Irving Penn est un photographe de mode, de portrait et de nature morte, qui a particulièrement marqué la moitié du XXe siècle par son style sobre, élégant, et très graphique. C’est l’incroyable photographe que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

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« Ce que j’essaie vraiment de faire c’est de photographier les gens au repos, dans un état de sérénité. »

Irving Penn est un photographe de mode, de portrait et de nature morte, qui a particulièrement marqué la moitié du XXe siècle par son style sobre, élégant, et très graphique. C’est l’incroyable photographe que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

Né en 1917 dans le New Jersey, Penn s’engage dans des études de design graphique, au cours desquelles il fait un stage chez Harper’s Bazaar, l’un des deux grands magazines de mode de l’époque. Il y suit les traces d’Alexey Brodovitch, son professeur et mentor, qui incorpore dans le magazine la photographie et l’art contemporain de l’époque.

En 1941, il décide de partir au Mexique, l’Europe n’étant pas exactement un endroit très accueillant à cette époque. Son ambition est de devenir peintre, mais les résultats le déçoivent, et il finit par détruire toutes ses toiles avant de revenir à New York.

Il travaille alors chez Vogue, sous la houlette d’Alexander Liberman, qui finit par lui mettre un appareil photo entre les mains, ce qui sera le début d’une longue et brillante carrière.

L’évolution de son œuvre

Sans pouvoir être complètement exhaustif, je vais me concentrer sur quelques-uns de ses travaux qui illustrent bien l’évolution de son œuvre au cours de sa vie.

Les portraits de célébrités

Et je vais commencer par ses portraits de célébrités réalisés en 47 et 48. Il photographie des personnalités telles que Salvador Dali, Igor Stravinsky, Le Corbusier ou encore Alfred Hitchcock, avec un parti-pris complètement opposé à celui de l’époque.

Penn isole ces monuments vivants entre deux parois, comme s’il les mettait au coin, ou encore assis sur un tabouret recouvert d’un vieux tapis. Il les met ainsi un peu mal à l’aise, dans le but d’enlever tout ce qui vient avec la célébrité, et notamment les réflexes face à la caméra, pour ne garder que la personne elle-même.

Ses sujets ont ainsi l’air très différents par rapport à l’image que le public a l’habitude d’en avoir à l’époque. Et ce style épuré et anticonformiste ne passe pas inaperçu dans la presse de l’époque !

Les photos de mode

Et puisqu’il travaille chez Vogue, la force des choses mène Penn à devenir photographe de mode dans la fin des années 40, et là encore il va révolutionner le genre.

Il choisit là encore de traiter la photographie des vêtements et des modèles de manière très épurée, graphique, en complète opposition avec les mises en scène un peu grandioses en vogue à l’époque, de type tableau vivant, dont Penn trouve qu’elles ne mettent pas en valeur les vêtements.

Il travaille si possible en lumière naturelle, dans de grands studios orientés nord, et se met à utiliser en 1950 un vieux rideau de théâtre comme fond de ses images, dans la continuité de ses portraits de célébrités.

Les images sont très graphiques, minimalistes, et sont tout autant des portraits que des photos de mode. Les modèles ne sont en général pas souriantes sur les images, plutôt réservées, ce qui donne un côté mystérieux à ses photos, qui feront la couverture de 165 numéros de Vogue au cours de sa carrière.

Cuzco, ou les prémisses d’une œuvre ethnographique

Mais limiter Irving Penn aux robes haute couture serait manquer une grosse partie de son œuvre.

En 1948, Penn se rend à Lima, au Pérou, pour un shooting de mode, mais décide de rester sur place quelque temps pour aller à Cuzco, dans la cordillère des Andes.

Il y trouve un studio en lumière naturelle qu’il parvient à louer pour quelques jours, qui seront véritablement frénétiques pour lui : en l’espace de 3 jours, il prendra 2 000 photographies des habitants de la ville, payés pour poser et rabattus dans la rue par des assistants, qui l’aident également à changer de pellicules et d’appareils rapidement pour rentabiliser ce temps.

Il ne s’arrête qu’à la tombée de la nuit le soir de Noël, et ce travail sera très important pour lui, car il préfigurera deux œuvres :

Tout d’abord son travail sur les Petits Métiers, qui sera le plus grand corpus de sa carrière. Il commence à Paris en 1950 puis poursuit ce travail à Londres et à New York. Dans les trois villes, il trouve un studio qui lui convient, avec, vous l’avez deviné : de la lumière naturelle et une toile de fond peinte, qui ressemble fort à son vieux rideau de théâtre.

Les assistants de Penn lui ramènent des ouvriers, des vendeurs de rue, des boulangers, des rémouleurs, des bouchers, des garçons de café, que Penn photographie dans son style formel, minimaliste, créant ainsi un incroyable témoignage sur la vie quotidienne de la moitié du siècle, dans un monde qui sort tout juste de la guerre.

La seconde œuvre préfigurée par son travail à Cuzco est sa série de portraits ethnographiques réalisés à la fin des années 60.

L’aventure commence au Dahomey, l’actuel Bénin, où il trouve le contexte qu’il lui faut pour ce travail : établir un studio où qu’il aille, avec un fond neutre et une lumière naturelle.

Il assume ce choix, car, je cite, il préfère « une stylisation qui lui semblait plus valable qu’un naturalisme simulé ».

Il continuera ensuite ce travail en Crète, en Espagne, au Népal, au Cameroun, en Papouasie Nouvelle-Guinée, et au Maroc.

Comme vous commencez maintenant à connaître son style, et que la force de ces images parle d’elle-même, je vais vous laisser en regarder quelques-unes.

Les mégots de New York

Je pourrais encore parler longtemps du travail d’Irving Penn, mais il y a une série sur laquelle je veux attirer votre attention : celle des mégots de cigarette. Oui oui, vous m’avez bien entendu.

C’est probablement la série qui m’a le plus marqué lors de l’exposition rétrospective organisée l’année dernière au Grand Palais pour le centenaire de sa naissance.

Exposées pour la première fois en 1975 au MOMA à New York, dans l’incompréhension générale, ces images interrogent encore aujourd’hui. J’ai vu des gens interloqués au Grand Palais, et je sais déjà que certains parmi vous ne comprendront peut-être pas immédiatement.

Pourtant, les gigantesques tirages au Grand Palais m’ont véritablement arrêté sur place. Pour Irving Penn, tout peut être poésie. Les mégots s’affichent comme des vestiges d’une civilisation passée, presque comme des momies ou des êtres calcinés.

Mais surtout, cette série se place dans le contexte d’une ville de New York très mal en point à l’époque, entre criminalité, corruption, grèves, attentats et difficultés financières. Photographier de vieux mégots prend alors tout son sens.

Je pourrais sans doute être trois fois plus long, car Irving Penn le mérite. L’un des plus grands photographes de la moitié du XXe siècle, aussi confortable en photo commerciale qu’en photo d’art, Penn a véritablement continué d’évoluer toute sa vie.

Il connaissait parfaitement la lumière, prêtait une très grande attention aux détails, et s’est également beaucoup intéressé au tirage, notamment en expérimentant avec la technique du platine/palladium, comme le fait aujourd’hui Nick Brandt, dont je vous ai parlé dans un précédent épisode.

Anticonformiste pour son époque, Irving Penn marquera de nombreux photographes qui marcheront dans ses pas, notamment Annie Leibovitz dont je vous ai parlé dans l’épisode précédent, mais son style élégant, sobre et graphique restera inimitable.

Si vous souhaitez en savoir plus, je vous conseille très vivement l’incroyable catalogue de l’exposition au Grand Palais, un imposant ouvrage très complet avec un riche récit de sa carrière et des photos d’une très grande qualité.

Pour finir, je vous laisse avec quelques portraits de plus, dont celui de Pablo Picasso, probablement ma photo préférée de l’exposition, qui m’a véritablement happé pendant plusieurs minutes.

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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