil derrière, tu te dis : est-ce que je vais… Et presque tu tombes… sur le point de chuter. Et voilà, tu l’as eu, tu l’as pas eu, alors ça, c’est un mystère, mais voilà, c’est ce moment-là…
Il y a un côté physique, aussi, à la rue, à comment tu te positionnes, à la manière dont tu te places vis-à-vis de ton sujet, etc. Tu te caches un petit peu, enfin, tu vois, il y a tout cet esprit-là.

Laurent : Du coup, on a un peu parlé d’édition, avant, mais j’ai envie d’enfoncer un peu le clou, parce que je sais que pour beaucoup de gens, c’est quelque chose qui est sous-estimé. À la fois en termes d’importance pour la qualité du projet en général, mais aussi sur le temps que ça prend, sur la difficulté, parce que je trouve que souvent l’éditing est plus dur que la prise de vue. Voilà, il y a plein de choses à dire autour de ça.
Et du coup, on a parlé avant d’éditer les tirages, etc., est-ce que vous pouvez nous parler, peut-être, de l’édition du bouquin qui est en cours de création ? Parce que c’est peut-être le meilleur exemple, peut-être pas, je n’en sais rien.

Chris : Oui. Alors, on peut peut-être parler du précédent, qui a été fait avec Arnaud Bizalion, notre éditeur.

Pauline : Oui, mais celui en cours, c’est intéressant.

Laurent : En plus, ça nous donne aussi l’occasion de nous avancer sur l’aspect création de livre que je voulais évoquer aussi. Comme ça, on peut complètement parler des deux en même temps.

Chris : C’est-à-dire, dans le sens où il y avait une tierce personne, évidemment, qui s’invite au projet. C’est dans ce sens-là que je voulais dire.
On peut expliquer comment ça se déroule.
Donc, en fait, on appelle ça, au départ, un monstre. Ce sont des feuilles agrafées les unes avec les autres sur lesquelles on colle des images. Donc une séquence d’images qui fait l’aller-retour entre l’éditeur et nous.
Par exemple, pour donner l’exemple de « Dans le creux du manque », ça a pris, avant que le livre sorte, ça a pris un an et demi, quand même, pratiquement.

Laurent : Oui, c’est quand même un processus qui est long.

Chris : Ah, c’est très long.
Et puis, il faut faire des coupes dans nos images. Au départ, on part d’une centaine d’images, qui sont au sol, qu’on a choisi de garder, dans le livre il y en a quarante et une.
Donc c’est…

Laurent : Oui. Il y a des moments crève-cœur.

Chris : Ah oui, complètement.

Pauline : C’est ça. Et ça, ça fait partie vraiment d’éliminer, enfin, d’abandonner certaines images. C’est éprouvant. Parce que c’est des images qui nous évoquent des choses, et voilà… L’éditeur, qui est là pour un peu… nous dit : ça, c’est bien… Il ne nous donne même pas son avis sur la qualité esthétique de la photo, ce n’est pas comme ça que ça se joue.

Laurent : C’est loin d’être le seul critère pour savoir si on la garde ou pas.

Pauline : Exactement. Mais c’est : ça, ça fait un peu moins de sens. Ou : ça, il y a déjà d’autres images qui disent un peu la même chose, c’est un peu redondant.
Donc, faire le tri, c’est vraiment difficile. Et ensuite, l’aspect narratif, développer un aspect narratif entre un corpus d’images qui ne nous appartiennent pas toujours, puisqu’on travaille à deux, donc… On ne compte pas le nombre d’images qu’on met chacun dans le livre, ça, on a dépassé ce stade, mais il faut quand même que ça reste un peu équilibré.
Oui, c’est très contraignant.
Le format, ensuite, que l’on veut, ce qu’il est possible de faire.
Évidemment,avec Arnaud Bizalion qui nous a à la base pris sous son aile, on va dire, il était question de faire un livre qui rentre dans un format bien spécial.
Alors, évidemment, on aurait peut-être aimé que nos images soient à l’italienne, sur un format très large et tout, mais, voilà, c’était une des conditions pour que notre livre voie le jour, en tout cas dans cette collection et dans son catalogue.
Alors, il faut faire avec ça aussi, et ça, ce sont des contraintes qui nous sont imposées. Un peu. Donc il faut savoir gérer les contraintes, mettre son ego de côté

Chris : Oui, et être à l’écoute aussi.

Pauline : Être à l’écoute de ce qu’un professionnel de l’image…

Chris : et du livre…

Pauline : … et du livre, attend, aussi. Parce que derrière il y a quand même, pour lui, il y a une volonté de vendre.

Laurent : Bien sûr, c’est son travail. C’est quand même de vendre des livres.

Pauline : Lui nous apporte des éléments qui nous étaient jusqu’alors inconnus. Et avec lui on avance beaucoup aussi, puisque c’est quelqu’un qui est habitué à faire des livres, forcément, c’est son métier.
Donc il nous donne des clés aussi pour que les prochains soient plus fluides à la fabrication et à la conception.
Donc, pour celui qui est en cours, on a toutes les images. C’est sur l’Iran. On y est retournés une deuxième fois cet hiver pour avoir plus d’images, pour avoir un corpus plus conséquent et plus cohérent.
On a quand même bien avancé sur la conception du livre. On sait à quoi on veut qu’il ressemble.
Les images, en revanche… on les a toutes, mais il va falloir qu’on prenne les décisions.

Chris : Oui. Là, ça fait plus de, je dirais deux mois à peu près, ou un mois et demi deux mois, que pratiquement tous les jours j’étale les images sur la table, je les étale, j’essaie de faire des chemins de fer, donc des séquences d’images, et puis je remballe tout et je recommence le lendemain, et je demande à Pauline de venir regarder.
Parce que Pauline n’est pas trop, c’est vrai, tu me laisses plutôt une plus grande liberté, en tout cas…

Pauline : Oui, parce que lui, c’est quand même un habitué des livres photographiques, de photo.

Chris : Donc je fais des choses et puis je lui montre. Et puis après elle prend les images, elle les bouge, elle les change, enfin voilà, a priori, on ne s’impose aucune contrainte, au contraire, on a toute la liberté qu’il faut pour dire ça j’aime pas.
Alors, c’est aussi être radical vis-à-vis de l’autre, par contre.

Laurent : Oui, il faut savoir dire : ça non !

Chris : Oui, voilà. Parce que souvent on me dit : c’est plus simple de travailler avec ta femme qui t’aime. Et je dis : non, pas du tout, absolument pas ! Parce qu’en fait, elle est catégorique. Ça ne va pas être : ouais, mais bon…
Non, ça non. Elle est pfuit ! ça c’est pas bon et ça dégage.

Pauline : Non, je ne dis jamais que c’est pas bon !

Chris : Non, tu ne dis pas que c’est pas bon, tu dis oui ou non, c’est manichéen.
C’est oui, non, mais quand c’est un non, c’est un non définitif. La plupart du temps, après j’essaie de la convaincre en lui disant : non, mais attends, tu vois, tu comprends, mais ça c’est… C’est mon écriture photographique, accepte-la et tout. Mais bon, c’est souvent comme ça que ça se passe.

Pauline : Mais, étonnamment, depuis qu’on a publié avec Arnaud Bizalion, le travail est est plus compliqué que pour le premier livre qu’on a fait où on te disait que c’était très évident. Là, en fait, on se pose beaucoup plus de questions.
Parce qu’on sait qu’un éditing, ce n’est pas juste…, ce n’est pas aussi simple que la première fois où on avait aussi moins de, je dirais pression. Alors, bon, on n’en a pas forcément aujourd’hui plus qu’avant, mais on était plus… on se permettait plus de choses. Parce qu’en plus on le publiait sous notre nom, enfin, c’était une autoédition, donc on était plus libres.

Chris : Complètement libres.

Pauline : Là, aujourd’hui, il y a un process et on sait qu’il faut quand même qu’on suive des étapes, une méthode dans la réalisation.

Laurent : Vous bossez aussi avec un éditeur pour celui-ci ?

Pauline : Oui oui. Avec Arnaud aussi.

Chris : Et du coup, j’allais ajouter que finalement, la prise de vue va représenter, en l’occurrence pour l’Iran et pour le Maroc, même pas 1 % du temps de prise de vue. Enfin, représente 1 % du temps du travail qui va suivre derrière. Même pas 1 % ! La prise de vue est dérisoire par rapport à tout le travail qui t’attend derrière lorsque tu travailles sur un projet de livre. C’est…
Je ne sais pas si je suis clair ?

Laurent : Oui oui, c’est clair. Mais oui, c’est aussi ce que je veux mettre en avant, c’est que l’éditing, c’est une grosse partie du travail photographique.
Bon, là, vous en refaites un avec Arnaud Bizalion, donc c’est qu’a priori ça vous a plu de bosser avec un éditeur.
S’il y a des gens qui veulent faire un livre photo et qui se demandent… Après, ils n’ont peut-être pas la possibilité de le faire avec un éditeur la première fois, mais admettons qu’ils aient la possibilité, ce serait quoi, un petit peu, les avantages et les inconvénients ?

Pauline : Déjà, la possibilité, même si on admet qu’elle est envisageable, c’est quand même…

Laurent : C’est quelque chose.

Pauline : Oui, voilà.
Nous, on a eu la chance de… Chris connaissait déjà Arnaud depuis quelque temps, avant que moi je ne rencontre Chris, donc il y avait déjà un lien qui s’était fait entre les deux, il connaissait son travail, etc.
On est allés vers lui, on lui a proposé, mais ça aurait pu très bien être un refus aussi. C’est quand même un monde qui est…, où ils ne prennent pas de risques, ils veulent être sûrs quand même que ça « plaira », voilà. Il faut aussi que l’éditeur aime le travail, qu’il le trouve cohérent, qu’il le trouve fiable, qu’il le trouve solide.
Donc, nous, on estime que c’est une grosse chance, qui fait beaucoup de différence, quand même.
On a édité notre premier livre ensemble, j’en avais déjà fait un avant ; alors, les avantages d’une autoédition, c’est qu’il y a une grande liberté.

Laurent : C’est vraiment l’avantage.

Pauline : C’est l’avantage, tu fais ce que tu veux, tu l’imagines comme tu veux. C’est super pour ça.
Après, le désavantage majeur, c’est qu’en termes de diffusion…, tu n’auras pas la même facilité, parce que les éditeurs, c’est leur boulot, donc ils ont des canaux de diffusion que toi tu n’as pas.
L’avantage d’être publié, c’est quand même une certaine crédibilité, aussi.

Chris : Si si, tu peux le dire.

Pauline : D’avoir le soutien d’un éditeur, ça renforce notre confiance, peut-être aussi.

Laurent : Oui, c’est une preuve de quelque chose. Et vous pensez que ça a amélioré votre travail ?

Chris : Alors, l’améliorer, je ne sais pas, mais en tout cas tu te poses moins de questions liées à l’esthétique de ce que tu fais, en fait. Parce que c’est vrai que c’est la question récurrente. La question qu’on se pose tout le temps, c’est : est-ce que mon image est bonne ou pas ? On est d’accord ? C’est la seule question qu’on se pose : est-ce qu’elle est bonne ou pas ? Alors bonne…

Laurent : Oui, bonne, ça peut vouloir dire plein de choses. Même pour soi, déjà.

Chris : Oui, voilà, bonne pour soi. Donc, du coup, ça a un peu dédramatisé cet aspect-là des choses, enfin, personnellement, je trouve. Mais pourquoi, aussi ? Comme tu le disais tout à l’heure, l’éditeur, lui, ne va pas s’interroger sur – en tout cas jusqu’à présent – sur la qualité esthétique de ton image.
Lui, ce qui l’intéresse, c’est vraiment la narration, donc d’image en image, ce que le corpus raconte.

Pauline : Et qu’est-ce que ça donnera dans un livre ?

Laurent : Oui, dans l’objet.

Chris : Dans l’objet, oui, absolument.

Laurent : C’est un objet, ce n’est pas une page web où tout s’enchaîne sans interruption, il y a quand même des pages qui se tournent. Oui, bien sûr.

Pauline : Donc je pense que ça nous fait évoluer sur ça. Sur la cohérence du corpus.

Chris : Après, il y a son expertise, aussi, du livre, qui est liée au livre, au papier, et donc au choix de la couverture, du quatrième de couverture, tout l’aspect global du livre. Et aussi de sa diffusion, comme tu disais.
L’éditeur sera présent sur un certain nombre de festivals, notamment Arles. Paris Photo. Enfin, voilà, il présente partout, donc le livre est représenté un petit peu partout.
Il est présent.

Laurent : Il est entre les mains de gens que vous ne connaissez pas.

Chris : Oui, voilà. Tandis qu’en autoédition, en général, tu vas plutôt le vendre à ton entourage. Voilà. Mais c’est super aussi.

Pauline : Enfin, entourage… oui, en tout cas les gens qui te suivent sur les réseaux.

Chris : Oui, voilà, sur les réseaux.

Laurent : des gens qui te connaissent déjà.

Chris : Oui, de par les réseaux sociaux ou physiquement.

Laurent : En tout cas, il peut y avoir des gens qui te connaissent d’abord avec un livre. Ce qui est une approche différente que de te voir sur les réseaux, où tu vas voir la dernière image en date, d’abord, qui peut avoir du sens ou moins selon certaines personnes.
C’est une manière de rentrer dans votre boulot qui est un symbole un peu plus important.
OK. Du coup j’ai une dernière question, parce que sur Apprendre la Photo, comme son nom l’indique, l’idée c’est quand même que les gens en retirent quelque chose dans leur pratique. Donc certains font de la photo juste pour le loisir, mais je pense qu’il y en a d’autres qui sont un peu titillés par le fait d’aller un peu plus profondément et de s’exprimer un peu plus avec ça.
Du coup, j’ai envie de vous demander si, soit si vous avez un conseil pour eux, soit s’il y a un moment, où pour vous, il y a quelque chose qui a fait une différence, presque un avant-après, quelque chose que vous avez appris qui est vraiment important et que ce serait peut-être bien que les gens apprennent aussi, qui pourrait les aider.

Chris : Moi, je dirais de… enfin, le conseil, oui, ce serait de tirer ses images. Les tirer en papier, physiquement, ses images, pour les voir, pour pouvoir les étaler, pour pouvoir les regarder, y revenir, etc.
Pour moi, une image…, comment dire ?… n’a de sens qu’à partir du moment où elle est tirée.

Laurent : Oui, sur papier.

Chris : Parce que je trouve que le numérique fausse beaucoup les choses. Notamment avec les réseaux sociaux, Instagram, tout ça, où tu fais tout défiler en permanence. Et faire la part des choses est très difficile. En tout cas dans le sens où si tu veux concrétiser ton travail par le biais d’un livre en autoédition, ou d’une série, ou d’une exposition, etc. Je pense qu’il faut absolument tirer ses images.

Laurent : Je pense de même – je l’ai fait pour ma dernière série. C’est la première fois où j’ai fait l’éditing final en papier. J’avais fait un pré-éditing, quand même, déjà, juste pour sélectionner un peu les images, mais ensuite il y a eu un moment où j’ai dû, notamment surtout pour l’ordre au final ; parce que c’est une petite série, donc la sélection finale n’était pas si dure à faire que ça sur l’ordi. Par contre, l’ordre, vraiment, je n’arrivais pas à faire autrement. C’était la première fois que je l’ai fait sur papier, et vraiment, ça fait une différence. Juste des petites cartes postales.

Chris : Mais complètement, ça suffit. C’est suffisant.

Laurent : Et quand j’ai fini, toujours je fais des tirages, parce que le fait de les voir, déjà, c’est un format différent, ça ne prend pas la lumière de la même manière.

Chris : Oui, complètement. Et souvent tu t’aperçois qu’une image que tu peux considérer bonne sur écran, ne l’est pas du tout, et absolument pas non seulement sur papier, mais dans son corpus et dans sa série.

Laurent : Oui. On se rend compte de choses sur papier. Je trouve qu’il y a un truc intéressant, aussi, c’est que parfois il y a des images qui ont besoin d’être grandes. Et sur écran, ben… tu es forcément un peu limité par la taille de l’écran – on a rarement un écran de 45 pouces chez soi –, et du coup, je sais qu’il y a une série où il y a suffisamment de choses qui se passent dans l’image, tu sais, des images plus simples, même en petit peuvent fonctionner, et il y a des images un peu plus bordéliques où des fois il faut qu’elles prennent un peu plus de place. Là, j’ai fait du A3+ chez moi et j’ai dit : OK, là. C’est des images qui ont besoin de s’étaler un peu plus pour être parlantes, et le format du papier est important.

Chris : Oui, c’est clair, et comme tu dis, sur l’ordinateur, tu ne peux pas, enfin, tu peux inverser, changer l’ordre, etc., mais c’est quand même beaucoup plus compliqué.

Laurent : Oui, puis en papier, il y a un côté plus organique.

Chris : Plus organique, et puis tu étales par terre et puis tu bouges les choses, et puis…

Laurent : Et le salon devient…

Chris : Oui ! C’est ça.

Pauline : Moi, mon conseil, ce serait peut-être de ne pas chercher à… comment dire ? Je pense que, vraiment, il faut que chacun s’approprie ses pratiques et ne veuille pas les comparer ou chercher à ce qu’elles soient absolument bonnes ou…
Je ne sais pas comment expliquer ça. Je pense que les réseaux sociaux ont trop changé l’appréciation qu’on a de nos images.
Ce n’est pas parce qu’une photo sur Instagram fera 1 000 likes qu’elle est meilleure qu’une photo qui en fera 50. Il faut vraiment, je pense, pouvoir se dégager de ça. Parce que ça peut être traumatisant, je pense, dans sa pratique.

Laurent : Des gens qui peut-être mettent leurs images en ligne pour la première fois et qui rencontrent à peu près rien, parce que…
Il y a d’autres choses que la qualité qui entrent en compte. Ben, déjà, ça dépend de la personne qui regarde en face, parce qu’il y a des gens qui vont réagir qu’à des choses qui sont peut-être faciles.

Pauline : Voilà, faciles.

Laurent : Parce qu’ils n’ont pas forcément de culture image. Et quelque chose d’un peu plus subtil, ça ne va pas leur parler immédiatement, et le réseau social est là pour faire de l’immédiat, parce qu’on scrolle, et si ça ne parle pas tout de suite, ça ne parle pas.

Pauline : Et nous on s’en rend compte.

Laurent : Ça et l’audience, parce que tout le monde n’a pas une audience. Il y a des gens qui ont une très grosse audience et qui font plein de likes, mais c’est…

Pauline : Le conseil que je donne, c’est de suivre son cap, suivre ce que nous on a envie de photographier, ce qui nous saute au ventre, ce qui nous saute aux yeux, ce qui nous fait du bien aussi.
Si on veut les publier, c’est très bien. Si on a envie de les partager. Et il ne faut pas donner de la légitimité à son travail parce que…, ou au contraire, se flageller, parce qu’on ne fait pas de likes sur Instagram.
Je pense que c’est très important.

Chris : Oui, c’est ça, tu as raison. C’est accepter qu’une image vienne de soi plutôt que de l’extérieur, aussi.
Et c’est ça, il faut travailler cet aspect-là des choses.

Laurent : Et puis les gens n’auront pas la même réaction par rapport à une image qu’ils rencontrent sur un réseau que s’ils la rencontrent dans un livre ou dans une expo, donc…

Chris : Mais complètement. Et après, la suite perverse de liker pour être liké en retour. Enfin, tout ça. Aimer, suivre pour être suivi. Voilà, tout ça c’est…

Laurent : On a fait une vidéo avec Thomas il n’y a pas longtemps sur les réseaux sociaux, justement. Parce que oui, ça a son utilité, mais il faut comprendre les limites.

Chris : Voilà, c’est très clair.

Pauline : Et regardez des livres photo, faites-vous votre culture photo. Je pense que c’est important. Si c’est l’aspect financier qui peut bloquer, il y a des bibliothèques, il y a des librairies. Allez voir les sites des gens, aussi, je pense que c’est important pour connaître le travail de quelqu’un. Et ne pas se contenter de Facebook et d’Instagram pour aller creuser un peu dans le travail des autres. Je pense que c’est important aussi.

Laurent : Pauline et Chris, merci beaucoup pour ce temps que vous m’avez accordé. Alors, je n’ai pas pu vous montrer dans la vidéo tout leur travail, mais je vous encourage fortement à aller voir leurs sites et leurs Instagram, dont je mets les liens juste en dessous dans la description.

Vous avez encore des bouquins qui sont en vente, je pense, « Dans le creux du manque » il en reste ?

Pauline : Oui, « Dans le creux du manque », il en reste, sur le site de l’éditeur.

Laurent : je mettrai le lien juste en dessous. Quand sort le prochain ? À peu près ?

Pauline : Début 2020 on espère.

Laurent : Eh bien, vous serez prévenus quand le bouquin sur l’Iran sortira.
Donc, voilà, si vous avez aimé cette vidéo, pensez à, évidemment, mettre un pouce bleu et la partager. C’est important de la partager, parce qu’il faut encourager les formats longs, donc si vous avez aimé ce format long, qui n’est pas hyper adapté à YouTube, partagez-la avec vos amis, ça va beaucoup aider à ce que je continue à en faire, tout simplement.
Et puis, si vous découvrez la chaîne avec cette vidéo, on ne sait jamais, eh bien, pensez à vous abonner et à cliquer sur la cloche pour ne pas rater les prochaines. Prochaines interviews de Photographes d’aujourd’hui ou prochaines vidéos sur des photographes d’une manière générale.
Et puis, je vous dis à bientôt, et bonnes photos !

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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