Nous avons eu le plaisir de rencontrer Jean-Luc Monterosso, qui a dirigé de 1996 à 2018 la Maison européenne de la photographie, un des lieux majeurs de la photographie en France.


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Salut ! Ici Laurent Breillat pour Apprendre la Photo. Je suis avec Thomas Hammoudi – vous l’avez reconnu, je pense –, et aujourd’hui, on va interviewer Jean-Luc Monterosso.
Dis-nous qui c’est.

Thomas : Alors, Jean-Luc Monterosso, c’est le fondateur, enfin la personne qui a participé à la fondation de la Maison européenne de la photographie, qu’il a dirigée pendant plus de trente ans. Donc il a vu beaucoup, beaucoup d’artistes, et il a fait beaucoup beaucoup d’expositions pendant ce temps-là, donc ça va être très intéressant, je pense, d’en discuter avec lui.

Laurent : Oui, surtout que la MEP, en France, c’est quand même un des lieux extrêmement importants de la photographie, avec le Jeu de Paume, Arles, enfin il y a quelques institutions comme ça qui sont vraiment très importantes et puis, qui ont une aura.
Et c’est vraiment une très grande fierté de pouvoir lui parler aujourd’hui.
Et on est aujourd’hui à la Fondation Henri Cartier-Bresson, qui a la gentillesse de nous accueillir, donc merci à eux.

Thomas : Merci beaucoup.

Laurent : Eh bien, c’est parti !

Présentation de la Maison européenne de photographie

Jean-Luc Monterosso, bonjour et merci beaucoup de cette opportunité de discuter avec vous.

Ma première question, c’est sur la Maison européenne de la photographie, qui a ouvert en février 1996 à Paris, que vous avez dirigée jusqu’à l’année dernière. Je ne sais pas si tout le monde la connaît parmi mon audience, donc je pense que ce serait bien d’un peu la présenter. Est-ce que vous pouvez nous expliquer la raison d’être de ce lieu, pourquoi il était nécessaire, comment il a évolué avec les années ? Et puis sa place aujourd’hui dans la photographie.

J-L Monterosso : C’est un lieu qui se situe à Paris, dans le quartier historique du Marais. C’est un hôtel particulier qui a été offert par la Ville, et donc financé aussi par la Ville. Et je l’ai dirigé pendant 22 ans, et pendant 8 ans, j’ai suivi les travaux. Nous avons choisi, avec Henri Chapier, le lieu, et nous avons mis en place le programme.
Alors, c’est quoi cette Maison européenne ? Eh bien, c’est un musée de la photographie avec une grande collection, une des plus importantes en Europe aujourd’hui, de photographie contemporaine.

C’est aussi une grande bibliothèque de 33 000 ouvrages sur la photographie. Et c’est également un centre de recherches, un auditorium avec des conférences, des débats. Et je dirais que les deux pères fondateurs, en quelque sorte, spirituels de la Maison, c’est Robert Franck et William Klein. Pourquoi ? Parce qu’ils sont d’abord tous les deux de grands photographes, qu’à un moment donné ils ont abandonné la photographie pour faire du cinéma, donc il y a également une vidéothèque, très importante, à la Maison européenne de la photographie. Et puis parce qu’ils ont été producteurs de leurs propres livres, et donc la bibliothèque.

Quelle exposition vous a le plus marqué ?

Thomas : Du coup, j’avais une question un peu plus basique : pendant toutes ces années, vous avez fait plein d’expositions, est-ce que dans toutes celles-là, il y en a une qui, maintenant, avec le recul, vous a un peu plus marqué ? Où vous vous dites : celle-là, j’ai vraiment aimé la faire, ça a vraiment été intéressant à mettre en place. Quelqu’un que vous êtes content d’avoir fait connaître, à la Maison européenne de la photographie.

J-L M : Alors, c’est vrai qu’à la Maison européenne de la photographie on a fait beaucoup d’expositions, puisqu’il y avait quatre saisons par an. J’ai souhaité que ce soit très largement ouvert, mais alors, curieusement, vous savez, quand on est directeur d’une maison, la partie artistique, créative, le commissariat d’exposition est relativement mince.
On arrive à faire une exposition tous les deux ou trois ans.
Donc, si vous voulez, en fait, moi j’ai réalisé en tant que commissaire – ce qui est la partie la plus intéressante, finalement, quand on produit une exposition –, j’en ai peut-être réalisé une dizaine en tout.
Alors, lesquelles ?
Bien sûr, l’exposition « Enfermement » de Bernard Lamarche-Vadel ; une exposition que j’ai faite avec Farideh Cadot qui s’appelle « Markus Raetz et la photographie ». Markus Raetz est un grand plasticien ; j’ai toujours eu à cœur aussi de montrer que la photographie, ce n’est pas seulement la photographie des photographes, mais aussi la photographie réalisée par des artistes.

Thomas : Ça, ça n’a pas toujours été bien vu.

J-L M : Et par des plasticiens. Je pense qu’il n’y a jamais eu de problèmes, dans la mesure où c’est une ouverture vers l’art contemporain. Et je crois que c’est ce qui se passe aujourd’hui. Les jeunes, comme vous par exemple, font de la vidéo, des installations, de la photographie, de la peinture, même. Ils mélangent tout. Il y a une grande liberté d’expression. Et je crois que la MEP était un peu en avance là-dessus, dans les années 2000.
Alors, bien sûr, j’ai beaucoup aimé faire l’exposition de William Klein, « Paris + Klein ».

Thomas : C’était en quelle année ?

J-L M : C’était en 2000. Bien sûr, il y a eu l’exposition Bettina Rheims.

Thomas : C’est plus récent, Bettina Rheims.

J-L M : Et puis il y a eu plus récente… Non, il y en a eu deux. Il y a eu Idri qui m’a valu quelques petits soucis avec la censure ; parce qu’il y a quand même eu une censure, malgré tout, invisible en France.

Thomas : À Paris ?! Il y a eu de la censure ?

J-L M : Invisible. Avec Pierre et Gilles aussi. Pierre et Gilles, nous avons été les premiers à fêter leurs 20 ans, en 1996. Et j’ai eu pas mal de problèmes, effectivement, parce qu’ils n’étaient pas assez connus, comme aujourd’hui.
La censure invisible, ça s’est manifesté par une perte de 250 000 euros sur le budget.

Thomas : D’accord, parce que les sujets étaient… Alors, Pierre et Gilles, pour les auditeurs qui ne le savent pas, c’est… ils sont ensemble ?

J-L M : C’est un couple. Alors Pierre photographie et Gilles peint sur les photos. Donc ils réalisent des photos uniques. Ils font partie des rares artistes connus à l’étranger, très connus à l’étranger. Comme Bernard Faucon, par exemple, comme Valérie Belin. Et il y a Pierre et Gilles, également.

Thomas : Pierre et Gilles ont une esthétique très pop, acidulée, colorée.

J-L M : Oui, des artistes un peu, ils n’aiment pas le mot, mais un peu kitsch, mais c’est un kitsch joyeux et salvateur.

La photo est-elle arrivée trop tard à l’Académie des beaux-arts ?

Laurent : Alors, je passe un peu du coq-à-l’âne, ce n’est pas directement lié aux expositions de la MEP, mais la photographie est rentrée petit à petit à l’Académie des beaux-arts ; il y a maintenant Sebastiao Salgado qui y est, ainsi que Bruno Barbey et Jean Gaumy qui y ont rejoint Yann Arthus Bertrand – assez récemment, en 2016, je crois –, et qui était – Yann Arthus Bertrand – le seul depuis le décès de Lucien Clergue à intégrer l’Académie des beaux-arts dans la section photographie.
Est-ce que vous pensez que c’est une arrivée un peu tardive, et que la reconnaissance de la photographie a peut-être été plus rapide ailleurs qu’en France ?

J-L M : Non, je pense que… Vous savez, l’Académie des beaux-arts, c’est une vénérable institution. On a la chance aujourd’hui d’avoir un secrétaire perpétuel – c’est comme ça qu’on l’appelle – qui est Laurent Petitgirard, qui est un chef d’orchestre, et qui est en train de moderniser complètement cette grande et vénérable institution. Et il a fait entrer non seulement la photographie, plus de photographes encore, et notamment nous pensons à certaines femmes photographes, bien sûr, mais aussi il a fait entrer des danseurs, des scénographes ; il a fait entrer Othoniel, il a fait entrer Fabrice Hyber. Donc il a rajeuni beaucoup l’institution, et c’est une institution qui bouge.

Alors, moi qui suis correspondant dans cette institution, au départ quand on me l’a proposé, bon, j’étais content, bien sûr, mais je me disais, bon, c’est une institution où on doit s’ennuyer un petit peu. Mais pas du tout ! Vraiment, il se passe toujours quelque chose à l’Académie des beaux-arts. Toujours. Et ça n’arrête pas.
Et en même temps, c’est devenu très créatif et très intéressant.
Et l’image est en train de beaucoup changer. Il y a une salle, maintenant, qui est ouverte, que Wilmotte, l’académicien Jean-Michel Wilmotte, a complètement rénovée, et dans laquelle on présente le Grand Prix de l’Académie des beaux-arts William Klein.

Vous savez qu’on a créé, grâce à un mécène et au musée de Chengdu en Chine, un peu le Nobel de la photographie.
C’est une somme très importante de 120 000 euros, donnée à un photographe qui a déjà une carrière importante. Et cette année, c’est un photographe indien, Raghu Rai, qui n’avait jamais exposé en France, qui a eu ce prix, et pour lequel on organise également une exposition.

Thomas : À l’Académie des beaux-arts ?

J-L M : À l’Académie des beaux-arts, dans cette salle qui vient d’ouvrir.

Thomas : L’Académie fait des expositions que dans le cadre de ce prix, ou elle a la vocation d’en faire plus ?

J-L M : Non, il y a un autre prix, qui est le prix Marc Ladreit de Lacharrière, qui s’adresse, lui, a des jeunes photographes qui sont en train de réaliser un travail et qui ont besoin d’être aidés dans la conduite de la poursuite de leur travail. C’est un prix important, qui a lieu tous les deux ans, de 40 000 euros. Toujours assorti d’une exposition.

Thomas : Du coup l’Académie des beaux-arts est présente à la fin des carrières pour un peu patrimonialiser, quelque part, et institutionnaliser, et aussi au début…

J-L M : Voilà, il y a à la fois un prix patrimonial et un prix de création en direction des jeunes. Il faut le savoir.
Oui, de l’extérieur parce que le bâtiment fait impression. C’est quand même une belle institution.

Thomas : Et puis il y a une tradition, il y a…

J-L M : Il y a une tradition, il y des costumes.

Thomas : C’est hyper classe.

J-L M : Et on se dit : ho la la, c’est un peu vieillot, mais pas du tout ! Pas du tout. Je vous assure que c’est très intéressant et surtout, ce qui est intéressant à l’Académie – enfin pour moi en tout cas –, c’est que je rencontre là des grands architectes, des grands musiciens, des plasticiens, et c’est des rencontres intéressantes et des discussions très intéressantes.

Thomas : Ça crée un peu d’émulation…

J-L M : Oui, et puis cette ouverture qui est donnée par notre chef d’orchestre, notre secrétaire perpétuel qui est formidable, qui est en train de donner une impulsion nouvelle à l’institution.

Thomas : Il faudra y aller.

J-L M : Vous y êtes cordialement invités. Je vous ferai visiter.

Thomas : On note l’invitation.

Laurent : Alors, ça marche.

La photographie française existe-t-elle ?

Thomas : Sur la table, on a un livre, que Laurent m’a offert pour mon anniversaire, qui s’appelle La Photographie française existe et je l’ai rencontrée, et comme son titre l’indique, c’est vous qui l’avez écrit.

Moi je le sais, mais l’audience n’a pas la réponse, donc je vais poser la question : d’où vient ce livre ?
D’où est sorti ce livre sur la photographie française ? Parce qu’il a un titre qui interpelle un petit peu. Dedans il y a beaucoup de photographes, et pouvez-vous nous parler de comment vous les avez choisis au fur et à mesure.
J’ai la réponse, mais je vous laisse en parler.

J-L M : Paris est aujourd’hui la capitale mondiale, même, de la photographie. Mais ça n’était pas toujours le cas.
En 1980, quand j’ai commencé ma carrière dans la photographie, je suis allé aux États-Unis et j’ai rencontré le chef du département photo. Qui m’a accueilli d’ailleurs avec beaucoup de gentillesse. Vous savez, les Américains vous reçoivent facilement. Je ne sais pas comment ils font, d’ailleurs, en France il faut des mois pour obtenir un rendez-vous. Là-bas pas du tout, vous appelez. Bon, il m’a reçu rapidement, mais il m’a reçu très gentiment et donc l’entretien c’est très bien passé et à la fin je lui ai dit : qu’est-ce que vous pensez de la jeune photographie française ?
Il m’a regardé très étonné et a dit : It does not exist, elle n’existe pas.

Et ce livre, c’est un peu ma réponse à John Szarkowski, une réponse aimable, parce que maintenant il n’est plus là, malheureusement, j’aurais bien aimé qu’on puisse en discuter. Parce que la photographie française existe. On ne la voit pas, elle n’est pas visible à l’étranger. On connaît la photographie allemande, on connaît la photographie américaine, bien sûr, on connaît les photographes anglais, mais la photographie française on ne la voit presque pas.
Et elle existe, cette photographie française, elle est importante. J’ai parlé de Pierre et Gilles, il y a Bettina Rheims, il y a Valérie Belin, il y a Bernard Faucon et bien d’autres. Et qui ont fait un travail formidable ; Françoise Huguier, Sebastiao Salgado, etc.
C’est le seul qui est véritablement connu avec Yann Arthus Bertrand à l’étranger. Et je pense que c’était important de dire qu’elle existait.
Alors, par photographie française, il ne s’agit pas de faire du nationalisme à outrance.

Thomas : Il y a des gens qui ont été nationalisés, là-dedans, il y a des étrangers qui sont devenus français.

J-L M : Voilà. C’est le « vivre en France ». Je pense qu’il y a, par exemple, Keiichi Tahara, qui a vécu très longtemps en France, qui est japonais, et qui est présent dans ce livre.
Et je pense que c’était important de signaler que cette photographie existe. Bien sûr, la photographie est mondialisée, mais il y a quand même une inspiration qui vient de notre tradition. Et la tradition, enfin la culture française, c’est pas tout à fait la culture anglaise, et donc effectivement, elle existe. De même qu’il existe une sorte de photographie anglaise aussi, quelque part.

Thomas : Et est-ce que, du coup, vous avez… Comment vous avez dressé ce panorama-là ? Est-ce que vous avez fait le panorama de toute la photographie française ?

J-L M : Non. C’est des gens que j’ai rencontrés. Que j’ai rencontrés, que j’ai connus, ce sont mes coups de cœur à moi.
Alors, bien sûr, il y a des absents, je n’ai pas pu tout montrer, parce que j’étais tenu par les espaces. Et en plus, j’étais tenu aussi par la collection. Parce que l’idée aussi, c’était de montrer la photographie française dans les collections de la Maison européenne.

Thomas : Donc vous auriez aimé montrer qui, qui n’est pas présent ?

J-L M : Oh, il y en a pas mal. D’abord, je n’ai pas montré tous les humanistes. J’ai commencé à partir des gens de ma génération.
C’est, au fond, ma génération. Bien sûr, j’arrive à des gens beaucoup plus jeunes, à la fin. JR, par exemple, qui m’a fait l’honneur, d’ailleurs, d’accepter une grande exposition à la MEP. Je l’ai connu quand il avait 20 ans, et l a fait une carrière magnifique. C’est un type formidable. Et donc il m’a offert, pour mon départ, une belle exposition.
Mais c’est surtout ma génération.

Thomas : D’accord.

J-L M : Et c’est normal, vous savez, je ne comprenais pas, avant, quand j’observais autour de moi des personnalités de la photo, je me disais : mais ils travaillent toujours avec les mêmes ! Pourquoi ils ne travaillent pas avec des jeunes.
Ben oui, voilà, on accompagne une génération. Et puis après, je crois qu’il faut passer la main. Ce que j’ai fait.

Thomas : Alors, je précise pour que le lectorat qui découvre ce livre, il est édité par Xavier Barral, la couverture est magnifique, le papier aussi est très très bien, les tirages dedans sont hyper bien reproduits, donc si vous avez envie de découvrir les coups de cœur de Jean-Luc Monterosso, et d’avoir un vrai panorama de la photographie française ces trente dernières années, je vous le conseille vivement.

J-L M : Et Xavier Barral, malheureusement, c’était un éditeur formidable, qui a disparu très brutalement. C’était aussi un ami, et c’était un de ses derniers livres.

Thomas : Il avait vraiment, je trouve, cette capacité à faire un livre qui matérialise bien…

J-L M : Et il a trouvé la couverture qu’il fallait. On a beaucoup cherché, mais c’est lui qui a trouvé ça, et qui me correspond. Discret et simple.

Thomas : Et même dans tous ses autres bouquins, c’est toujours bien senti sur la forme et la forme donne vraiment un aspect intéressant, je trouve.

J-L M : Un grand éditeur.

Thomas : Oui, c’est vraiment un de mes préférés. J’aime vraiment beaucoup son travail.
J’avais lu – je ne sais pas si vous connaissez –  Autophoto, qui est un exemple d’édition.

J-L M : Qui était à la fondation Cartier. C’est une exposition de la fondation Cartier.

Thomas : Et le livre avait la couleur de la même voiture qu’Eggleston, etc. Non, Xavier Barral, c’est vraiment…

J-L M : Un très grand de la photographie qui malheureusement nous a quittés.

Le rapport de la Chine à la photographie et sa direction du musée de Chengdu

Laurent : On a évoqué tout à l’heure le Musée de l’image contemporaine de Chengdu, et vous travaillez désormais à la direction artistique de ce musée, qui est en Chine, donc.
Est-ce que vous pensez que la vision de la photographie est différente en Chine par rapport à la France ? Est-ce qu’ils ont un rapport différent à l’histoire de la photographie, qu’elle soit européenne, américaine ? Comment ils voient ça ?

J-L M : Alors, d’abord, il faut dire à ceux qui nous écoutent que Chengdu c’est 14 millions d’habitants, c’est la quatrième ville de Chine. C’est la capitale d’une province qui s’appelle le Sichuan – célèbre pour le poivre – et qui est grand comme la France. Et Chengdu est aussi la ville des pandas. Voilà, pour situer un petit peu.
Et ça va devenir la capitale de la photographie en Chine.
Le musée fait trois fois la Maison européenne ; c’est un des rares musées en Chine à avoir une collection. Il a 127 Cartier-Bresson – nous sommes ici à la fondation Cartier-Bresson.

Thomas : Il y a des tirages juste à côté de nous qui sont stockés, ça rend fou.

J-L M : Cette fondation, allez-y parce que c’est un lieu magnifique, et puis c’est quand même le plus grand photographe, un des plus grands photographes du 20e siècle.

Thomas : Il n’y aura pas de débat sur le sujet.

J-L M : On l’appelait « l’œil du siècle ». Et puis il y a aussi les tirages de Martine Franck, ici. Voilà, allez à la fondation Cartier-Bresson, c’est un lieu magnifique. Dirigé par François Hébel et Agnès Sire.

Et donc, Chengdu, ce musée qui a ouvert ses portes en avril dernier, m’a proposé d’être directeur artistique. Pour moi, c’est une seconde jeunesse, vous comprenez ? C’est magnifique. Je quitte la MEP et je retrouve un musée à créer, dans un pays qui est en pleine expansion. Bon, je ne parle pas la langue, malheureusement, mais je suis assez fasciné par ce qui se passe en Chine.

Alors, c’est vrai, on dit beaucoup de choses sur la Chine, en tout cas, mon expérience pour l’instant est une expérience très positive.
Il y a une grande créativité sur la scène photographique et artistique en Chine, beaucoup de jeunes photographes, et puis il y a un engouement pour la photographie.
Et je vois que, on a présenté dernièrement une grande exposition Salgado, également une grande exposition Bernard Faucon. Bernard Faucon qui aujourd’hui en France est un petit peu, je ne dis pas boudé, mais enfin qui est réservé un peu à des spécialistes de la photographie, connaît un succès incroyable ! Il est très connu au Japon, mais il commence à être immensément connu en Chine.

Moi je suis très content, parce que, voyez, il y a beaucoup d’institutions en France qui ne s’intéressent pas tellement à nos photographes français, eh bien ils seront obligés de s’y intéresser, parce que, ben, en Chine, ils sont tellement célèbres. Et la Chine va tellement occuper le devant de la scène bientôt qu’il faudra bien qu’ils s’occupent de nos photographes.

Laurent : Il y aura forcément une influence dans l’autre sens aussi.

J-L M : Vous savez, je peste toujours, et j’ai toujours pesté, contre une espèce d’internationalisation académique de l’art. On le voit dans les musées, partout dans le monde, c’est les mêmes. Et les conservateurs se regardent l’un l’autre en disant : attention, moi, je ne veux pas lancer quelqu’un parce que, qu’est-ce que vont penser mes confrères ? On vit dans cette espèce de politiquement artistiquement correct.
Moi j’ai toujours dénoncé l’artistiquement correct. Comme le politiquement correct, d’ailleurs.
Et donc, par conséquent, j’ai toujours montré les gens, justement, qu’on ne montrait pas dans les musées. Et j’en suis très fier. Et aujourd’hui, ils commencent à être très connus.

Quand j’ai monté Pierre et Gilles, personne ne les montrait, hein. Je parle de Pierre et Gilles, mais il y en a bien d’autres.
Et je trouve qu’on ne présente pas assez… regardez les institutions en France, et regardez leur programmation, eh bien, elle n’est pas très française, entre nous.
Et j’ai d’ailleurs remarqué que la presse ne suit pas. Quand on présente…
Quand j’étais à la Maison européenne, et que je présentais des photographes étrangers, notamment américains, il y avait une presse démente.
Je présentais des Français, deux ou trois articles seulement.
Donc là aussi, il faut que nos critiques journalistes, quand même, se donnent la peine d’aller dans les ateliers en France, d’aller voir les photographes français, et d’en parler !

Laurent : C’est vrai que les photographes français ont presque intérêt à montrer leurs photos à l’étranger qu’en France.

J-L M : C’est ce qu’ils font. Et vous verrez que les photographes français, dans quelques années, ils nous reviendront par la Chine.

Thomas : Ce qui est étonnant, on est le pays – entre guillemets, sans faire de chauvinisme absolu –, on est le pays de la photographie, et on est les cordonniers les plus mal chaussés.

J-L M : Exactement. Je ne sais pas… Ça, c’est l’autoflagellation, en quelque sorte. Française. Caractéristique. Elle a toujours existé, mais il faut quand même que ça cesse.
Il faut quand même que ça cesse, ce n’est plus possible.

Thomas : Le message est passé : allez voir des photographes français.

J-L M : Demandez surtout aux musées français de présenter des photographes français.
Pas seulement français.
Moi, je pense qu’il y aurait une manière très simple. C’est de dire : voilà, on présente 50 % de l’exposition, ce sont des Français, et 50 % des étrangers. Et ça me paraît tout à fait normal et logique. C’est ce que font tous les autres pays, hein. Vous allez en Espagne, c’est des photographes espagnols, aux États-Unis, n’en parlons pas, si vous n’êtes pas installé aux États-Unis, on ne vous présente pas. Voilà. Il n’y a que la Chine qui est très ouverte aujourd’hui, qui accueille nos photographes et nos artistes français.
Avec beaucoup de passion, parce que la France a quand même vraiment une réputation culturelle importante en Chine, et il ne faut pas perdre cette relation que nous avons avec ce grand pays.

Thomas : Vous êtes sur place pour défendre les photographes français, donc c’est tout à notre avantage.

J-L M : Oui ! Je les défends, je les défendrai toujours. Pas forcément, attendez, comprenez bien : ce n’est pas que les Français, ce n’est pas du nationalisme, du cocorico français, non. Mais je dis que les photographes français, comme les artistes français, n’ont pas la place qu’ils devraient avoir. À l’étranger, souvent, et en France surtout. Voilà.

Son livre photo récent préféré

Thomas : Du coup, je pense rebondir sur ma question suivante. Dans mon contenu, personnellement, je parle beaucoup de livres photographiques, parce que j’aime beaucoup ça et pour moi, c’est des œuvres à part entière.

J-L M : Vous avez raison, les livres photographiques, c’est important.

Thomas : Et du coup, j’ai une question qui est toute bête pour vous : est-ce que, cette année, il y a un livre qui vous a marqué et que vous conseilleriez aux gens de lire. Alors sur la photographie, d’un photographe, est-ce qu’il y a un livre qui vous vient à l’esprit que vous auriez envie de recommander aux gens ?

J-L M : Bonne question. J’en ai un. Très beau livre que je recommande – et ce n’est pas parce que je suis ici aujourd’hui –, c’est le livre sur la Chine, publié à l’occasion de l’exposition sur la Chine d’Henri Cartier-Bresson et qui est publié par Michel Frizot.
Michel Frizot qui est notre grand historien de la photographie.

Thomas : J’ai lu son Esthétique de la photographie.

J-L M : Non seulement Esthétique de la photographie, mais sa Nouvelle Histoire de la photographie, c’est vraiment le… On est très fiers d’avoir quelqu’un comme lui en France.

Thomas : C’est la photographie de Cartier-Bresson en Chine.

J-L M : Il a préparé une exposition de la Chine vue par Henri Cartier-Bresson, et le livre s’appelle En Chine, je crois…

Laurent : On mettra les liens dessous, donc les gens le retrouveront.

J-L M : C’est un très beau livre, et je vous conseille d’aller voir l’expo, elle est très belle.

Thomas : C’est ça, on est dans les lieux de la fondation Cartier-Bresson, donc on peut y aller de n’importe où en France. C’est très bien. On l’a fait, vous pouvez le faire aussi.

Comment commencer à découvrir la photographie ?

Laurent : J’ai une dernière question. Il y a beaucoup de jeunes photographes qui suivent ma chaîne, qui souvent commencent ou, en tout cas, sont dans les débuts de leur photographie, on va dire, et je pense qu’il y a une bonne part d’entre eux, quand même, qui ont peut-être un petit peu peur de la culture, qui pensent peut-être que c’est pas pour eux, que c’est inaccessible, voire élitiste pour certains. Qu’est-ce que vous diriez à un jeune photographe qui voudrait découvrir la photographie ? Par où commencer ?

J-L M : Alors, Cartier-Bresson disait : Si vous voulez vous former en photographie, allez au Louvre.
Le Louvre vous savez, c’est quasiment gratuit, c’est magnifique, et il ne faut pas avoir peur d’y aller.

Mais moi, je dirais : écoutez, allez dans les institutions qui existent pour la photographie, ici à Paris ou en France. Vous avez la fondation Cartier-Bresson, vous avez la Maison européenne de la photo, vous avez le Jeu de Paume, vous avez la Bibliothèque nationale, qui organise de grandes expositions. Et puis, allez dans les librairies de photographie, lisez des livres, regardez des livres photo, et vous allez peut-être, petit à petit, vous former. Ce que je voulais simplement dire à des jeunes, c’est que, vous savez, la photographie c’est difficile. C’est difficile d’en vivre, en tout cas. La plupart des grands, même des grands photographes, ont un second métier. Ou ils font du commercial, et ils font de la photographie créative.

Donc ne vous lancez pas comme ça à tête perdue dans la photographie – à œil perdu si j’ose dire –, mais pensez à avoir une activité à côté, et puis créez. Comme d’ailleurs les écrivains. Ils sont dans des maisons d’édition, et puis ils écrivent et très peu arrivent à vivre de leur plume. Eh bien, c’est un peu la même chose en photographie.
Mais c’est un monde fascinant.
Vous avez en plus la possibilité aujourd’hui, quand vous êtes jeune, d’avoir ce que moi je n’ai pas eu, c’est-à-dire, la photo, ça ne coûte pas grand-chose ; vous pouvez la diffuser facilement. Vous vous rendez compte ? C’est énorme !
Vous faites des photos, vous les diffusez sur les réseaux sociaux. Et puis vous pouvez faire de la vidéo, aussi. Avec le même appareil. Et vous n’avez pas à payer… Avant, on devait envoyer, d’abord on achetait la pellicule, puis on devait envoyer la pellicule au laboratoire, puis on faisait faire les tirages, et puis ça coûtait beaucoup d’argent.
Là aussi, il faut encore faire des tirages, mais on ne pouvait pas diffuser ! Là, vous balancez ça sur les réseaux sociaux, c’est formidable !
Vous avez vraiment des possibilités énormes, alors, allez-y !
Allez-y, créez ! D’ailleurs, ça marche très bien, je vois des choses formidables sur les réseaux sociaux. Formidables. Et beaucoup, d’ailleurs, de prix aujourd’hui, sélectionnent un peu en fonction de ça. En fonction de ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux.

Laurent : D’accord. Eh bien, merci beaucoup.

Thomas : Merci beaucoup, Jean-Luc Monterosso.

J-L M : C’est moi.

Laurent : Merci de nous avoir répondu, de nous avoir accueillis. Je pense que ça aura beaucoup intéressé les gens.
Si vous avez aimé la vidéo, pensez à mettre un pouce bleu et à la partager avec vos amis, parce que c’est comme ça que ça se répand et que plus de gens vont la voir.
Et puis si jamais vous découvrez la chaîne avec cette vidéo, on ne sait jamais, pensez à vous abonner pour ne pas rater les prochaines, parce qu’il y en a d’autres qui arrivent bientôt. Voilà. Je vous dis à plus dans la prochaine vidéo, et d’ici là à bientôt, et bonnes photos !

 

Pour aller plus loin :

► Le site de la MEP : https://www.mep-fr.org/

► Le livre “La photographie française existe… je l’ai rencontrée” : https://amzn.to/2Q92Pjl

► Les autres livres dont on parle dans la vidéo :

– Autophoto https://amzn.to/38KcNxV http://exb.fr/fr/home/305-autophoto-9…

– Henri Cartier-Bresson : Chine : https://amzn.to/2vSuQ7V http://www.delpire-editeur.fr/henri-c…

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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