Jean-Christophe Béchet est photographe, auteur de plusieurs ouvrages sur la photographie. Il a un regard unique sur la photographie, étant à la fois artiste photographe et vulgarisateur. Avec Thomas Hammoudi, nous avons eu la chance d’avoir une discussion passionnante pendant 1h30, et vous allez avoir la chance de l’écouter. 🙂

Cliquez ici pour afficher/masquer la transcription complète

Bonjour à tous, ici Laurent Breillat pour Apprendre la Photo, et bienvenue dans ce nouvel épisode de La Photo Aujourd’hui. Alors, je suis avec Thomas Hammoudi, que je ne vous présente plus, je pense que c’est bon maintenant, et avec Jean-Christophe Béchet qui nous fait l’honneur de nous accueillir pour cet épisode. Et on va discuter de plein de choses intéressantes aujourd’hui ; on y revient dans un instant. Si vous me suivez depuis un moment, vous vous souvenez peut-être qu’en mai 2017  (ça remonte un peu) j’avais parlé de pas mal de concepts évoqués dans ce livre  Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique, si vous vous en souvenez, c’était une discussion entre Pauline Kasprzak (j’écorche peut-être son nom) et Jean-Christophe. Et donc aujourd’hui, on va pouvoir parler directement avec Jean-Christophe, on a accès à la source de tout ça. Thomas : Moi j’en profite juste pour vous faire une petite précision : en fait aujourd’hui c’est un petit peu important pour moi, parce que si j’écris et si je développe cette activité depuis quelques années, c’est parce que j’ai lu ce livre-là, de Jean-Christophe, qui m’a donné envie d’écrire. Et je me retrouve un peu devant mon héros, même si j’ai l’impression d’avoir 8 ans en disant ça. Je ne veux pas te faire rougir, mais ça m’avait vraiment lancé. Jean-Christophe Béchet : et moi 60… Thomas : Les concepts dans ce bouquin m’avaient vraiment aidé à plus définir ma photographie, ça m’avait donné envie d’en parler sur Internet, parce que c’était très loin de ce que je lisais. Donc c’est hyper cool d’être là aujourd’hui et moi aussi je remercie Jean-Christophe de nous accueillir. J-C B : Eh bien, merci de votre invitation… chez moi. Laurent : Aujourd’hui, on va discuter d’un thème que tu avais suggéré à Thomas, en fait, parce que vous vous êtes rencontrés à Paris Photo, qui est : la photographie n’est pas une image, c’est un objet. Donc je pense que c’est intéressant de commencer par ça, parce qu’il y a plein de gens qui vont sans doute dire : heu… OK, c’est-à-dire ? Moi j’ai quand même vachement l’impression que c’est une image. Mais avant de parler de ça, est-ce que tu pourrais te présenter, pour les gens qui ne te connaissent pas ? J-C B : Oui, donc, je vais faire bref. J’ai commencé la photo il y a une trentaine d’années ; j’ai commencé avec un stage un peu par hasard. Je suis tombé avec un photographe que, à l’époque, personne ne connaissait, et qui est devenu très connu, donc j’ai eu la chance de plonger. Ce photographe, c’était Sebastiao Salgado. Donc je passe une semaine avec lui et à la fin de la semaine, je décide d’être photographe. Alors que je pensais plutôt être journaliste, mais voilà. Et en plus, paradoxalement, c’est un stage de photo en couleur, donc c’est très paradoxal, comme situation. Et à la suite de ce stage, je décide donc de bifurquer vers la photo. Une école s’est créée à Arles, deux trois ans avant, donc je tente ma chance et je réussis à rentrer dans cette école d’Arles. Donc, voilà, je vais apprendre tout assez vite, parce que je n’ai pas, à l’époque, une grande culture photo – j’ai une culture visuelle, j’aime plutôt le cinéma, la littérature, et la photo va un peu dévorer ma passion et cette école de photo va ensuite me donner envie de devenir photographe sous différentes formes. Mais c’était aussi une école où on avait une formation plus culturelle, presque, que pratique. Enfin en tout cas sur plein d’aspects, la photographie qui, moi, me correspondait bien, parce que dès le départ, j’ai assez vite ressenti le besoin de considérer la photographie comme une écriture artistique, comme une école littéraire, une école de cinéma où on ne va pas parler que des objectifs et des appareils, mais on va parler des œuvres. Après, j’ai mené une vie de photographe, comme beaucoup. J’ai vécu deux ans en Afrique centrale, j’ai beaucoup photographié en Afrique centrale et au Sahel. Après j’ai travaillé pour différents magazines, puis j’ai intégré le magazine Réponse Photo, qui a été un moyen aussi d’avoir un pied dans la technique et un pied dans l’esthétique, tout en continuant ma carrière de photographe et en essayant de faire ce que je voulais, ce que j’ai toujours voulu faire d’abord, c’est des livres photo. J’ai appris la photo avec des livres, donc là, on est entourés de livres, voilà, ce n’est pas un hasard. Thomas : Vous ne les voyez pas tous, mais je peux vous dire qu’il y en a vraiment vraiment beaucoup. Laurent : Beaucoup plus que ça, on va dire. J-C B : C’est pas pour impressionner, c’est juste que j’ai appris la photo avec des livres. Donc j’arrive à l’école de photo d’Arles, il faut se remettre dans le contexte, c’est 1985, Internet n’existe pas, y a pas de téléphone portable, y a pas d’ordinateur, les seules photos qu’on peut voir, c’est les petites expos dans…, plutôt à la Fnac, en gros, quand on n’habite pas Paris. Donc la culture photo est quand même très balbutiante quand on est un jeune et qu’on n’est pas vraiment directement dans le milieu. Et je découvre cette bibliothèque à l’école de photo et je vais faire tous les rayons de toute la bibliothèque – je crois qu’il y avait 10 ou 12 ou 15 000 livres – en trois ans, tous les soirs j’épluche, je fais des photocopies – on ne peut pas scanner, y a pas de scanner, on ne peut pas faire de photos numériques. Donc je fais des photocopies et… et je m’aperçois aussi, à ce moment-là, que la photographie, c’est vraiment propagé par le livre. Cartier-Bresson a été connu par son livre Images à la sauvette devenu The Decisive Moment.

La photo et la culture des livres

Thomas : Tu dirais que tu t’es construit en tant que photographe par la culture des livres ? J-C B : Mais pas que moi. En fait, je m’aperçois aussi que personne, quasiment, ne voit vraiment beaucoup d’expos, ou de photos autrement que par le livre. Le livre était non seulement un moyen de voir des photos, mais aussi une œuvre en elle-même. Alors, évidemment, mes livres de chevet vont devenir Les Américains de Robert Franck, New York de William Klein et puis Valparaiso de Sergio Larrain, et puis plein d’autres. Et en fait, pour moi c’est vraiment comme la littérature, on aime la littérature, on aime lire, ben on lit des livres, quoi. On ne voit pas vraiment des textes à lire dans la rue, sur des panneaux, etc. Donc pour moi, le livre a tout de suite été le moyen numéro 1 pour la photo, et les expos presque, pas secondaires, mais un autre moyen plus difficile d’accès, plus rare. Et donc, bon, je pense que quand on est jeune, on se projette, et moi je m’étais dit : si je suis photographe, je ferai des livres. Puisque j’avais aimé les livres, donc voilà. Et quand j’ai commencé à pouvoir en faire, parce que j’avais un travail suffisant, parce que j’avais gagné quelques prix, parce que j’avais rencontré des éditeurs et que je sentais qu’il y avait des gens possiblement intéressés, j’ai plongé dedans. Et à partir de 2000, en fait, je vais rentrer dans une logique de livre assez, en parallèle de toutes mes autres activités de prise de vue, d’écriture, tout ça, je vais essayer de faire un livre par an, voire un peu plus. Voilà, comme une espèce de besoin de concrétiser ma passion photographique et d’aboutir au livre. Là, je publie, je crois, mon vingt-cinquième ou vingt-quatrième début 2020. Parce que, aussi, c’est une espèce de nécessité pour moi de finaliser un projet, c’est-à-dire le livre est quelque chose de définitif, une fois qu’on a fait un livre… J’aime aussi beaucoup les expos, j’aime même les diaporamas, mais c’est vrai que le livre, comme c’est un gros budget, c’est un travail, une fois qu’il est imprimé, ben, on ne peut plus rajouter une photo, on ne peut plus en enlever. Pour employer un mot un peu bête : on tourne la page. On passe à un autre projet ; le livre est fait, il n’est pas question de revenir en arrière. Et j’aime bien l’idée, comme ça, d’avancer par étapes définitives. Après on peut refaire une nouvelle édition avec de nouvelles photos, mais c’est quand même assez rare, donc l’idée, c’était d’avancer livre par livre. Et là, je vais décider à un moment que toutes les photos que je vais montrer aux autres, sous une forme ou sous une autre, ça sera des photos qui auront été publiées en livre. C’est-à-dire toute photo que je ne mets pas dans un de mes livres n’est pas encore publique, en quelque sorte. Alors, après, il peut y en avoir dans une publication, un magazine, voilà, des photos d’illustration, comme un écrivain, on va dire. Donc pour moi, rapidement, la photographie va devenir un peu une activité comme pour un écrivain, c’est-à-dire un écrivain, il peut faire un article pour un journal, il peut faire une conférence, néanmoins, le moment où on se replonge dans son œuvre, on parle de ses livres. On peut récupérer sa correspondance, on peut récupérer ses conférences, mais l’œuvre d’un écrivain, c’est ses livres. Et c’est là la différence avec d’autres photographes, et puis avec d’autres artistes, pour qui le livre est un catalogue qui est un peu une façon de simplement archiver les œuvres qui sont plutôt des tableaux, qui sont plutôt vues en expo. Moi, le livre est la base de mon engagement photographique. Je fais des livres, et ensuite, j’en extrais des expos, en quelque sorte. Le livre n’est pas le catalogue de l’expo, c’est plutôt l’expo qui est une réinterprétation du livre. Laurent : Du coup, comme tu disais que tu sors ton vingt-quatrième ou vingt-cinquième bientôt, on va peut-être en parler. Puisqu’il sort bientôt… Thomas : Et qu’on l’a en exclu mondiale sur la table. Et qu’on a eu la chance de le feuilleter. J-C B : Je ne sais pas s’il est en exclu mondiale, mais c’est vrai que c’est mon dernier bébé, donc on est toujours un peu ému quand on le reçoit. Et puis, bon, c’était à la suite de ça que j’avais proposé cette idée de revenir sur la notion d’objet photo plutôt qu’image. Parce que dans « La petite philosophie… » dont vous avez gentiment fait l’éloge, précédemment, il y avait un petit passage que j’avais mis, un peu, je me doutais que ça ferait un peu réagir, enfin je ne savais pas trop, mais j’avais quand même voulu le mettre, c’est-à-dire en disant, en gros, que pour moi, une photographie n’existe que si elle est imprimée. Toute photo qui n’est pas passée par le stade du papier n’est pas encore une photographie.

La photographie n’existe que si elle est imprimée

On est encore dans une étape, voilà, c’est un parti pris assez radical, mais qui était basé pas du tout sur… enfin, il y a mon goût, certes, mais aussi sur un vrai raisonnement – je vais le juste rappeler rapidement, – qui est que la photographie a toujours fonctionné, dès ses débuts quasiment, enfin en tout cas dès l’invention du négatif ; il y avait un négatif et le but – c’était assez rare qu’on regarde les négatifs. L’auteur, oui, mais les autres…, qu’on expose des négatifs… – on était obligé de tirer sa photo pour la montrer. Le seul contre-exemple était la diapo, mais qui était développée et qui s’appelait inversible parce qu’on inversait un négatif pour obtenir un positif, qu’on projetait. Donc là, la diapo a été un objet aussi, d’une certaine façon. Même si on la voyait en projection, elle avait sa contrainte d’objet, sa taille, sa forme, il faut le projecteur, enfin voilà. Avec le numérique est arrivée, tout le monde le sait, une autre façon de photographier, qui est à la fois proche et à la fois éloignée. Et moi j’ai toujours trouvé ça très intéressant. Je suis resté fidèle à l’argentique pour des choses, parce que je trouve que plus le champ du possible s’ouvre, je suis plutôt quelqu’un qui a envie de pouvoir choisir. J’ai pas envie qu’une technologie remplace l’autre, j’ai envie que le champ des possibilités s’ouvre. Mais du coup, j’ai vu beaucoup d’œuvres, de photographes qui n’allaient pas au-delà de l’image sur écran ; et ils ont tout à fait le droit, hein. Moi, je ne suis pas là pour dire qui est photographe et qui ne l’est pas. Je ne peux pas appeler ça une photo si je vois ça sur un écran d’ordinateur, un écran de téléphone. Parce que la photographie n’existe pas par elle-même, en fait. Elle est dépendante du moyen par lequel on la voit. Un écran va imposer sa colorimétrie et sa taille, déjà, tout bêtement. Donc, qu’on soit bien en face ou pas vraiment en face, suivant le gamma qu’on a choisi pour son ordinateur, l’espace couleur ou je ne sais quoi, la lumière ambiante, et le cadrage, c’est-à-dire que, enfin la taille de l’image, quoi. Et moi, j’avais appris la photo avec des livres où j’appréciais la mise en page, le format du livre ; la maquette d’un William Klein, ça n’a rien à voir avec celle d’un Cartier-Bresson. Et c’est ça qui me plaisait aussi. Leurs photos sont différentes, mais il n’y a pas que les photos, il y a la pensée globale de la photographie : mettre des photos très contrastées en grand format, sans marge ; des photos avec marge, des photos grises plus douces avec des photos plus contrastées. Un écran annihile tout ça. Votre écran impose sa présence, sa définition et sa vision. Donc, en fait, c’est un peu comme si, quoi qu’on fasse, si on comparait à d’autres domaines, je ne sais pas, quelqu’un qui aime le vin, on buvait tout, finalement, quoi qu’on fasse, on ramenait tout, au final, au même goût, un peu, d’une certaine façon. Donc, assez rapidement, j’ai dit que quand on me montrait des photos sur un écran, on me montrait une reproduction, une image qui était un peu une image en cours. Mais tant que je n’avais pas l’image définitive, c’est-à-dire la photographie, je ne voulais pas tellement me prononcer. Parce que je crois que maintenant, quand même, tout le monde s’en rend compte, une photographie existe par rapport à son format ; la même photo en format A4 et en format A2, c’est pas la même photo. On n’a pas la même perception. Un tout petit petit format avec une grande marge, un grand format sans marge. Thomas : Pour toi, le travail du photographe n’est pas terminé tant qu’il n’a pas été jusqu’au tirage, sur une photo donnée ? J-C B : Oui, alors, c’est pas forcément lui qui fait le tirage, il peut faire faire le tirage par quelqu’un d’autre. Mais qu’il pense, qu’il choisisse le papier. C’est un peu comme, je ne sais pas, un couturier qui choisit ses matériaux pour une robe, pour un manteau. C’est pas la même chose un manteau en coton et en laine. Laurent : Ce n’est pas parce que ce n’est pas lui qui met le coup d’aiguille que ce n’est pas lui qui a… J-C B : Exactement. Moi je tire moi-même, mais je conçois tout à fait que d’autres ne le fassent pas, mais l’idée c’est de savoir…, surtout que l’esthétique va varier. Un papier texturé, un papier chaud, un papier froid, enfin y avait plein de types de papier différents avant, et paradoxalement, j’ai toujours dit que le numérique était pour moi la révolution du papier avant tout. Avant, on était très embêtés pour tirer la couleur, maintenant on a plein de possibilités, on a plein de papiers, plein de moyens d’impression. On n’en a jamais eu autant. En grand format, en petit, sur bois, sur ce qu’on veut ; papier japonais, papier mat, papier brillant. Laurent : Aujourd’hui, avec une imprimante qui coûte moins de 1 000 euros, on peut faire des A3 chez soi en couleur. J-C B : et A2 ! Finalement on est à 1 000 euros pour le A2. Voilà, et ça marche très bien. Alors, encore une fois, je comprends que certains n’aient pas envie de s’occuper de ça, mais à ce moment-là, ils font faire ça par un labo, comme avant en argentique – il y en a qui ne tiraient pas. Mais une fois qu’on voit des photos, on les voit ou dans un livre, pour moi – donc le livre, c’est une sorte d’impression, de tirage mis en page avec la logique du livre, du papier. Et dans un livre, le choix du papier, le choix de la reliure est très important. Donc, si je reviens à ce livre, c’est vrai que j’ai choisi une logique d’impression assez contrastée, un beau papier un peu ton chaud – qu’on appelle Gardapat classica. Je vais chercher les papiers ; au milieu je change de papier pour un chapitre au milieu, sur un autre papier coloré, pour donner sur ce qu’on appelle un papier offset, c’est-à-dire mat, qui n’est pas couché, pour donner un rendu un peu plus brut sur un chapitre au milieu. L’idée, c’est de construire une séquence où la photo est aussi mise en valeur, est aussi mise en scène en quelque sorte, par la maquette, par le choix du papier. Il y a des photos en grand format, d’autres en plus petit. Des horizontales, des verticales ; tout ça, c’est pour moi, là où le photographe s’exprime autant que dans la prise de vue. Et si on mettait toutes les mêmes photos dans le même ordre sur un écran à la même taille, pour moi on perd 80 % de l’intérêt de ce que j’essaie de faire. Parce qu’on perd l’intérêt de la matière. Même l’odeur est importante dans un livre. Dans un tirage, le toucher… Thomas : C’est une expérience plus que la vue, au final. J-C B : Absolument, oui ! Enfin, la photographie en tant que telle. Après, l’image en elle-même, elle est intéressante, je ne suis pas du tout contre l’image, mais je pense que la photographie se différencie de… Voilà, toute photographie est peut-être une image, mais toute image n’est pas une photographie. Parce que, des fois, on se pose la question : est-ce que c’est vraiment une photographie ou pas ? Moi, à partir du moment où c’est tiré dans un processus photographique, sur un papier photographique, je trouve que c’est une photographie. Après, j’ai pas d’avis spécial là-dessus. Est photographe celui qui veut, et celui qui ne veut pas être photographe, il ne l’est pas. Surtout maintenant qu’il y a des smartphones, qu’il n’y a plus forcément des outils dédiés. Mais le travail du photographe, je ne sais pas, c’est comme quelqu’un qui se dit cuisinier, bon, ben, s’il ne fait pas la cuisine, s’il met au micro-ondes des plats, il peut se dire cuisinier et d’autres peuvent dire qu’il est juste réchauffeur de plats. Donc, après, chacun met les mots qu’il veut. Et moi, je pense que le travail du photographe, maintenant, c’est d’aller jusqu’à l’objet. C’est-à-dire que comme la prise de vue aussi est quand même assez…, est beaucoup plus facile qu’avant, en fait, on en fait beaucoup plus. La complexité, souvent, du travail photographique c’est : 1/ Qu’est-ce que je veux dire ? Qu’est-ce que je veux raconter avec mes photos ? 2/ Comment les sélectionner ? et 3/ Sur quel support je les montre ? Une expo ? Quel format ? Quel papier ? Quel cadre ? Un livre ? Sachant qu’il y a une contrainte budgétaire. Mais comme tout dans la vie. Thomas : Il faut faire des choix. J-C B : Ben oui, quand on aime voyager, on ne peut pas aller partout, on ne peut pas voyager en Business class ; quand on aime la gastronomie, on ne va pas tous dans des restaurants de luxe. En photographie aussi, on va adapter aussi, et on peut tout à fait trouver des solutions assez économiques et de qualité. Voilà, c’est le propre, à mon avis, du travail artistique de trouver le… et de travailler sur ces différentes étapes. Longtemps, la photographie s’est focalisée sur la prise de vue, en fait. On disait que « le photographe, c’est celui qui était meilleur cadreur, meilleur pour composer, qui savait mieux… l’instant décisif » et tout ça. Maintenant, on ne peut plus dire ça. Enfin, plus personne ne peut dire ça quand on voit les expos, quand on voit la photographie contemporaine. C’est ni que je le regrette ni que je ne le regrette pas, mais c’est un fait, quoi. Laurent : Ce n’est plus la réalité, aujourd’hui. J-C B : C’est plus la réalité. Les plus grands photographes dont on voit les photos – là, ce week-end, je suis allé voir des expos, il y avait des œuvres d’Irving Penn, des anciennes, je vois les Sternfeld, des magnifiques tirages dans des galeries à Paris –, c’est pas du tout des artistes de l’instant décisif, voilà. Et quand on voit les tirages d’Irving Penn, 80 % de l’intérêt, c’est quasiment la lumière et le tirage. C’est pas… le sujet est intéressant. Thomas : C’était un bon tireur, Irving Penn. J-C B : C’était extraordinaire. C’est même plus qu’un objet. Irving Penn c’est une… c’est sublime ! Laurent : Il y a encore l’expo au Grand Palais. J-C B : Voilà, et on sait en plus qu’il a touché, il y a aussi un côté artisanal, on sait qu’il a touché le papier, qu’il a fait des recherches. Les Dye transfers, c’est pas lui qui les faisait, et c’est quand même magnifique – enfin, c’est pas forcément lui qui venait… Donc, voilà, j’essaie d’expliquer à certaines personnes que – après, c’est mon point de vue – que ça ne s’arrête pas à la photographie à la prise de vue, et que le vrai problème, c’est pas de réussir des photos en prise de vue, ce qui, maintenant, marche à peu près tout seul. D’une certaine façon. Je ne dis pas qu’on fera des grandes photos forcément tout seul. Laurent : En tout cas, ce n’est pas là qu’est le défi, vraiment, pour un photographe. J-C B : On ne peut plus dire, maintenant, qu’entre un photographe « connu », reconnu, un photographe célèbre et un photographe débutant, la différence ce soit la qualité de son cadrage à la prise de vue. On ne peut plus vraiment dire ça. Ça peut arriver, mais ce n’est pas forcément ça.

La technologie et la photo aujourd’hui

Thomas : La technologie, pour toi, a lissé un peu ces différences ? J-C B : Eh bien, elle a décalé le problème, en fait. C’est un peu, pour moi, maintenant on peut faire beaucoup de photos assez facilement, même quand il n’y a pas de lumière. Moi j’ai appris la photo avec toutes les questions de contraintes de température de couleur, de lumière en intérieur. Et j’aimais ça, en fait. C’est vrai que nous, on est un peu – quand je dis nous, c’est un peu ma génération –, on a été un peu perturbés par le fait que tout le monde arrivait à la même chose sans aucune connaissance. Voilà. Nous, on avait appris quelque chose qui est un peu obsolète, quoi. Mais tout ne l’est pas, parce qu’une fois qu’on a appris à lire la lumière ; là à voir la lumière, la température, je sais que si je photographie ça va donner un rendu un peu froid parce que la lumière est à haute température par rapport à d’autres. Donc j’ai quand même ces réflexes. C’est mieux de les avoir, quand même, je pense. C’est toujours mieux de mieux connaître son… Mais j’ai vu dans mes stages des gens qui ont fait des travaux photo vraiment intéressants sans avoir aucune idée de ce qu’est un diaph, une vitesse, une sensibilité. Et je ne parle même pas de toutes les inventions du numérique pour nous compliquer la vie. Et ils ont fait des photos qui étaient tout à fait intéressantes. Après, je ne dis pas qu’ils étaient un grand photographe tout de suite, mais ils ont fait des photos et si après cette personne a envie d’approfondir, de construire, de refaire des photos, de construire un ensemble, de travailler un peu ses tirages, d’aller jusqu’à une expo ou un livre, je trouve qu’elle aura fait un travail d’artiste photographe, même si au départ elle a utilisé un appareil comme on utilise un stylo. C’est-à-dire, on écrit avec et… Laurent : Celui qui nous tombe sous la main. J-C B : Oui, voilà. On lui a passé un appareil. Et ça peut même être un smartphone. Moi j’ai rien contre le smartphone s’il est utilisé parce qu’on est à l’aise avec. Si on l’utilise parce qu’on dit que c’est plus pratique, que c’est moins cher ou que c’est, je ne sais pas, plus léger ou que c’est aussi bon, je dis non. Ce n’est pas aussi bon. C’est autre chose. Tout ne se vaut pas. Mais c’est une possibilité. De même qu’on peut utiliser un appareil très gros, très petit, on ne fera pas les mêmes photos. L’outil va changer notre façon de photographier.

Le choix des appareils

Thomas : Je rebondis parce que je sais que c’est une question que tu avais prévue, mais… Laurent : Mais maintenant, on est en roue libre. Thomas : On est en roue libre, alors je te la vole. Je sais justement que dans « La petite philosophie pratique » tu en parles de ça, du choix des appareils. Alors, tu disais, si ma mémoire est bonne, que les artistes ont plutôt tendance à choisir par rapport au rendu, par rapport à ce qu’ils veulent faire et qu’il ne faut pas trop se focaliser sur l’aspect technique, c’est ça, et sur la performance… ? Laurent : Disons qu’il y a des choix par projet, aussi. J-C B : Déjà, voilà, il faut séparer l’appareil de l’objectif. À mon avis, c’est pas les mêmes choix. Et puis là aussi ça a beaucoup changé. Tous les appareils marchent bien. Je veux dire, maintenant, tous les objectifs, à peu près, sont bons. Donc globalement c’est… Laurent : J’ai l’impression que c’est plus sur l’effet que ça peut donner sur la prise de vue, où j’entendais Alec Soth chez Magnum, il n’y a pas longtemps, qui disait qu’il aimait bien bosser à la chambre parce que ça donnait une espèce de côté cérémonieux à sa prise de vue et que du coup ça change le rapport du sujet et qu’il fait des photos différentes. Non pas forcément tant que ça techniquement, mais plus parce que le fait que ce soit un gros truc, que ça ait l’air ancien pour les gens, ça change le rapport. J-C B : Souvent on est même plus accepté avec des gros appareils, parce qu’on a l’impression d’être un travailleur sérieux et pas un paparazzi ou pas un voleur. Moi je me suis battu déjà depuis longtemps, à un moment j’étais pas très bien compris. C’est vrai qu’en numérique, au début du numérique il y avait des appareils qui avaient des qualités « variables ». Donc en argentique, moi j’ai commencé à tester des appareils en argentique ; en argentique, à un moment, ce qu’on testait c’était compliqué de voir les différences. On rajoutait des fonctions parce que bon, mais ça marchait bien. Alors, le numérique est arrivé, ce qui a permis de remettre un peu à l’ordre du jour les questions de tests, de toutes sortes. Thomas : Il y a eu des tests sur le matos numérique ? 😉 J-C B : Oui, je crois qu’il y en a eu quelques-uns. Alors, à un moment, au début, ça pouvait avoir un intérêt. Assez rapidement, moi je me suis assez amusé, parce que dans un magazine où je travaillais on avait mis plein de tirages sur la table et on disait aux gens qui venaient : quelle version – c’était la même photo qui nous servait un peu de référence, c’était le même lieu qu’on photographiait avec les appareils –, laquelle vous préférez ? Déjà, personne n’était d’accord. Or, il y avait des appareils, des rendus avec des appareils qui avaient eu une note extraordinaire et d’autres qui avaient été considérés comme très mauvais. Et même, pendant longtemps, celui qui était préféré comme tirage était fait avec un appareil à une sensibilité qui était réputée par tous les testeurs comme catastrophique. Or c’était le préféré parce qu’il y avait plus de matière, plus de texture dans le ciel, et beaucoup de gens préfèrent un ciel un peu bruité à un ciel trop lisse. Moi je ne disais rien, je montrais les photos, parce que pour moi, c’est ça le juge final, tu vois une photo, tirage papier… Thomas : On en revient toujours au tirage. J-C B : Ben oui, mais si c’est pour regarder un truc à 100 % sur un ordinateur, c’est pas de la photographie. C’est de la spéléologie, je sais pas, c’est de la recherche scientifique. Moi j’ai rien contre, mais je ne vais pas passer ma journée à regarder des détails à 100 %. Et c’est vrai qu’à un moment, pour séparer les appareils, on allait chercher des défauts à 100 % sur des tirages de 2 x 3 mètres à 1 700 ISO dans les lumières… Bon, si on veut, mais je ne trouvais pas ça très intéressant au final. Donc, je pense qu’effectivement, l’appareil, ce qui compte c’est sa taille, c’est sa perception, et surtout si on est à l’aise avec. Moi, il y a des appareils avec lesquels je suis heureux. Par exemple, là, pour ce livre, sur La Havane à Cuba, j’ai commencé en argentique il y a 25 ans et puis quand j’y suis retourné, j’avais emporté un Leica monochrome. Je ne dis pas que le Leica monochrome fait un meilleur noir et blanc techniquement que les autres, je m’en fous. Pour moi il était meilleur. J’étais plus à l’aise. J’ai trouvé exactement l’outil qui correspondait à mon sujet, à la lumière. J’ai trouvé que mes photos étaient pas mal, j’ai eu plein d’idées. Enfin, ça m’a donné… et je me suis senti à l’aise. Mais comme on peut être à l’aise avec plein de choses dans la vie. Il y a des gens avec qui on passe une super soirée et on ne s’y attendait pas, d’autres… c’est l’inverse. Des vêtements avec lesquels on va bien et qu’on a envie de mettre. Après, on ne va pas expliquer aux autres, scientifiquement, je préfère ce vêtement parce qu’il est coupé ZBK. Alors pourquoi on est mieux ? Voilà, il y a des appareils avec lesquels on est bien, moi j’aime bien les télémétriques, mais cet appareil m’a tout à fait satisfait ; et un autre à une différence minime pour quelqu’un, pour moi ne me plaît pas du tout. Parce qu’on a un rapport intimiste à notre outil, et dans « La petite philosophie », je faisais un parallèle entre l’appareil du photographe et l’instrument de musique du musicien. Il y a des musiciens qui ont envie de jouer sur un violon particulier. Alors, il y a des violons mythiques, puis il y a des instruments avec lesquels ça sonne mieux ou des pianos qu’on préfère. Ce n’est pas un jugement scientifique, c’est que par rapport à leur façon de jouer, ou ce qu’ils jouent comme morceau. Thomas : Tu dirais que l’outil doit faire sens par rapport au projet, par rapport… J-C B : Qu’on se sente à l’aise, quoi. C’est comme dans les stages quand les gens me disent : j’arrive pas à photographier les gens, comment je fais ? Je dis : écoute, tu photographies avec ta personnalité. C’est pas… Évidemment, il vaut mieux ne pas arriver avec un énorme appareil, donner l’impression d’être… Mais il y a des jours où on passe bien, des jours où on passe moins bien, des lieux où on est à l’aise, si on est près de chez soi. Et puis il y a des moments où on est soi-même bien dans sa peau, mais c’est comme la vie, quoi. Et donc on photographie aussi avec – ce que je disais dans « La petite philosophie » – avec sa taille, son corps, être un homme ou une femme ; ça change complètement, dans certains endroits, la relation. Des fois c’est mieux d’être une femme, des fois pas forcément. Laurent : Dans un parc avec des enfants, par exemple. ^^ J-C B : Mais bon, il y a certains photographes assez âgés qui peuvent faire des choses ; on va, moins dans la rue, ils vont être moins embêtés parce qu’ils sont un peu âgés et que du coup on ne se dit pas… La même chose faite par un jeune un peu turbulent ou un peu inquiétant, il peut se faire dénoncer. Thomas : Quoique, les personnes âgées, c’est pas évident. Tu savais que – j’ai appris ça il n’y a pas longtemps – que Bruce Gilden se baladait à Paris avec deux gardes du corps, maintenant, parce qu’il a déjà été emmerdé en faisant des photographies dans Paris, quand il fait de la photo de rue. Laurent : Après, Bruce Gilden, il est… bon. J-C B : Il cherche un peu les problèmes. Après, voilà, chacun trouve son modus vivendi. Moi je pense qu’il n’y a pas de… La technique, c’est aussi une façon de puiser ce qui nous intéresse. Si on a envie de faire des tirages immenses et de travailler comme tel photographe. Et donc, ça, c’était un peu l’objet de l’autre livre, Influences, qui était un peu de dire : moi je pense qu’il vaut mieux partir de la finalité. Pour moi, la phrase la plus bête que j’avais entendue, c’est : apprendre la technique pour l’oublier. Parce que si c’est pour l’oublier… Thomas : Alleluia !! J-C B : Si c’est pour l’oublier, j’ai pas envie de l’apprendre. Je ne vais pas apprendre la technique pour l’oublier, c’est d’apprendre la technique dont j’ai besoin. Maintenant, la technique photo est trop vaste, elle est vaste sur un champ inouï. C’est-à-dire, on peut encore faire des procédés anciens de chimiste – il y a des gens photographes qui sont chimistes. Moi je ne suis pas du tout chimiste, mais j’apprécie leur travail et je suis impressionné. Il y en a qui sont des geeks informaticiens, etc. Au milieu il y en a qui sont plutôt des artistes. Moi je suis plutôt un photographe proche du livre, d’autres sont plutôt des photographes proches de la peinture, voire proches du cinéma. Certains sont dans la fiction complète, dans la mise en scène. Donc c’est ça qui fait la richesse. Donc on ne va pas apprendre le studio, la chambre, la macro, la photo animalière, la photo de sport, de reportage, le noir et blanc, la couleur pour après sélectionner ce qu’on a envie de faire. C’est un peu délirant. Sauf si on fait une école photo et qu’on veut être un professionnel un peu pour tout faire, si on veut. Mais même maintenant, ça n’existe pas en réalité. Donc l’idée d’Influences, c’était plutôt de dire : ben voilà, vous aimez ce genre de photos, vous aimez un travail coloriste de ce photographe, regardez comment il a travaillé et inspirez-vous de ça. Vous voyez, pour faire ce genre de photo, peut-être que là il vaudrait mieux un moyen format ; en revanche, pour faire ce genre de photo il faut être plutôt léger et rapide, et puis travailler sur les contrastes, ou travailler sur la profondeur de champ, sur les grandes ouvertures ou pas. Donc, moi, mon idée c’était plutôt d’aller à rebours, c’est-à-dire de partir de ce qu’on a envie de faire, et après de remonter le fil pour arriver à la technique. Parce que ce n’est pas de négliger la technique, c’est que la technique est utile pour s’exprimer. Quelqu’un qui n’a aucune technique va avoir un vocabulaire photographique très restreint.

Les influences photographiques

Thomas : Alors, juste pour ceux qui ne le connaissent pas, du coup je le présente rapidement. Je crois que je l’ai présenté sur ma chaîne. Influences, ça ressemble à ça, ça coûte 29 €, c’est vraiment pas cher du tout pour ce que vous y trouvez. Vraiment. Influences, c’est un exemple que je donne beaucoup. C’est un livre de Jean-Christophe Béchet ici présent, donc je parle sous son contrôle. Dans ce livre, Jean-Christophe présente plein de photographes qui l’ont influencé, et il montre des images dans lesquelles on retrouve l’influence de ces photographes – là il y a Robert Franck. Il y en a une autre, je vais peut-être tomber dessus, si je la cherche correctement, mais ce n’est pas grave. Il y a toujours une petite biographie du photographe en question, une analyse de son style, et une ou deux images analysées par Jean-Christophe. Moi, c’est un bouquin que je conseille beaucoup, et tu vas me dire si je le fais à raison ou pas, parce que quand je parle de culture sur ma chaîne, il y a beaucoup de gens qui ont peur de la culture en se disant : ah mais non, si je regarde tout ce que font les autres, j’ai peur que ça m’influence et que je… tu vois, devenir un copycat, en fait. C’est un peu cette peur-là. Et je trouve que c’est un très bon exemple de ça. Et donc là on a la chance d’avoir un tirage sur la table, je la montre : j’ai parlé sur la chaîne de Sergio Larrain, donc là on voit une photographie de Jean-Christophe où il montre l’influence de Sergio Larrain qu’il a eue dans son travail. Le tirage est sur la table, et du coup je te laisse nous parler de tout ça. Est-ce que c’est une peur justifiée que d’avoir peur de l’influence quand on se cultive, ou pas ? J-C B : Oui, enfin, on peut avoir peur de devenir intelligent, aussi. Non, mais ça peut être une peur aussi, parce que c’est vrai que si on pense trop. Moi, des fois, je dis : à la prise de vue, il ne faut pas trop penser, aussi, des fois. Je dis ça à la fois pour rire et pas uniquement. Mais je pense qu’on ne peut pas la refuser, l’influence. En plus, bon, moi j’ai fait une école de photo, et puis, il y a beaucoup de gens maintenant qui vont voir des expos, qui s’inspirent. Laurent : Personne n’est imperméable. J-C B : Et puis, bon, dans les autres arts, je vais revenir sur la musique et la littérature, mais la musique, c’est même plus que de l’influence. Il y a même des albums de jazz, c’est des « tribute to ». Mozart a piqué des mélodies populaires aux autres ; il n’y avait même pas de droits d’auteur, tout le monde se pompait tout. Mendelssohn, Brahms, ils ont tous pioché chez Beethoven, et personne ne va dire qu’ils sont juste des copieurs. Il y avait une phrase que j’aimais bien, quand quelqu’un me disait : je ne veux pas voir des photos parce que j’ai peur d’être influencé. C’est la phrase de Louis Jouvet qui disait : « Ne vous inquiétez pas, le talent, c’est pas contagieux. » Avec la voix de Jouvet… Mais en fait, je pense qu’il vaut mieux être un peu au courant des choses, et puis surtout c’est arbitraire de ne pas vouloir. Parce que sinon on va être influencé à son corps défendant. C’est-à-dire, moi je vois des gens qui aiment la dernière chose qu’ils ont vue. Comme à la télé, tout à coup ils trouvent cette émission super… C’est le propre de l’absence de culture, mais il faut bien commencer un moment. Moi, je ne sais pas, quand je débute dans un domaine que je ne connais pas, je risque d’aimer le dernier qui a parlé ou qui m’a montré quelque chose. Il y a plein de domaines dans lesquels je suis pas du tout compétent, et quand je rencontre quelqu’un qui me dit quelque chose, je n’ai pas les moyens de savoir si c’est vraiment juste ou faux. Donc c’était un peu ça, l’idée. C’était de se dire : il vaut mieux connaître ses influences. On n’imagine pas un écrivain qui dirait : je ne veux pas lire Proust, Balzac ou Stendhal pour ne pas être influencé. Ça paraîtrait même un peu prétentieux. Vous ne verrez pas un peintre qui ne veut pas aller voir une expo de Picasso, Matisse, Titien ou Le Greco parce qu’il dit : non non, surtout, je veux garder mon œuvre pour moi. Après, tout a été un peu fait… et surtout, la photo a cette capacité à parler du réel. Moi, la photographie que je pratique, elle est quand même quelque chose d’une interprétation du réel. Or, le réel de 2019, ou 2020 – puisqu’on enregistre en 2019 pour 2020 – il n’est pas le même que celui de Sergio Larrain en 1950. Donc j’avais noté trois types d’influences qu’on peut difficilement évacuer. Les références « des grands noms » de l’art qu’on pratique. Je ne pense pas que quelqu’un puisse se dire musicien sans jamais avoir écouté Beethoven, Mozart, Schubert. Ou Nirvana, ou Rolling Stones s’il veut faire du rock. Thomas : C’est le genre de musique qui t’intéresse, quand même. J-C B : Absolument, mais il y a quand même des pères fondateurs de tous les genres. Moi je parle plus de musique classique parce que c’est plus ancré dans le temps. Donc il y a des influences comme ça, il y a les influences des gens qu’on a rencontrés. Dans la vie on rencontre des gens qui nous influencent. Moi j’ai commencé la photo avec Salgado, puis j’ai rencontré beaucoup d’autres photographes. Et c’est vrai que quand on connaît une personne… Mais comme on peut être influencé par son beau-frère, s’il est photographe, ou par un ami, ou parce qu’on aime beaucoup ce que fait quelqu’un d’autre. Thomas : Je ne me remettrai jamais de : J’ai commencé la photographie avec Salgado. J-C B : Par hasard. C’est pas du tout… c’est vraiment un coup de chance. En plus, je ne suis pas du tout, là, on ne peut pas dire que je sois dans le même type de photo que lui, donc voilà. Mais je continue à avoir un certain intérêt pour ce qu’il fait et à suivre ce qu’il fait, évidemment. Donc, il y a ceux qu’on a rencontrés, et donc forcément on a une influence différente parce qu’on connaît la personnalité. Ou des fois, l’influence est bonne parce que, aussi, elle nous permet de nous détacher parce qu’on ne l’aime pas, finalement. Il y a des gens qu’on rencontre et on s’aperçoit qu’on ne les aime pas, aussi. C’est pas le cas de Salgado. Mais il y a des gens…, l’influence peut être dans les deux sens. Et puis, la troisième influence que j’avais essayé d’expliquer, c’est une influence par rapport au lieu. C’est-à-dire que moi, je suis quelqu’un qui accorde beaucoup d’importance dans mes photos au territoire. Je pense que la lumière n’est pas la même dans les Caraïbes et en Finlande. Donc on ne peut pas faire la même photo. Notre style est dépendant du réel. Quand on est en studio, non. Si j’ai un studio en éclairage artificiel, je peux faire les mêmes photos. Mais la lumière des pays nordiques – je prends les deux extrêmes –, de la Scandinavie ou de Cuba, nous incite à photographier différemment. Donc il y a aussi l’ambiance du lieu et des photos qu’on a vues sur le lieu. C’est vrai qu’il y a des photos qui sont intimement liées ; il y a des photographes américains, c’est le territoire américain. Dès qu’ils quittent le territoire américain, ils sont beaucoup moins à l’aise. Il y a des photographes qui sont liés au nord de l’Angleterre. Mais les cinéastes, c’est pareil. Ken Loach, c’est quand même l’Angleterre, on sent quand même l’Angleterre dans Ken Loach. Dans des cinéastes de Hong Kong, ou asiatiques, on sent l’ambiance asiatique, la lumière asiatique. Pour moi, pour avoir photographié aussi bien le nord de l’Angleterre qu’en Asie, aux États-Unis, je pense qu’un photographe est toujours sensible à cet esprit du lieu qui est basé sur l’architecture et la lumière. Et ça, on a des auteurs qui ont travaillé sur ces lieux-là, donc des fois, même si on n’est pas fan de ce travail-là, on l’a vu, enfin je pense que ça fait partie de notre « métier » de voir le lieu et de savoir un peu comment il a déjà été photographié. Quand je vais à Valparaiso, j’ai un livre fondamental de Sergio Larrain sur Valparaiso, je ne vais pas faire semblant de ne pas le connaître et de me dire : il faut surtout pas que je fasse ça parce que… Non, je fais des photos, et je sais que par nature, je ne referai pas, parce que je n’ai pas le talent de Sergio Larrain, et parce que le monde a changé. Et je pense qu’on n’est pas dans la nécessité de dire qu’on « réinvente tout » en permanence. Je pense que c’est un peu, comment dire, une chimère, quelque chose… Enfin, il y a une volonté d’être le premier à avoir fait ça, et puis après on s’aperçoit qu’on n’est jamais le premier, donc on est encore plus déçu. Parce qu’on ne savait qu’il y en avait d’autres qui l’avaient fait et il y en a plein d’autres qui l’avaient fait. Laurent : Il vaut mieux savoir dès le départ qu’on n’est pas le premier, comme ça, au moins… J-C B : Oui, et en plus, ce n’est pas… J’aime beaucoup la montagne aussi, alors je comprends le premier d’arriver en haut de l’Everest. Une fois que c’est fait, bon, voilà, une fois que tous les sommets ont été faits, qu’est-ce qu’on fait ? On reste devant sa télé ? Laurent : Aujourd’hui il y a une file d’attente pour monter l’Everest, qui devient un peu… J-C B : Ce qui n’empêche pas qu’on ait envie d’y aller. Moi je ne critique pas quelqu’un qui y va. Mais c’est sûr qu’on ne peut plus être le premier. Maintenant, ce n’est plus une aventure comme c’était, néanmoins on peut avoir envie d’y aller et de faire quelque chose. Et puis on n’est pas obligé d’aller en haut, on peut peut-être prendre un petit chemin et puis… Moi j’ai voulu faire un sujet sur un village avant, voilà, on peut s’arrêter avant, on peut faire des choses. Donc, la photographie, on n’est pas comme « dans le sport », il n’y a pas qu’un premier et après les autres n’existent pas. Thomas : On ne voit pas ça comme une compétition. J-C B : Ce n’est pas du tout une compétition. Et quand on voit l’histoire de l’art, on n’est pas du tout dans l’idée que, enfin, on ne va pas dire que Van Gogh est meilleur que Picasso. J’en sais rien, je ne vois pas le sens de dire lequel… On peut faire un vote pour le préféré du public, mais ça n’a rien à voir.

L’originalité

Thomas : Est-ce que c’est possible d’être original ? Est-ce que c’est important ? Est-ce qu’on s’en fiche ? Comment tu vois ça, toi ? J-C B : Pour moi c’est important. Ce n’est pas une contradiction, c’est que… original, le mot est un peu vague ; je dirais singulier plutôt. Enfin, que ça représente sa personnalité, quoi. Moi, je pense que c’est par le livre, enfin c’est par l’ensemble de photos. Je ne crois pas que l’originalité repose sur une photo. Une ou deux. Je pense que maintenant, en tout cas maintenant, l’originalité dépend de sa façon d’assembler ses photos. Il y a des livres où j’ai mélangé couleur et noir et blanc. Enfin, chaque projet j’essaie de trouver une forme. Moi, c’est le livre ou l’expo, mais les scénographies d’expo sont aussi, maintenant, extrêmement retravaillées. Et on ne peut plus juger une photo indépendamment d’un ensemble, dans une scénographie ou dans un livre. Je pense que certains livres que j’ai faits, il n’y a que moi qui pouvais les faire. Ça ne veut pas dire que chaque photo est originale, mais leur association, le choix de mettre ces photos ensemble, ce rythme de mise en page, les textes qu’il y a autour, et puis l’ensemble du projet… Et là, je pense que c’est original. Ma collection des carnets où j’ai décidé de faire 10 livres de même format, tout en 48 pages pour chaque fois évoquer un sujet précis… J-C : Voilà, je dis que c’est…, bon, je n’en connais pas d’autres qui l’ont fait. En plus, les numéros pairs sont en couleur, les numéros impairs en noir et blanc, et le défi c’était, dans le même format 24×30 de mettre des fois des photos verticales, horizontales, carrées, panoramiques. Enfin, de voir comment, aussi, la photo pouvait exister avec des principes de mise en page différente dans le même conditionnement qui est 24×30, 48 pages. Comme la bande dessinée belge, en fait, c’était un peu le départ, avec des couleurs différentes, une espèce de collection. Donc c’était un peu un défi, et je pense que ce concept de 10 livres de ce même format, sur dix petites questions – c’est pas des thèmes énormes, c’était un peu des petites nouvelles –, je pense que c’était original. Après, je n’ai pas fait ça pour être original à tout prix, j’ai fait ça parce que je trouvais que c’était une bonne idée, que j’avais envie de la pousser, de voir si ça fonctionnait, et de me mettre au défi de raconter des histoires différentes. La première histoire s’appelle « Noir vertical », c’est juste des images noir et blanc verticales qui se répondent. Je n’ai pas rassemblé pays par pays, ou je n’ai pas rassemblé les photos, je ne sais pas… d’un même thème ou d’un même… Non, j’ai essayé de trouver comme des poèmes dans certains cas, puis des fois d’autres points de vue qui rassemblent des images. Je pense que l’originalité vient du projet, de l’ensemble, et pas de la performance visuelle à chaque photo. Après, on peut arriver à faire une photo exceptionnelle, mais bon, il y a des photos exceptionnelles, mais qui dépendent d’être un événement, on est face à une catastrophe, on fait la photo, elle est exceptionnelle. Maintenant, c’est assez rare d’être le seul, déjà. Mais après, bon, est-ce que c’est vraiment original ? Après, quand on n’est pas devant un événement exceptionnel, qu’est-ce que ça veut dire une photo complètement originale ? Je ne sais pas combien de photos sont faites tous les jours, quelques milliards depuis quelques années. Thomas : Elles sont uploadées sur les réseaux sociaux. J-C B : Ça voudrait dire quoi, on a tout essayé, tous les types de cadrages, de flou, de netteté, enfin… Et puis je pense qu’on n’est pas dans cette recherche de performance d’originalité. En revanche, je pense que… c’est pour ça que je reviens à l’idée de l’objet, c’est-à-dire que le photographe est quelqu’un qui construit un objet final, une expo, un portfolio – je défends aussi beaucoup l’idée du portfolio, on prépare un livre là-dessus, parce que le portfolio est un moyen plus souple. Le livre est assez lourd à gérer parce qu’il faut aussi des compétences de maquette.

L’utilité du portfolio

Thomas : Un portfolio, pour toi, c’est quoi ? J-C B : Ça a plusieurs statuts, mais le premier statut, c’est de mettre des tirages ensemble dans une boîte, qui vont ensemble et en gros se dire : voilà, j’ai photographié depuis cinq ans des, je sais pas, un cirque, je rassemble mes vingt meilleures photos de ce cirque, je fais un petit texte, je mets ça dans une boîte et c’est mon travail sur ce cirque. Thomas : C’est un objet intermédiaire entre… J-C B : Voilà, c’est un peu un moyen de rassembler des photos, après on peut décider de le montrer à des lectures de portfolio pour décrocher des expos ; ou on peut décider de le vendre dans un milieu « livre d’artiste » ou portfolio, on peut le relier plus ou moins. Mais pour moi, l’idée c’est de trouver un moment l’idée de… c’est assez souple, en plus, ça peut évoluer, par rapport au livre. Par exemple, ça, si je faisais une série, à un moment j’imagine une série sur les anges dans la photographie. Je suis toujours à photographier des présences angéliques, mais qui ne sont pas… Voilà, c’est la photo dont on parlait, qui est dans le livre Influences, c’est une procession de Pâques au Chili, avec un enfant déguisé en ange, et puis il y a d’autres photos. Donc on pourrait imaginer… Et mes livres c’est un peu ça, c’est d’essayer de trouver – parce que je trouve aussi qu’il y a quelque chose de fantastique dans la photo, c’est qu’on est dans le réel et on est dans l’imaginaire en même temps. Là, c’est une photo à la fois réelle et l’ange est quelque chose d’un peu…, a priori ça n’existe pas. Et ça existe en photo parce qu’il y a des gens, voilà… Et donc, aller chercher ça. Et puis après, on va sortir, on va faire des photos n’importe où et on se dit : tiens, j’ai une boîte avec des anges, j’ai une boîte avec des cabines téléphoniques, j’ai une boîte avec des paysages sous la pluie. Et puis, il pleut, je me dis : tiens, peut-être qu’il y a une photo qui peut rejoindre ce portfolio. Et je pense que c’est une bonne façon d’avancer et de construire des petites thématiques, d’abord pour soi, pour avancer dans son travail, et puis éventuellement pour le montrer aux autres. Thomas : Ça me fait penser à un format qui est assez à la mode en ce moment, et qui n’est pas vraiment un livre, mais pas vraiment un portfolio non plus, qui s’appelle le zine. Je ne sais pas si tu vois ce que c’est, ça se fait beaucoup. Est-ce que c’est quelque chose que tu… ? J-C B : Pour moi, c’est un livre souple. Thomas : Parce que ça a l’avantage d’être assez peu coûteux et de permettre de présenter son travail. J-C B : Oui, pour moi c’est un livre. J’en fais avec des éditions numériques. Non, pour moi c’est un livre. Enfin, apparemment il y a une maquette, après, qu’il y ait 32 pages ou 128… Non, pour moi, le zine, le book, le ce que tu veux. Pour moi, il y a des photos… En fait, la photographie existe, je pense qu’après on peut inventer plein de choses, mais jusqu’à maintenant, personne ne m’a détrompé. Il y a trois façons de montrer ses photos, quand on est photographe : – Il y a la page imprimée, donc on passe par une gravure sur du papier, mais qui est reliée. Donc c’est le magazine, le zine, le livre. Là, on se rapproche d’un objet un peu livresque, quand même, malgré tout. Ou presse. Donc là, il y a un ordre, une maquette, c’est-à-dire comment on met les horizontales, les verticales. Donc on ne voit pas la photo seule, on la voit mise en scène dans une maquette, par un graphiste ou par soi-même. Donc la vraie question, c’est : comment gérer les horizontales, les verticales, les doubles pages. La photo, on est toujours obligé de la voir par rapport à un format de présentation. – La deuxième forme, c’est le tirage qu’on peut voir ou comme ça sur une table, dans une boîte ou en expo, encadré. Passe-partout, pas de passe-partout, le format… Là, c’est la forme un peu plus tableau, on va dire, œuvre individuelle. Là il n’y a pas de reliure, il n’y a pas de mise en page. Mais il y aura une scénographie pour une expo, il y aura un format, le choix d’un papier. C’est là où on revient à l’objet, c’est-à-dire que la même photo avec une grande marge, avec une petite marge, un papier chaud, un papier texturé, un papier mat, un papier brillant, n’aura pas la même personnalité. Donc il y a le tirage, le livre et – la troisième, c’est la projection au sens large, la vision sur écran. Alors, qu’on projette sur un vidéoprojecteur, sur Internet, sur…, où, là, on rentre dans un format qui est « on ne touche pas l’objet », et souvent il y a un ordre imposé. On voit les photos dans l’ordre qui est décidé par l’auteur ou par le monteur, s’il y a une musique, elle influence la vision des photos. Et là, on va dire que la photo, ce que je vais appeler la version audiovisuelle, se rapproche du cinéma. Donc on va dire que la photographie a cette capacité, pour une œuvre, d’être dans une ambiance proche du livre, de la littérature, si on veut, ou de la bande dessinée dans un livre ; proche de la peinture quand elle est sous forme de tirage ; et proche du cinéma ou de la série télé quand elle est projetée. Et c’est complètement différent. Et moi, souvent, j’ai les trois versions de mes travaux. J’en fais un livre, j’en fais une expo, j’en fais un diaporama avec une musique. C’est les mêmes photos, dans le même ordre quasiment, mais c’est pas du tout les mêmes œuvres. Là, le livre, la majorité des gens l’ouvrent à l’envers, déjà. Regardent, repiochent. L’expo, on ne sait pas par où ils rentrent, ils vont s’arrêter, ils reviennent en arrière. Le diaporama, l’ordre, je l’impose, il y a une musique et puis ça dure 4 minutes, 10 minutes, 20 minutes. On est plus spectateurs d’une sorte de spectacle.

Les réseaux sociaux

Thomas : Tu disais que tu présentais tes vidéos aussi sur écran. Alors, je pose la question en toute naïveté, parce que je n’ai pas la réponse : tu partages tes photos sur les réseaux sociaux ou pas du tout ? J-C B : Non. Pas pour l’instant encore. Je suis encore un peu trop jeune pour ça. Je n’ai pas encore trouvé le bon. Après, voilà, ça prend beaucoup de temps, je ne maîtrise pas assez… mais je devrais. Non, je les projette comme ça dans le cadre d’expo. J’aime bien l’idée que dans une expo il y ait à la fois les trois versions de mes photos. Quand je peux. C’est-à-dire que là, en ce moment, il y a une expo qui se termine (qui sera terminée quand ça sortira) à Gap, à la Passerelle, j’ai voulu qu’il y ait à la fois le livre, qu’il y ait à la fois les tirages aux murs et qu’il y ait un écran avec la version diaporama avec une musique que j’ai choisie, qui raconte toute l’histoire. Ou une voix off. J’aime bien cette idée d’avoir les trois dans une expo. Sur les réseaux sociaux, c’est vrai que mes diaporamas sont un peu longs, ils peuvent durer jusqu’à 15 minutes, donc je ne pense pas que c’est tout à fait le format. Et puis je n’ai pas « la connaissance » réellement de comment le montrer. Après, comme je l’ai dit au début, pour moi c’est d’abord le papier. C’est vrai que ça pourrait être…, j’aime bien montrer des projections quand…, je n’aime pas montrer QUE des projections. Sinon je ferais du cinéma ou de la télé, ou de la vidéo. D’ailleurs, je pense, je n’ai rien du tout contre, mais c’est vrai qu’un cinéaste, par définition, montre des images sur un écran. Pour moi, par définition, le photographe montre des œuvres sur papier. Papier d’impression ou papier… C’est notre différence fondamentale. Le sculpteur montre quelque chose en relief, a priori. Ce n’est pas pour faire des catégories, mais si je vais au cinéma et que quelqu’un arrive sur scène et me montre des sculptures, je serais surpris, quoi. Normalement je pense que la salle va être sombre et qu’on va me montrer un film. C’est pas du tout pour faire des clivages, ça ne veut pas dire que je n’aime pas la sculpture, mais c’est un peu le contrat. Alors, maintenant, l’art contemporain joue beaucoup sur les métissages dans une expo, et c’est très bien. Néanmoins, quand on va au cinéma, on s’attend à voir un film. Laurent : À Paris, ils disent qu’ils font des « expositions » qui sont en fait des projections des œuvres de Van Gogh, etc., sur tous les murs de la salle. Et effectivement, quand j’y suis allé, le terme exposition m’a paru… Mais c’est intéressant, parce que ça présente des œuvres sous un nouveau jour, mais c’est vrai qu’appeler ça exposition, c’est peut-être pas le terme. En tout cas, il y a des gens qui ont dû être surpris. J-C B : Moi, après, je ne suis pas là pour censurer qui que ce soit. Après, sur Van Gogh, c’est un peu différent parce qu’il est un peu plus connu que les photographes contemporains. Donc c’est vrai qu’une fois qu’on est très connu, on appartient un peu à la culture populaire, et qu’après on fait des cartes postales, on fait plein de choses, des chapeaux, des sacs, et pourquoi pas… Après, voilà, si je vois un sac avec une reproduction d’un tournesol de Van Gogh, je n’ai pas l’impression d’avoir vu une œuvre de Van Gogh. Je ne veux pas être élitiste, mais quand même, il y a une petite différence. Voilà, pour moi ça fait partie des produits dérivés, et pour moi la vidéo n’est pas du tout négligeable, je trouve que c’est une bonne façon de… Il y a même un festival auquel j’ai participé plusieurs fois en Suisse où il n’y a que des projections. Pendant une nuit, ils projettent des choses et je trouve ça très très bien, je ne suis pas du tout contre que ça existe. Mais ce que je veux dire quand je dis que la photo c’est d’abord un support papier ou un objet, c’est que quand je travaille, je ne vais pas travailler pour concevoir ça d’abord. Je vais d’abord travailler et je pense que 99,99 % des photographes sont dans cette logique. J’en ai rencontré beaucoup, de photographes, c’est très rare qu’un photographe quand vous dites : Ah, on va faire un livre ! vous dise : non non, je préfère qu’on fasse une vidéo. Enfin, je n’en ai pas encore vu. Je n’en ai pas connu, donc ça prouve bien que… Alors qu’un cinéaste, on lui dit : est-ce que tu veux faire un livre ou un film, ben, je pense qu’il préfère faire un film. Sinon… Un écrivain préfère faire un livre qu’une vidéo, enfin je pense. C’est tout bête.

Définir la photographie

Après, je pense que la photo a besoin d’être un peu, aussi, définie, un peu plus, parce que comme c’est un art qui part dans tous les sens, du coup c’est vrai que tout le monde est photographe. Je pense que des fois il faut un peu revenir à la racine de certaines choses. On a un problème de vocabulaire, sur la photographie. Ne serait-ce que quelqu’un qui est libraire et écrivain, c’est deux mots différents. Ça ne veut pas dire qu’un libraire ne peut pas être écrivain, et réciproquement, mais ce n’est pas tout à fait la même activité. On emploie le mot photographe pour quelqu’un qui vend des pellicules dans un magasin, comme pour quelqu’un comme Salgado. Ils ne font pas tout à fait le même métier. Ce n’est pas parce qu’on touche… à ce moment-là, il faudrait dire que tous les gens qui touchent, je ne sais pas, qui vendent des stylos sont écrivains, ou je ne sais pas. Le mot photographe, les gens qui font une photo avec leur smartphone et qui la partagent ont fait de la photographie. Moi ça ne me dérange pas en soi, mais c’est juste qu’au bout d’un moment il y a quand même des gens dont c’est le métier, des gens qui passent leur vie à travailler là-dessus, donc. Laurent : C’est pour ça qu’il y a besoin d’un adjectif, au final, pour préciser ce qu’on veut dire par photographe. Tu en parles là-dedans, le photographe amateur, le professionnel, l’artiste, c’est des mots différents et des rapports à… J-C B : Ce n’est pas, encore une fois, que je veux créer des catégories, je veux juste, je pense que ce qui s’énonce bien se comprend clairement. Et qu’à un moment… la nourriture aussi, il y a se nourrir et puis bien manger. C’est pas tout à fait la même chose. J’ai rien contre les fast foods, mais c’est plutôt fait pour se nourrir. Moi, quand je mets un plat au micro-ondes, je ne dis pas que je prépare un repas. Mais je suis très content de me nourrir. Et la photo a toujours eu cet aspect, ça n’a rien de nouveau, la photo a toujours eu l’aspect artistique et l’aspect « culture de masse ». Les instamatics, les photos de famille, c’est même ça la base de la photo. Et ce n’est pas du tout négligeable. Laurent : C’est comme ça que commercialement on maintient… J-C B : Il y avait des milliards d’albums de famille avec des photos qui n’avaient pas d’autre but que de garder des souvenirs, de montrer. C’était parfait. Moi j’en ai beaucoup, les gens qui les montraient n’avaient pas un discours artistique très puissant sur le travail, ils ne se posaient pas cette question-là. Et d’ailleurs, souvent, ils n’allaient même pas voir des expos photo ou s’acheter des livres photo. C’était une utilisation purement familiale de la photo et voilà. Mais comme on utilise familialement des objets qui sont très utiles. Alors, il y a le même mot, il y a la même chose, mais à mon sens, ce n’est pas la même réalité. Donc on pourrait dire, effectivement, que ce qui était avant la photographie pratique culturelle est maintenant celle du portable et celle des photos sur les réseaux, ou du moins sur Internet. Après, ça ne veut pas dire que certains s’en servent pour communiquer, du coup la photo est un objet de communication pour aller vers la vraie photo. L’idée c’est plutôt de montrer quelque chose pour qu’après on ait envie d’en voir plus. L’idée c’est d’en voir un peu plus, je pense ; c’est plus ça le but.

Avoir un retour sur son travail photographique

Thomas : Alors, tu parles des réseaux sociaux, on en parlé un petit peu tout à l’heure, ça me fait penser à une question que j’avais dans un coin de ma tête. Je sais qu’il y a beaucoup de photographes qui se servent des réseaux sociaux comme d’une façon d’avoir un retour sur leur travail ; ce qui pose beaucoup de problèmes, notamment parce que tu as des retours, forcément, de gens qui ne sont pas toujours compétents. Je sais aussi que tu donnes des workshops où tu diriges un peu des photographes qui ont envie d’aller plus loin. Un photographe qui commence un travail un petit peu personnel, etc., et qui aurait envie de progresser, qui aurait envie d’avoir un retour sur son travail, qu’est-ce que tu lui conseillerais de faire ? Quelqu’un qui commence son premier projet photo un petit peu singulier, comment tu lui conseillerais d’obtenir un retour, d’évoluer, je ne sais pas, si tu as des lectures ou… J-C B : Oui, après, moi, il se trouve que j’ai un peu plus de 50 ans, donc je ne connais pas forcément bien les…, je pense qu’on est tous aussi le fruit de sa génération, d’une certaine façon. J’ai même vu récemment quelqu’un qui disait : je ne comprends plus les jeunes. Il avait 27 ans, donc… ^^ Ça va vite ! Donc, voilà, moi je pense que tout dépend ce qu’il cherche comme reconnaissance, en gros. S’il a juste envie d’avoir des potes qui aiment bien, ou… même un côté professionnel. C’est-à-dire que s’il a des photos qui peuvent intéresser pour la presse ou qui peuvent intéresser des gens qui en ont besoin, si c’est des photos d’actu, là c’est très très bien. Si c’est maintenant quelqu’un qui fait plutôt un travail personnel, un peu intime ou quelque chose d’un peu plus profond, on a quand même un problème de mettre sur des sites des photos compliquées. Je ne suis pas très compétent, mais je sais que c’est les photos de chatons qui sont en tête. Et que ça marchera toujours mieux une photo humoristique, colorée… Laurent : qu’un peu sombre, noir et blanc. J-C B : Voilà. Après, il y a des grands écrivains qui sont très forts en aphorismes, ça passe très bien par Twitter, peut-être, ou par des choses comme ça. Proust, je ne suis pas sûr que quelqu’un qui a ce style-là ait envie de le mettre sous cette forme-là. Donc je pense que ça dépend aussi de…, l’idée c’est qu’est-ce qu’il a envie de construire ? Pourquoi il fait ce travail ? Est-ce que c’est pour se faire reconnaître assez rapidement, ou pour avoir des commandes ? Là je pense qu’il faut jouer de toutes les possibilités et qu’il ne faut pas les refuser. Quitte à arroser et espérer que dans le lot on attrape des bons poissons. Donc je ne suis pas du tout contre ça. Après il y a le danger qu’on soit, comment dire, un peu galvaudé, on a un peu abattu toutes ses cartes. Pour moi, la meilleure solution, c’est de faire des sortes de workshops, ou… Les lectures de portfolio, quand on est déjà prêt, pas tout à fait au début, quoi. Il y a beaucoup de workshops qui ne sont pas très chers. Moi, j’en donne dans des – je parle des miens parce que c’est ce que je connais le mieux, c’est pas du tout pour faire la publicité –, qui sont organisés, même autour des clubs photo, qui sont vraiment beaucoup moins onéreux que d’autres, qui sont effectivement plus poussés comme à Arles, comme dans des festivals. Moi j’ai commencé par ce workshop avec Salgado, donc… Thomas : Donc, faites des workshops avec Salgado. J-C B : Il n’en fait plus depuis longtemps, il en a fait deux dans sa vie, je crois, j’ai eu la chance. Mais il était totalement inconnu, je me suis inscrit, je ne savais rien, il n’avait pas encore fait… Thomas : Il avait encore des cheveux ? J-C B : Il avait des cheveux, il faisait de la photo couleur. Il avait déjà fait des photos noir et blanc, mais commercialement il était obligé de faire de la couleur. Ce que je veux dire, c’est que moi j’ai commencé par ça parce que je pense que c’est pas mal à un moment d’être dans l’échange avec un professionnel. Il n’a pas besoin d’être célèbre. Ça peut passer par… il y a plein de moyens, mais ça peut être aussi des blogs comme les vôtres, ça peut être… On prend la source d’information un peu partout. En fait, c’est très facile de commencer et d’entamer, la complexité c’est d’avancer. Et là, il n’y a pas de…

Mener un projet au bout

Thomas : Du coup, comment on mène un travail jusqu’au bout ? Comment on arrive jusqu’au bout quand on se lance sur un projet comme ça de plusieurs mois sur un gros sujet ? Qu’est-ce qui, toi, te motive par exemple, à dire : je termine ça et je vais jusqu’au bout et je veux le faire ? J-C B : Pour mon cas, je le sais, pour les autres je pense qu’il faut qu’ils trouvent les réponses. Pour les autres, il y a quand même beaucoup, maintenant, d’appels à candidatures. Je pense que démarrer, c’est pas très difficile, maintenant. Il y a beaucoup d’endroits où on a besoin de « sang neuf », de gens qui arrivent. Souvent c’est des appels des expos collectives sur 6, 8 ou 10 photos. Alors, moi je trouve ça trop peu, mais l’avantage c’est que c’est assez démocratique, c’est-à-dire que c’est assez facile… Il y a beaucoup de candidats donc il y a peu d’élus, mais c’est quand même assez facile de retrouver ses photos exposées. La vraie complexité, c’est qu’on va peut-être décrocher deux trois expos sur deux trois ans dans des petits festivals, et puis ça ne débouche sur rien après. Donc après il y a un côté un peu dépression, parce qu’on aurait envie, comme on a lancé quelque chose, que ça rebondisse. Pour certains ça rebondit, mais pour beaucoup non. Donc il faut avoir une espèce de foi. C’est un chemin personnel, il faut y croire, parce qu’économiquement c’est difficile, tout le monde le sait. Et « psychologiquement » aussi, parce que c’est pas facile de vendre son travail, et pour personne, hein, il ne faut pas croire. Tout le monde croit que c’est facile pour les autres et pas pour soi, mais tout le monde a du mal. Moi, c’est beaucoup plus facile pour moi de vendre le travail de quelqu’un d’autre que le mien. Parce que je suis trop impliqué. Mais, voilà, c’est plus facile de trouver pour un copain ou une copine que pour soi des fois. Donc, voilà, il faut effectivement à un moment se dire : qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire ? Et puis il y a une question budgétaire qui arrive. Pour mon cas, en fait, j’ai une façon de travailler peut-être atypique, je ne sais pas. Pour moi il n’y a pas de modèle, chacun essaie de trouver son chemin. Moi je suis plutôt quelqu’un qui aime bien me lancer dans plein de projets, et qui à un moment se dit : je vais essayer de finir celui-là, pour telle et telle raison. Là, par exemple, je viens de finir ce livre sur la Havane. Les premières photos, c’était il y a presque 30 ans, 25 ans, c’était un projet latent, Cuba m’intéressait, son évolution, et puis là j’ai trouvé que j’avais assez de matière, je l’ai un peu montré, et je me suis dit : tiens, c’est un peu l’occasion. Et puis je vais exposer ça en janvier à Saint-Brieuc. Donc ça s’est fait un peu comme ça, cette espèce de synergie. Donc, là, une fois que le livre est fini. Thomas : Le livre qui sort le ? J-C B : Il sort début février, aux éditions Loco. Thomas : Courez dans vos librairies. J-C B : Voilà. Il est très beau et pas très cher. Mais une fois que le livre sort, en fait le travail est déjà fini depuis un moment, on va dire. C’est toujours la particularité, j’en parle, mais je suis déjà parti sur d’autres idées. Et là je suis vraiment en phase de, quand j’ai fini un livre, j’essaie, je fais plein de tirages, avant que vous arriviez j’étais en train d’imprimer des photos. Je fais des boîtes avec des photos, je fais des maquettes. Et je ne sais pas encore, j’ai cinq six idées possibles, je ne sais pas lequel je vais « achever ». Pour le prochain, ça va se faire… Ou c’est moi qui prends la décision ou c’est quelqu’un à qui je montre. On est tous, quand même, je pense, il y a un moment aussi où quelqu’un nous dit : tiens, ça serait bien… Si quelqu’un nous aide aussi financièrement à faire le livre sur ce sujet-là, ça va être un déclic supplémentaire ; ou une invitation dans un lieu à exposer et on se dit : tiens, ce serait bien de sortir le livre à ce moment-là. Ou des fois on a juste envie, on se dit : j’ai plus envie de continuer, ce projet, ou je l’abandonne ou je le finis. Thomas : Et dans tout ce processus, il y a une étape que, toi, strictement personnellement, tu préfères ? Est-ce que c’est ce moment de flottement au début où tu fais un peu tout, où tu tâtonnes, tout ça ? Ou est-ce que c’est la fin, la mise en forme, le fait de le montrer ? Est-ce qu’il y a un moment qui est le plus gratifiant et que tu préfères, personnellement ? Ou c’est l’ensemble du processus. J-C B : Moi, il y a un moment que j’aime bien, souvent je disais ça pour l’argentique ; l’argentique, il y avait quelque chose, je crois que je n’étais pas le seul parce que j’en ai parlé. Il y avait un moment quand on développait les films. On voyait le film en négatif, on voyait les photos en négatif, on les trouvait pas mal, quoi. Après on faisait une planche contact et on était totalement déprimé. En fait, à la prise de vue on avait mis plein d’espoir, en développant on était super content, à la planche contact on était déçu. Et petit à petit, avec les tirages de lecture… En fait, il y avait tout ce processus que, moi, je continue à garder un peu en numérique. C’est-à-dire, c’est vraiment un travail par étape. Des fois je fais la sélection des photos, mais ça peut être 5 ans après les avoir faites, la sélection finale. Moi je pense, dans mes stages je leur explique qu’il faut laisser du temps. Il y a ces phases un peu différentes. J’aime beaucoup le moment où je découvre les photos. Souvent je suis déprimé, ça va mieux, mais il y a quand même cette excitation. Parce que moi, je ne regarde pas beaucoup sur le terrain. Je ne suis pas quelqu’un qui regarde sur l’écran tout le temps, qui le soir édite ses photos. Quand je pars faire 15 jours de photos, je regarde de temps en temps pour être sûr quand même qu’il y a une image, mais j’ai gardé un peu le principe. Et des fois je reviens avec beaucoup de photos. Mon dernier voyage à Cuba, par exemple, j’ai tout regardé après. Sur place je n’ai rien regardé. Je n’aime pas du tout l’idée d’être juge et parti en même temps, je trouve que c’est très compliqué. Sauf si on est dans un boulot professionnel où, là, on est inquiet, on veut montrer pour être sûr qu’on est bien sur la bonne voie, mais quand on est son propre commanditaire… Donc, voilà, je fais ça. Et je fais un premier éditing rapide, donc pas trop draconnien, où je vais garder 30 % un peu de ce que j’ai fait. J’aime bien le moment où je jette plein de photos, où je me dis il y en a un peu moins, et ça. Après, je laisse dormir et j’aime bien, après, le moment où je fais les premiers tirages, où pour moi ça devient une photo, selon ce que je disais tout à l’heure. Jusque là c’est un peu latent, mais on appelait l’image latente, quand on faisait une photo en argentique, elle était dans le film et tant qu’on ne l’avait pas développée, elle n’est pas apparue. Elle était là, mais elle n’existait pas. Et moi je suis encore un peu dans cette logique-là. C’est-à-dire que tant qu’elle n’est pas passée dans mon imprimante jet d’encre ou dans le labo argentique quand c’est de l’argentique, elle naît que là. Comme elle naissait dans la chambre noire quand elle apparaissait. Ça, c’était le moment de bonheur extrême, la photo qui apparaît dans la lumière rouge. Il y a quand même des générations de gens qui ont aimé la photo pour ça. La première fois qu’on a amené un gamin voir ça, je l’ai encore fait récemment, c’est quand même beaucoup plus magique que de voir sortir une feuille d’une imprimante. Ce n’est pas le même cérémonial, c’est pas la même… C’est comme un artisan qu’on voit, je ne sais pas, ou un cuisinier extraordinaire dont on voit sortir le gâteau qui a gonflé, et qui est parti d’un petit truc, ça sent bon, enfin, il y a un moment de bonheur. Le tirage, pour moi, est ce moment-là. Et après, le moment, effectivement, où je trouve la logique de la maquette ou de l’ensemble, où je me dis : tiens, ça tient. Après je le montre un peu à des gens. Je pense qu’il faut montrer, mais pas trop vite. Parce qu’il faut quand même… au départ on va avoir plein d’avis dans tous les sens. Donc, moi, je le montre quand vraiment c’est… Si je prends la métaphore de la maison, j’ai construit les murs, l’électricité est faite, la plomberie, voilà, on est au moment de choisir le papier peint. Donc j’ai trois choix de papier peint, je demande : est-ce que ça vous plaît ou pas ? Mais je ne vais pas commencer à demander avant, et est-ce que je fais 3 pièces, 4 pièces ou est-ce que vous pensez que je mets le garage en bas ou à droite ? Parce que là, du coup, tout le monde va donner un avis différent, et finalement on ne sait plus où on va. Donc je construis ma maison, je sais que je veux une maison de trois étages, avec le garage en bas. Mais après, je pense qu’au moment où on est dans les finitions, c’est bien de montrer un peu. Et c’est là où les lectures de portfolio sont utiles, je pense. Parce que les lectures de portfolio, c’est à deux moments. C’est ou on montre un travail fini pour décrocher une expo – toujours l’idée du portfolio –, ou alors on montre un travail en cours pour voir un peu comment le finaliser, parce qu’on est un peu en panne ou que tout simplement on a envie de savoir lesquelles sont les plus pertinentes, de photos, les plus intéressantes. Donc ce moment-là est assez excitant aussi quand on trouve le « lien », quand on tient l’histoire. Parce qu’on a plein d’histoires en tête, enfin, en tout cas c’est mon cas. Je ne suis pas quelqu’un qui définit tout à l’avance. Après, je pense qu’il y a des photographes qui sont très très organisés au départ. Moi j’aime bien l’idée de faire beaucoup de photos en trop, en gros, et puis à un moment de resserrer, resserrer, sculpter ma matière et trouver… Là, des photos, j’en avais… mais le pire, c’était sur l’Europe, à un moment j’avais sur cette table 1 400 tirages, que j’aimais beaucoup. Laurent : C’est un peu beaucoup pour un livre. J-C B : C’est un peu beaucoup, j’en ai quand même gardé 220, mais ça m’a pris 2 ans. J’élimine, et puis le lendemain je regrette, et puis je reviens, et puis… Et puis à un moment j’ai trouvé le découpage, les chapitres. Donc c’est assez excitant comme travail, et un peu, des fois, comment dire…, désorientant, ou un peu démoralisant, parce que des fois on a un peu l’impression que de toute façon les autres ne verront pas la différence, en gros. Et puis que soi-même on pédale, en fait, on ne sait plus très bien. Parce qu’à un moment il faut décider de « tuer » des photos qu’on aime bien. Et puis il faut accepter que personne ne les verra et puis voilà. Et tout le monde s’en remettra très bien, tout le monde vivra très bien sans nos photos. Mais nous, on a toujours un peu de mal. Une photo qu’on a portée, des fois c’est des photos dont on croyait qu’elles allaient… et finalement elles ne sont pas dans le livre, dans les expos, et c’est la vie et c’est comme ça. Et puis la sortie du livre, c’est plutôt une angoisse, quoi. Thomas : C’est vrai ?! J-C B : Oui, parce que… Puis après, bon, c’est aussi un bonheur, mais comme souvent, parce que c’est définitif, quoi. Donc moi quand je le regarde, pendant trois semaines je ne vois que les erreurs. Je me dis : peut-être que j’aurais pas dû mettre ça, ou là il y en a une qui… Il n’y a que moi qui vois. Là-dedans, j’ai vu deux petits trucs que je n’aurais pas dû laisser passer comme ça. Thomas : Donc il faut les trouver ? J-C B : Non, même le photograveur ne les avait pas vus, donc voilà. Après, c’est logique, je pense qu’on est tous comme ça. Parce que là, le problème, c’est quand tu reçois le livre, eh bien, il n’y a pas de deuxième chance. Un livre numérique, oui. C’est l’avantage du livre numérique ; tu en fais un et puis tu ajustes, puis tu en refais un autre, et… Là, c’est un gros budget, donc on en imprime, je ne sais plus si c’est 700 ou 800, et après il n’est pas question de, enfin, sauf s’il y a une erreur manifeste de l’imprimeur, mais si c’est juste toi qui. Thomas : C’est Jean-Christophe « Bachet » sur la couverture J-C B : Voilà, c’est ça. Tu as fait une faute d’orthographe, ou autre, et tu te dis : putain, mais pourquoi j’ai pas pensé à mettre ça comme ça ?! C’est définitif, donc c’est vrai qu’au départ tu regardes ce travail un peu avec l’angoisse. Donc pendant un mois, voilà. Et en fait, c’est deux ou trois ans après, souvent, que je suis content, que je le reprends et que. Récemment j’ai repris un de mes anciens livres. Laurent : Il y a un lâcher-prise. J-C B : Il y a un lâcher-prise et tu es content d’avoir fait ça et de te dire : tiens, finalement, ça tient encore la route. En tout cas, c’est mon témoignage personnel, après, chacun a des rythmes différents. Mais c’est vrai que la sortie du livre est plutôt… Après, tu te dis aussi… Parce qu’en fait, personne ne dit qu’il ne l’aime pas, mais tu le sens quand ça se vend pas ou qu’il y a moins d’intérêt. On a quand même des antennes quand on fait quelque chose. Mais pour tout le monde, je pense. Tu fais un repas, tout le monde te dit que c’est très bon et tu vois bien qu’ils n’ont pas autant aimé. Thomas : Du coup, si vous avez aimé le livre de Jean-Christophe qui sort en février, pensez à le lui dire. Ça fait toujours du bien. J-C B : Et là, La Havane, il démarre bien, parce que je l’ai déjà montré un peu au salon de la Photo, et c’est vrai que je suis un peu rassuré, parce qu’il est bien perçu. Non, je veux dire, je suis un peu sûr, à force, de certaines choses, il ne faut pas non plus… Mais, c’est toujours quand même quelque chose, il y a tellement de livres qui sortent que même si le livre est pas mal, il peut passer complètement à l’as, inaperçu. Laurent : Il suffit qu’il y en ait deux trois qui sortent à ce moment-là. J-C B : Oui, en plus on est trois à avoir fait des livres sur Cuba en noir et blanc en même temps, et je trouve ça vraiment intéressant, au contraire. Je ne suis pas du tout dans la compétition, je trouve que ça montre que, ben, trois photographes français qui avaient envie de parler de Cuba en noir et blanc. Donc, avis à un curateur, je le disais récemment à quelqu’un, je trouve que ce serait intéressant des fois de rassembler plusieurs photographes qui au même moment ont travaillé sur le même lieu, à la fois de la même façon, les autres livres sont très différents et ils sont aussi très bons, mes deux camarades (il y en a un que je ne connais pas). Thomas : Tu peux donner les noms pour les lecteurs qui voudraient s’intéresser aux autres travaux ? J-C B : Oui, il y a Gilles Roudière qui s’appelle Trova chez Lamaindonne, et Pierre-Eli de Pibrac chez Xavier Barral qui est Desmemoria, qui est plutôt sur la canne à sucre à Cuba, qui a un peu de couleur, mais qui est principalement en noir et blanc. Quand j’ai vu que ces livres sortaient aussi, c’est des petits tirages, toujours, et on n’est pas dans une compétition d’audimat ni commerciale. Et je trouve que c’est intéressant de voir plusieurs auteurs français, d’âges différents, mais en activité. Je trouve que ça manque un peu dans la photographie, ce genre d’exposition, comment dire, qui ne sont pas que des expositions faites longtemps après la mort des auteurs, ou longtemps après la production. Après, peut-être que ces trois livres ne sont pas très bons – moi je pense qu’ils sont plutôt bons –, mais je pense que c’est intéressant aussi de raconter ça ; il se trouve que trois photographes français, on ne se connaît pas bien, en tout cas il y en a un que je ne connais pas du tout, on est allés là-bas et on a tous eu envie de photographier en noir et blanc en grande partie, et on a tous eu envie de parler de ce pays, avec sans doute des points de vue peut-être différents ou pas. Après, à chacun de juger. Et puis il y a plein d’autres travaux, sur d’autres thèmes – je parle de celui-là parce que c’est mon actualité, mais sur d’autres thèmes, il y a plein de gens qui travaillent en parallèle sur des choses, et de rassembler plusieurs regards, justement, c’est là où on verrait la singularité de chacun qui ne fonctionne pas que par la pure qualité visuelle, mais par le point de vue, l’histoire qu’il a envie de raconter… son engagement dans ce sujet.

Faire les choix

Laurent : Et du coup, sur ce titre, parce que tout à l’heure on a parlé un peu des choix qu’il y avait dedans, notamment le papier offset coloré au milieu et ce genre de choses, et j’ai envie de rebondir dessus depuis tout à l’heure, mais on a parlé de tellement de choses intéressantes. J’aimerais bien un petit peu, je ne sais pas, est-ce que tu as quelques exemples de pourquoi tu as fait tel choix à un endroit ? Tu vois ? Quel était le, sans évidemment tomber dans le… enfin, j’imagine qu’il y a une partie des choix qui sont instinctifs, mais est-ce qu’il y a des choses que tu pourrais expliquer ? J-C : Oui, par rapport au livre, il y a des choix assez, déjà par rapport au livre, tu vois, je voulais, par exemple, je ne voulais pas commencer par des pages blanches, je voulais commencer par des photos plein format, noires assez sombres, pour lancer un peu le thème. J’ai fait ça dans plusieurs livres, j’aime bien cette idée de lancer le thème. Quand on arrive à l’opéra, on s’assoit dans le noir et la musique démarre. Et on sait qu’on est chez Verdi, chez Wagner, voilà. Alors, je ne me compare pas à Wagner, mais j’aime bien l’idée de donner un peu… J’aime moins le livre qui commence par plein de texte. C’est un livre de photos. Donc au départ, il y avait l’idée donc ces photos ont été choisies pour être assez énigmatiques et lancer un peu la – comme ça s’appelle Habana Song, pour moi c’est une espèce de chanson un peu mélancolique – si c’était portugais, je dirais un fado – sur cette ville qui est à la fois fascinante, qui est restée dans son jus pour ceux qui la connaissent, et puis Cuba qui est ce symbole de la révolution « socialiste » et qui a résisté aux Américains, et qui est dans une position un peu intenable et qui tient. Donc il y a quelque chose un peu comme une chanson. Et j’aime beaucoup la musique cubaine aussi. Et donc, après il y a un petit texte, et après je réattaque ; effectivement, l’idée c’est de trouver un rythme. Là, on n’était pas d’accord avec l’éditeur. Il trouvait qu’on passait un peu du coq à l’âne, et moi j’avais envie qu’on passe d’un paysage à un plan serré ; et la gestion des horizontales et des verticales est assez travaillée, en ce sens. Parce que même je vais recadrer mes photos différemment selon qu’elles seront à l’horizontale ou à la verticale. En fait, comme le livre est pour moi plus important que la photo elle-même, le recadrage de la photo va dépendre du livre. Là, par exemple, c’est pas le format de la photo en expo. Pas tout à fait. L’homothétie n’est pas tout à fait la même. Parce que là il n’y a pas de marge, là, en revanche, il y a une autre marge. En fait, l’idée c’était de créer… Voilà, après il y a des doubles pages, il faut que la pliure passe bien aussi, donc il y a tout ce choix, ce rythme, d’avoir des pages blanches. Dans tous les livres, mettez des pages blanches. Pour le photographe, c’est toujours douloureux de penser que c’est mieux rien que sa photo, mais c’est un silence, c’est un peu une respiration, ça met en valeur les photos. Et donc je voulais effectivement créer un peu, comme ça s’appelle une chanson – Habana Song –, on a des refrains, et puis il y a des moments qui reviennent. Mais en même temps, c’est pas tout le temps les mêmes mots, c’est pas monotone. Essayer de créer un rythme. Donc il y a des personnages qui reviennent. Eux on les retrouve un peu à la fin. C’est un petit peu ça l’idée, et puis effectivement de créer des doubles pages qui ont du rythme. Donc je crée des doubles pages, puis des ensembles, et puis j’essaie petit à petit, et puis à un moment, je trouve que la mélodie fonctionne. Puis je la montre à l’éditeur ; l’éditeur participe aussi. Éric, des éditions Loco, Éric Cez est venu ici deux trois fois. À des moments il me dit : non, là, ça va. Là, il me dit : ce passage-là, je ne suis pas convaincu. Donc je le retravaille et je lui présente autre chose, des fois. Il y a cette idée-là de jouer. Mais c’est vrai que, pour moi, un des gros travaux, c’est de choisir. Là, c’était plutôt son idée de mettre celle-là plus petite que celle-là. C’est des discussions comme ça, il me propose et on discute, et en général j’accepte. J’ai beaucoup avancé moi-même, donc après je peux accepter, il faut aussi accepter les avis de l’éditeur, ou d’un curateur quand on fait une expo. Moi j’aime bien aussi que les autres donnent leur avis et interviennent. Et il y a des passages qui n’étaient pas forcément prévus au début, et qui sont devenus après un peu évidents. Par exemple, cette double page pour moi s’est imposée assez vite. Donc assez vite, je me suis dit : ces deux photos. Des fois il y a des doubles pages que je trouve ; alors il n’y a pas d’autres explications, le corps de ces enfants et puis là ces écoliers, je trouvais que le sombre et le clair donnaient une bonne dynamique et que c’était des photos qui se répondaient bien. Et souvent, le choix, c’est quelle photo je mets en double page, il y a un rythme. Donc là, il y avait l’idée d’avoir deux doubles pages qui se succèdent souvent. Pour donner un peu d’ensemble. Ça, c’était aussi une photo que je trouvais assez importante, donc j’avais envie qu’elle soit mise en valeur. Et si on prend une séquence, on va partir de là, il y a un dessin de Che Guevara à la craie, j’aimais bien cette idée, qui pour moi fait un écho au fil de fer qu’on retrouve là. Là c’est la voiture qui est emballée, qui est protégée, et on retrouve le fil de fer avec ce chien qui dort, puis quelqu’un qui est derrière le grillage. Donc en fait, il y a un peu, comme ça, des balades. Laurent : Des mélodies J-C B : Mélodie et puis là l’enfermement, et puis on passe à cette photo aussi où on retrouve des structures de métal. Et après, voilà. Donc il y a un peu comme ça des ambiances, comme un petit couplet d’une chanson qui est plus sur cette partie-là. Il y a des livres où c’est beaucoup plus « sur le fond » aussi, mais là comme tout le thème est sur La Havane et que tout est un peu une balade comme ça, mélancolique. Et c’était un peu aussi de se laisser guider, comme quand on erre dans ces villes, enfin, quand on se balade dans ce genre de villes, je crois qu’il ne faut pas se dire trop précisément : aujourd’hui, je vais faire ça, ça et ça. Il faut marcher pour… Laurent : et se perdre. J-C B : Voilà, et respirer l’air, regarder ce qui se passe, se laisser un peu… Et les plus beaux voyages, pour moi, c’est ceux qui sont un peu improvisés. Pas organisés, en tout cas, en groupe. Donc voilà, c’est comme ça que je vais essayer de construire le livre et d’essayer de lui donner une personnalité. La personnalité, tout à l’heure on en parlait, c’est aussi ces choix de format, de blanc, les titres, les grandes photos. Ce n’est pas le plus chaotique, mon livre sur Marseille est une espèce de délire, de chaos, mais je suis assez content d’avoir fait ça comme ça, il y a vraiment tout ce qu’on peut imaginer : du panoramique, vertical, horizontal, du carré, de la couleur, du noir et blanc, du numérique, de l’argentique, de la diapo, tout ça. Parce que c’était une sorte de livre de mémoire. Et l’idée c’était vraiment compliqué de mettre tout ça ensemble et voilà, c’était un peu le défi, quoi. Là, c’est beaucoup plus homogène, il n’y a que du noir et blanc. Donc chaque projet a sa propre logique.

L’œuvre et son interprétation

Thomas : Du coup, retenez d’analyser les séquences des bouquins de Jean-Christophe, mais des autres photographes, parce qu’il y a plein de choses à apprendre pour vous, la présentation de vos livres, et pour la compréhension des photographes en question, je pense. J-C B : Oui oui, mais le livre comme l’expo. Moi j’insiste aussi beaucoup là-dessus maintenant dans mes stages ; je dis : je peux aimer un livre sans aimer les photos. Et réciproquement. C’est-à-dire qu’un livre de photos, c’est pas que des photos. En expo aussi ; j’ai visité récemment une expo, j’ai dit à des gens : écoutez, j’aime beaucoup les photos, j’aime pas l’expo. Ils étaient surpris. J’ai dit : non, je n’aime pas l’expo. Quand vous allez au théâtre, j’aime beaucoup Le Misanthrope de Molière, je peux ne pas aimer cette mise en scène. Ou je peux trouver les acteurs pas très bons. Ce n’est pas pour autant que je vais dire que la pièce de Molière est pas bonne. Et en fait, la photographie, il y a une œuvre, il y a des photos, et après il y a une interprétation faite par un curateur dans une expo, avec des formats, ou par l’auteur. Et le livre aussi. Il y a des livres où je suis gêné par la maquette. Je n’aime pas le choix du papier, alors des fois c’est pour des contraintes économiques, je le sais, mais après, moi je suis spectateur. C’est comme si on va voir un spectacle et qu’il n’est pas très bon parce qu’il n’a pas les moyens qui soient bien, bon, ben je suis quand même déçu. Thomas : J’ai eu le cas il n’y a pas très longtemps. C’est Hazan qui a réédité La Trilogie de Ralph Gibson, et la Trilogie de Ralph Gibson, je pense que tu vas partager mon avis, c’est un monument de la photographie absolu, c’est magnifique, et je pense que c’était un peu le catalogue de l’exposition et pour des contraintes de budget ils ont fait quelque chose d’assez simple et le papier n’est pas très beau. Et personnellement ça m’a un peu déçu. Le travail était exceptionnel et l’objet n’était pas à la hauteur. Et j’aime vraiment beaucoup les photographies, j’aime l’œuvre, mais… J-C B : Oui. Il faut acheter les originaux. ^^ Laurent : J’ai un livre que j’ai acheté récemment, découvert à Photo Fever, il y avait un libraire et puis j’ai ouvert ce truc-là parce que la couverture m’attirait, et j’ai regardé. Et donc, ça s’appelle Remembering the Future de Albarràn et Cabrera. J-C B : Oui, je l’ai comme livre aussi. Laurent : Bon, on n’est pas étonnés. Eh bien, là, c’est l’exemple typique, c’est que je ne suis pas vraiment sûr de mon sentiment par rapport aux photos, par contre le bouquin, le fait qu’il se lise dans les deux sens, et qu’il y a un véritable écho. J-C B : Il y a différentes couv, on peut choisir sa couv. Laurent : Oui, en tout cas il y a un travail d’édition et c’est vrai que même si sur les photos je ne suis pas encore sûr de mon sentiment – peut-être que j’aime bien, mais je ne suis pas encore sûr, je n’ai pas décidé –, par contre sur le livre, j’étais sûr que oui, OK, il y a quand même un travail qui est assez incroyable. J-C B : Oui, voilà. Et puis des fois il y a des travaux que je trouve pas très forts en photo qui sont sauvés par une belle mise en « scène » dans une expo. Il faut arriver – alors là, effectivement, ce n’est pas facile pour des non-spécialistes, mais les gens qui aiment la photo, il faut arriver à séparer, des fois, la photo de sa mise en scène. Mais comme on le fait en musique ou au théâtre, on peut aussi ne pas aimer les arrangements de tel morceau, on peut tout à fait aimer cette musique et pas cette interprétation. Et la photographie, alors des fois c’est l’auteur, mais des fois c’est pas l’auteur, parce qu’il y a aussi des expos posthumes, je parle aussi d’expos de photographes morts. Il y a des expos que je vois de grands photographes, je suis déçu par l’expo. Ça ne veut pas dire que je trouve ce photographe pas intéressant. Ou par des livres. Donc il faut arriver à séparer le contenant et le contenu. Mais c’est pour ça aussi – alors, je prêche pour ma paroisse – que je dis qu’il faut aussi aller voir des expos d’artistes vivants, acheter des livres de photographes vivants, parce que c’est leur œuvre, le livre. Ce n’est pas qu’un recueil d’images fait a posteriori pour une espèce de « dictionnaire » ou d’œuvre mémorielle. C’est tout à fait légitime, mais il y a quelque chose dans le livre, surtout maintenant où tout le monde travaille sur sa maquette. Le livre n’est pas le recueil de bonnes images, c’est l’œuvre. Thomas : Ce n’est pas un best of. J-C B : C’est pas un best of et c’est vraiment un tout. D’ailleurs il y en a énormément qui sont vraiment une espèce de dialogue entre le fond et la forme. Et puis il y en a où on sera sensible, comme tu l’as été pour Albarràn et Cabrera, d’autres qui vont trouver que cette photo-là est trop esthétisante ou trop déconnectée du réel ; c’est beau, mais ça ne me dit rien. Et puis d’autres non. Mais c’est sûr que les mêmes photos tu les verrais dans un autre contexte, imprimées sur un papier banal avec une maquette banale, je suis sûr que le livre n’a aucun intérêt. Enfin, n’a pas le même intérêt, en tout cas. Donc c’est ça qui est compliqué avec la photo, aussi, c’est qu’elle existe beaucoup en fonction de son contexte de présentation. Donc on revient à notre point de départ, c’est l’objet. C’est-à-dire que c’est pas les images d’Albarràn et Cabrera sur un écran, peut-être que tu aurais dit bon c’est joli, puis tu n’aurais pas plus. Laurent : Ça ne m’aurait pas fait le même effet, c’est sûr. Thomas : La boucle est bouclée, du coup. J-C B : Mais c’est ce qui donne aussi l’intérêt à la photographie, c’est un art – on peut peut-être finir là-dessus parce qu’on a été bavard, surtout moi –, c’est un art à la fois éminemment démocratique, que tout le monde pratique, et éminemment élitiste. Éminemment facile et éminemment compliqué. Pour moi c’est toujours l’ambiguïté de la photo, c’est que tout le monde a un avis sur la photo, parce que tout le monde en fait. Souvent je dis à des amis qui sont… j’ai un ami qui est musicien en guitare classique contemporaine baroque, je lui dis : tu as l’avantage que tout le monde ne peut pas arriver, prendre une guitare et jouer de la guitare classique, ou de la harpe ou de je sais pas quoi. Nous, tout le monde peut prendre un appareil photo et faire des photos pas trop mal, donc c’est plus compliqué de montrer notre savoir-faire, notre différence. Donc, nous, c’est très facile d’accès, et du coup ça devient très difficile de se différencier, en fait, c’est très difficile d’exister comme artiste, artisan. Et surtout que ça part dans toutes les directions. Parce que dans le même mot… En musique, je reviens à la musique, malgré tout, on a créé des catégories. Moi je ne suis pas forcément pour les catégories, mais malgré tout on parle de musique classique, de jazz, de rock, de pop, je sais pas, de rap. Même si certains passent de l’un à l’autre, globalement on sait quand même un peu quel genre. Quand j’entends heavy métal, même s’il y a dix noms différents pour l’expliquer, je sais que je ne suis pas dans un monde, je sais qu’on n’est pas à la philharmonique avec Chopin ou Beethoven. Ça ne veut pas dire que c’est mieux ou moins bien, mais c’est qu’on a défini un peu des univers. Il y a des magazines qui parlent que de musique classique, des magazines qui ne parlent que de musique urbaine. En photo, on n’a pas vraiment – bon, il y a des magazines un peu plus spécialisés, mais globalement, et même dans les autres domaines, on n’a pas vraiment délimité ça. On peut avoir des festivals de photojournalisme, mais globalement il y a beaucoup de choses qui sont assez floues, et pour la photographie c’est à la fois bien et à la fois compliqué, parce que du coup, les gens qui viennent voir une expo peuvent tomber sur une photo de reportage, sur du photojournalisme, sur Albarràn et Cabrera, et c’est très compliqué de décrypter tout ça quand tu n’as pas les outils, de passer d’une photo très très factuelle à une photo très poétique, très travaillée, très artificielle d’une certaine façon, très picturale. C’est pas les mêmes, c’est très complexe. Donc, la photographie, les photographes peuvent aller dans plein de domaines différents, il n’y a pas vraiment, forcément, la même… et du coup le système d’évaluation… et les appareils qu’on utilise, du coup, les besoins ne sont pas les mêmes, plein de choses sont très différentes. Donc c’est à la fois très facile et très compliqué, parce que très vaste et très peu cerné. Laurent : Oui, ce sera le mot de la fin. Jean-Christophe, merci beaucoup pour cette discussion. Thomas : Merci énormément. J-C B : Merci de votre patience. Laurent : Du coup, je vais vous mettre en description juste en dessous le lien vers Habana Song, ton nouveau livre, comme ça vous pourrez le voir sur le site de l’éditeur, comme ça vous saurez quoi demander à votre libraire. J-C B : Vous pouvez me contacter par mon site internet, n’hésitez pas. Je ne suis pas beaucoup sur les réseaux sociaux, mais je réponds quand on me contacte par mon site. Laurent : Il y aura tous les liens en dessous. Ainsi que les liens aussi de Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique et  Influences si vous ne les avez pas encore et que vous apprenez la photo, c’est quand même plutôt utile. Voilà, merci encore. Si vous voulez voir les prochaines vidéos, pensez à vous abonner pour ne pas les rater, parce qu’il y en a d’autres comme ça qui arrivent. On n’a pas l’intention de baisser le niveau, a priori ça va continuer comme ça. Et puis pensez à la partager autour de vous et à mettre des pouces bleus, parce que la vidéo longue sur YouTube, ça marche moins bien, donc si vous avez aimé – si vous êtes encore là normalement, c’est que vous avez aimé, parce que là on est vraiment à la fin – n’hésitez pas à la partager, parce que ça va beaucoup aider à ce que d’autres gens puissent la voir et c’est plutôt cool. Merci à tous. À bientôt dans la prochaine vidéo. Et d’ici là, bonnes photos ! J-C B : Bonsoir !   Son dernier livre de photographie, Habana Song : – Sur le site de l’éditeur : http://www.editionsloco.com/Habana-Song – Sur Amazon : https://amzn.to/2OAqvfG Ses livres à regarder absolument : – Carnets : https://www.jcbechet.com/?page_id=3407 – European Puzzle : http://www.editionsloco.com/European-Puzzle https://amzn.to/2ODfc6e

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
Télécharger l'article en PDF