En novembre 2019, j’étais à Venise pendant “l’acqua alta” du siècle, la plus haute depuis 1966. Je vais vous expliquer comment ça a influencé mes photos tout en me permettant de faire une série très personnelle.

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Bonjour à tous et bienvenue dans cette nouvelle vidéo sur Apprendre la Photo !

En novembre, j’étais à Venise une troisième fois, pour réaliser une série de 12 photos, comme d’habitude, que je vais vous présenter et vous décrypter aujourd’hui.

Et à part si vous vivez dans une grotte, vous avez dû en entendre parler : plus de 80 % de Venise a été inondée sous la plus haute marée depuis 1966, ce 12 novembre 2019. C’est ce qu’on appelle à Venise “l’acqua alta”, littéralement “les hautes eaux”, et c’est, entre guillemets, normal : tous les ans, Venise patauge un peu dans l’eau, au rythme des marées. Les Vénitiens sont habitués, et ils ont leurs petites barrières pour protéger leurs boutiques, et leurs bottes en caoutchouc qui leur permettent de progresser dans l’eau comme si c’était parfaitement normal (ce qui est assez hallucinant quand on n’a jamais vu ça, évidemment.)

Seulement voilà, cette fois-ci, l’eau est montée jusqu’à un record de 184 cm au-dessus du niveau de la mer. Ça ne veut pas dire que l’eau m’arrivait aux yeux, hein, les rues de Venise étant plus ou moins hautes par rapport au niveau de la mer. Mais place Saint-Marc, il y avait jusqu’à 1,20 m d’eau.

Bref, je suis rentré du restaurant juste à temps pour ne pas avoir de l’eau dans mes bottes, mais comme tous les touristes, je n’ai pas tellement subi les conséquences de ça, à part les pieds un peu mouillés le premier jour. Les Vénitiens, eux, ont parfois vu leurs boutiques ou les cuisines de leurs restaurants ravagées par l’eau. La semaine a donc été assez chaotique, puisque dès le premier jour la marée inondait les rues 2 fois par jour, et dès le deuxième, on assistait à l’acqua alta la plus importante du 21e siècle.

Pour l’instant…

Ça a eu deux conséquences visibles en termes de logistique : de nombreux restaurants ont fermé leurs portes, et se déplacer était en général plus long : quand vous avez de l’eau jusqu’à mi-mollet, ça ralentit LÉGÈREMENT la marche.

Malgré cette ambiance assez folle, il fallait bien rentrer avec une série de photos. Le plus évident était de photographier cet évènement exceptionnel, mais si vous me connaissez un peu, l’évidence en photographie m’intéresse assez peu, pour paraphraser William Eggleston. De plus, il y avait des dizaines de photographes avec des trépieds qui faisaient des poses longues de ça, donc bon, quel intérêt d’en faire une de plus ?

#Venice #LongExposure #WorldTraveler #LoveItaly

Ce que je trouve intéressant, c’est que ma série a été fortement influencée par cet évènement historique, mais davantage émotionnellement que dans le sujet lui-même de mes photos.

Avant de vous la montrer, il faut que je revienne à mon arrivée à Venise, quand je ne savais pas encore que l’eau monterait autant.

Avant de partir, je pensais déjà assez constamment à la couleur bleue : comme la lumière était comme ça depuis un moment, je ne voyais que ça autour de moi, même à Lille, et je devinais que ça allait sans doute être présent dans mes images, à moins que la lumière soit radicalement différente. Mais, bon, on reste en hiver en Europe, donc s’il fait un peu nuageux, la lumière va être un peu bleutée comme ça, ça ne va pas changer.

J’avais aussi pensé à un côté plus poétique, à la double exposition. Et surtout, je suis arrivé en ayant l’intention de faire une série qui parte davantage de mon état émotionnel plutôt que d’un point de départ purement visuel (même s’il y a une intersection bien sûr).

Et je le dis maintenant : Des Oiseaux de Pentti Samallahti m’a sans doute influencé au départ, en tout cas dans l’état d’esprit dans lequel je suis arrivé à Venise.

Du coup, en commençant la phase habituelle des brouillons, de la recherche visuelle – celle qui commence toujours ce type de processus, comme je l’ai expliqué dans les autres vidéos de cette série (si vous ne les avez pas vues, regardez-les) –, je me suis mis directement en balance des blancs assez froide par rapport à la lumière ambiante, histoire de tout de suite “voir en bleu” sur mon écran/viseur, parce que comme vous le savez, je photographie à l’hybride, et du coup ce que je vois est plus proche de la photo finale et je peux voir en noir et blanc si je veux, et là, en l’occurrence, j’ai décidé de voir dans des tons bleutés.

Premier jour, je suis sorti sans inspiration du tout, et j’ai donc rapidement pensé que ça allait être le fameux “jour du désespoir” que j’ai à chaque fois : une journée difficile pendant laquelle je pense que je ne vais pas y arriver.
Et en fait, au bout de pas si longtemps, j’ai repéré cette mouette seule dans l’eau, dans une scène très minimaliste, et je pense que ça a dû parler à la partie de mon cerveau qui a retenu le travail de Pentti Samallahti.

Donc j’ai photographié, parce que de toute façon on est dans la phase de brouillon et qu’il ne faut pas se mettre de barrières mentales en se disant « je ne vais quand même pas photographier une mouette ». Donc, voilà, j’ai photographié, j’aimais bien le côté bleu et la partie sombre, mais ce n’était pas suffisant.
L’idée de la double exposition m’est revenue à ce moment-là, donc j’ai essayé, je me suis dit regardons ce que ça donne – comme toujours, c’est des brouillons, donc vraiment pour le coup, aucune limite à ce moment-là. D’autant plus qu’avec une partie sombre dans l’image, j’avais une belle opportunité de surexposer des choses, comme je l’avais appris quand j’avais fait des doubles expos par le passé (notamment les éléphants que j’avais faits au Kenya il y a deux ans. J’avais fait une petite vidéo là-dessus, donc je vous renvoie à cette vidéo si vous voulez savoir comment j’ai fait à l’époque).

J’ai donc continué à explorer cette idée de double exposition, en général en essayant de tout faire dans l’appareil, et de trouver la deuxième scène juste après la première. La raison à ça n’est pas tellement éthique (je ne pense pas qu’il y ait de mal à utiliser Photoshop pour faire des doubles expos, on s’en fout, et je l’ai fait sur 2 ou 3 photos de la série).

En réalité, il y a deux raisons pratiques au fait de vouloir le faire sur le terrain :

1. Le fait de le faire dans l’appareil permet de composer la seconde image directement avec la première superposée, dans le viseur ou sur l’écran, et donc de composer exprès pour ça. C’est un énorme avantage pour faire une double exposition, évidemment, puisque vous allez voir tout de suite ce que ça va donner.

2. Le fait d’essayer de trouver la scène numéro 2 juste après, c’est tout simplement beaucoup plus simple. Parce que si à chaque fois que je vois un truc intéressant, je dois aller chercher une photo qui a 3 jours, dans ma carte SD, afin de la superposer, mon nombre de possibilités devient infini, et c’est pas gérable pour le cerveau. On a besoin de contraintes pour être créatif, donc je me suis dit que j’allais rester sur des photos qui avaient été prises de manière suffisamment récente pour que je m’en souvienne bien.

Au début, j’ai donc plutôt shooté des scènes dans les tons bleus et assez minimalistes. Mais ça a un peu changé au cours de la semaine, pour deux raisons :

1. Ça a trouvé ses limites, c’était difficile de ne faire que ça (et ça aurait été trop monotone, je pense).

2. Mon état émotionnel a changé. En effet, les rues constamment inondées ont provoqué à la fois une contrainte visuelle forte, qui est qu’il y avait de l’eau partout et qu’il pleuvait beaucoup, et à la fois, je pense que ça a inconsciemment influencé mon état émotionnel. Je ne m’en suis rendu compte qu’à la fin, mais plus ça avançait dans la semaine, plus mes photos étaient “tranchées” en quelque sorte : compositions plus agressives, moins minimalistes, plus de contraste et de tons rouges, etc.

Je n’ai jamais eu peur pour ma sécurité dans la semaine, hein, c’était juste beaucoup d’eau, mais aucun vrai risque pour moi. Mais il n’empêche que voir une ville subir de plein fouet un désastre pareil, même si les habitants restaient extérieurement très positifs dans l’adversité, ils n’étaient pas du tout au fin fond du désespoir, ça ne peut pas laisser indifférent.

En plus de ça, j’ai fait une photo qui m’a énormément plu avec des tons rouges, et ça m’a incité à également chercher dans cette palette de couleurs, parce que je voulais vraiment l’inclure, et je me suis rendu compte qu’en fait ça pouvait avoir sa place dans la série.

Maintenant j’en ai assez dit, place à la série, et on en reparle après !

 

Sans revenir individuellement sur chaque photo (sauf si vous me le réclamez à grands cris dans les commentaires), il y a plusieurs choses qui me marquent dans cette série :

• La première, c’est que je ne suis même pas sûr de l’aimer. Il va me falloir du recul pour voir si elle me parle toujours dans le futur. C’est en grande partie différent de mes goûts visuels habituels, qui sont en général plus minimalistes et dans la géométrie. Et pourtant, c’est ça qui est sorti de moi à ce moment-là

• Et c’est ce qui m’amène à mon deuxième point : je suis très content d’avoir atteint mon objectif de photographier davantage mon état émotionnel. Je pense que c’est un travail très personnel, qui aurait pu être fait uniquement par moi, mais aussi uniquement à cet endroit et à ce moment-là. Et c’est très important pour moi, car ça affirme ma personnalité de photographe, et c’est ce que je cherche à faire.

• Et la dernière chose, c’est que j’ai pu explorer quelque chose de nouveau visuellement, et que c’est toujours important. C’est comme être pianiste classique, et travailler un peu de jazz pendant une semaine. Peut-être que vous n’allez pas aimer, peut-être que vous n’allez pas être bon, mais vous aurez quand même expérimenté des choses que vous pourrez mettre dans votre pratique habituelle ensuite.

Bah là, c’est un peu pareil : j’ai touché à quelque chose de plus abstrait, plus émotionnel, et je pense que ça va faire beaucoup de bien à ma progression artistique.

David m’a d’ailleurs fait la remarque, lui qui m’a vu évoluer depuis la première série à Venise il y a 3 ans : pour lui, c’est le travail le moins figuratif que j’ai fait. C’est-à-dire le moins proche de la réalité, pour résumer.

Et même si ce n’est pas forcément par là que j’irai, je ne vais pas forcément faire ça tout le temps, c’est une expérience très intéressante.

Voilà, c’est la fin de cette vidéo ! J’espère qu’elle vous aura plu, je sais que vous aimez bien quand je vous présente mon travail photo et mes réflexions qui vont avec.

Si c’est le cas, pensez à mettre un pouce bleu et à la partager, de manière à ce que YouTube la montre aux autres abonnés à la chaîne, et puis si vous avez des questions, n’hésitez pas à mettre un commentaire juste en dessous, j’adore parler de mon travail photographique, donc j’y répondrai avec grand plaisir.

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Je vous dis à plus dans la prochaine vidéo, et d’ici là à bientôt, et bonnes photos !

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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