La règle des tiers est une secte. Rien n’indique que ce soit le début de commencement d’une règle, et pourtant vous en avez déjà entendu parler. Vous la respectez même sans doute.

Sortez de votre endoctrinement grâce à cette vidéo.

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Vous êtes dans une secte, et vous ne le savez pas.

Si vous avez commencé à apprendre la photo depuis plus de 10 minutes, vous avez déjà dû entendre parler de la règle des tiers. Elle consiste à placer les sujets importants de l’image sur les lignes qui la découpent en tiers, ou à leurs intersections.

Elle est censée permettre de “réaliser facilement des photos avec une composition équilibrée”, “avoir une image plus forte”, “rendre les images immédiatement plus intéressantes”, faire repousser les cheveux et ramener l’être aimé.

Elle puiserait ses sources dans les tableaux de la Renaissance, dans les architectes de l’Antiquité, voire dans la nature, on ne sait pas trop. Posez la question autour de vous, personne ne saura vous l’expliquer. C’est comme une histoire que l’on se répète d’oreille en oreille dans une caverne, sans que personne ne soit sorti vérifier si elle était vraie.

Vous avez été endoctriné pour y croire, mais rien de tout ça n’existe.

Avant de vous montrer pourquoi, voyons d’abord comment on en est arrivés là.

La règle des tiers a été pour la première fois posée sur le papier en 1797 dans le livre “Remarques sur le paysage rural” de John Thomas Smith, un dessinateur, graveur et antiquaire anglais, qui a ensuite travaillé comme gardien des estampes au British Museum.

J’insiste : avant 1797, personne n’a entendu parler de règle des tiers. C’est bien ça qu’il faut comprendre. Léonard de Vinci est né et a vécu avant, il n’a jamais entendu parler de ce sujet de son vivant. Comme tous les peintres de la Renaissance d’ailleurs, on y reviendra.

Dans son livre donc, en étendant le raisonnement que Sir Joshua Reynolds, un autre peintre anglais, avait appliqué aux couleurs (et non aux proportions de l’image), Smith écrit :

“De manière analogue à cette “règle des tiers”, j’ai présumé penser que, dans le cadre de la connexion ou de la rupture des différentes lignes d’une image, ce serait également une bonne règle de le faire, en général, dans des proportions similaires : par exemple, dans le croquis d’un paysage, de placer le ciel environ aux deux tiers.”

Voilà donc d’où vient cette fameuse règle des tiers, dont vous avez entendu parler tant de fois : un dessinateur du 18e siècle a présumé penser que ces proportions étaient idéales. C’est tout. Et il le dit lui-même, c’est dans le texte original, ce n’est pas mon avis. L’auteur présume. Point.

Mais après tout, même si cette idée semble complètement sortie de son chapeau, peut-être avait-il raison ? Comme on entend souvent que c’est une règle issue de la peinture, regardons donc tout d’abord les œuvres des plus grands peintres de l’histoire, et voyons si cette règle s’applique.

Véronèse, non.

Botticelli, pas du tout.

D’autres prétendent que la règle des tiers est une simplification du nombre d’or, et par extension du rectangle d’or, qui est basé sur ce ratio. C’est un nombre égal à (1 + √5) / 2, ce qui fait environ 1,61, et la légende dit que c’est un nombre magique, présent partout dans les proportions de la nature, que l’œil humain trouve naturellement harmonieux, qui a été utilisé par les architectes de l’Antiquité pour construire les pyramides ou le Parthénon, et utilisé par de nombreux grands artistes comme De Vinci et Botticelli dans leurs œuvres.

Sauf qu’il n’y a… AUCUNE preuve de tout ça. Je sais que c’est difficile à intégrer tant on vous l’a répété, mais on vous a menti. Ou plutôt, on vous a répété quelque chose sans vérifier si c’était vrai.

Le Parthénon n’a pas été spécialement construit par rapport à ces proportions. En choisissant bien les points du monument, et en dessinant des lignes assez épaisses sur la photo (qui feraient 3 mètres d’épaisseur dans la réalité), on peut faire rentrer au forceps le monument dans le rectangle d’or, mais ça s’arrête là.

Difficile d’imaginer que les ingénieurs grecs, qui étaient très précis, auraient appliqué le nombre d’or “à peu près” s’ils avaient voulu le faire précisément. D’autant plus qu’ils étaient capables de surélever des parties du monument de quelques centimètres afin de donner une impression de verticalité par illusion d’optique.

Les pyramides non plus n’ont strictement rien à voir avec le nombre d’or.

Quant au corps humain, c’est la même chose : si on choisit bien les endroits importants (de manière complètement arbitraire), qu’on prend un modèle qui nous arrange (tous les humains n’étant pas exactement proportionnés de la même façon), et qu’on dessine des lignes assez épaisses, on finit par trouver quelque chose qui s’en rapproche. En y croyant très fort, on peut finir par le voir.

Idem pour la coquille du nautile, dont la spirale ne correspond pas au nombre d’or, contrairement à la légende.

Le nombre d’or est donc un mythe, mais ça ne répond quand même pas à notre question :

Est-ce que la règle des tiers ou le nombre d’or sont plus plaisants à nos yeux ?

Eh bien, une étude publiée en 2014, a prouvé qu’il n’y avait pas de corrélation entre le respect de la règle des tiers et à quel point les gens trouvaient une image esthétique.

Il n’y a donc aucune raison rationnelle d’utiliser la règle des tiers pour construire vos photographies.

Et d’ailleurs, ce qu’on a vérifié en peinture s’applique aussi aux artistes photographes. Faisons simple, et voyons avec les œuvres les plus connues de certains des plus grands photographes de l’histoire.

Ansel Adams pour commencer, qui semble ne faire aucun cas de la règle des tiers, puisque littéralement rien n’est aligné avec.

Henri Cartier-Bresson ensuite : sur cette première image, on peut considérer que le vélo est sur une intersection (même si on peut se demander pourquoi c’est le haut de la roue arrière qui la coupe, et pas la tête du personnage). Le reste de l’image ne colle pas du tout par contre.


Quant à cette seconde photo, il n’y a littéralement rien sur les intersections, et pourtant, elle fonctionne mystérieusement ! Et pourtant, c’est une des plus connues de l’artiste.

Et chez Joel Meyerowitz, c’est la même chose : si on peut considérer que l’homme est aligné sur cette première photo (même si on se demande pourquoi ce n’est pas fait au centre de son corps, voire entre les deux personnes),

celle-ci ne colle pas du tout, malgré les nombreuses lignes horizontales et verticales qui auraient été parfaites pour ça.

Bref, vous l’aurez compris : la règle des tiers ne semble pas du tout influencer la composition des artistes photographes.

De plus, aucun grand photographe n’en parle dans ses écrits : Man Ray, Sebastiao Salgado et Joel Meyerowitz n’en parlent pas dans leurs autobiographies, Cartier-Bresson & Doisneau non plus dans leurs interviews, et Mary Ellen Mark, Stephen Shore, Alex Webb & Rebecca Norris, ou Todd Hido n’en parlent pas dans leurs livres chez Aperture, qui sont pourtant des COURS de photographie. Vous pouvez vérifier, je mets les références des livres en description.

Cela dit, il faut bien reconnaître une chose : on retrouve énormément la règle des tiers dans la photo commerciale, ou dans la photo amateur qui s’en inspire.

Si je cherche sur Google “photographe de mariage” (en anglais pour ne pas me faire d’ennemis), je retrouve la règle des tiers sur la plupart des images.

Si je cherche “photographe de paysage”, c’est la même chose.

Et évidemment, si je cherche les hashtags correspondants sur Instagram, la règle des tiers est omniprésente.

À ce stade, vous sentez sans doute un problème : la règle des tiers ou le nombre d’or ne se retrouvent nulle part, ni dans la nature, ni dans l’art, que ce soit dans l’architecture antique, les peintures de la Renaissance, ou chez les artistes photographes reconnus.

Pourtant, on la retrouve partout dans la photographie commerciale et amateur.

Pourquoi ?

Eh bien, c’est une combinaison de plusieurs phénomènes.

1. Tout d’abord, il est très facile de coller la règle des tiers partout et tout le temps.
En effet, en étant un peu souple, elle s’applique quasiment sur toutes les photos.

Premièrement parce que n’importe quel sujet qui prend une bonne partie de l’image sera presque toujours sur une ligne des tiers, à moins de l’avoir volontairement centré (mais dans ce cas, c’est parce qu’on a “pris la règle à contrepied”).

Évidemment, il faut s’arranger un peu avec la réalité, mais après tout, tant que la ligne des tiers est à peu près dessus, on peut considérer que c’est bon. En tout cas, si on veut y croire. En réalité, les lignes de tiers sont donc plutôt… épaisses.

Si vous rajoutez à ça que le nombre d’or fonctionne aussi, ça commence à faire des lignes très épaisses, et une bonne partie de l’image sur laquelle on peut plus ou moins calquer cette soi-disant règle.

Et d’ailleurs, en allant voir les dernières images sur des sites populaires comme Flickr, vous allez voir que je peux appliquer ces grosses lignes à n’importe quelle photo.

En plus de ça, il y a souvent suffisamment d’éléments sur une photo pour pouvoir mettre sa grille des tiers dessus, et habilement décréter que les éléments situés sur la ligne ou l’intersection sont importants. Pourquoi l’œil droit plutôt que l’œil gauche ? Pourquoi pas le point entre les deux yeux ? Ou le nez ? Mystère.

Par contre, si vous oubliez la grille, et commencez par dessiner des lignes sur les sujets les plus évidents, vous réalisez rapidement que c’est beaucoup plus difficile de faire rentrer un rond dans un carré.

2. En plus de cette facilité, il existe évidemment un phénomène de prophétie autoréalisatrice : à force de le dire partout, la majorité des gens suivent ce conseil, et font des photos qui collent à la règle des tiers.

Les suivants regardent les photos sur les réseaux sociaux, constatent qu’elles y correspondent, et en déduisent consciemment et inconsciemment qu’il faut la suivre.

À force de le dire, ça devient vrai, d’autant plus qu’on peut maintenant afficher une grille des tiers sur son appareil photo ou dans Lightroom, pour être bien sûr de rentrer dans la case.

3. La troisième raison pour laquelle on la voit partout, c’est que la plupart des amateurs de photographie ont des horizons visuels qui se limitent à la photographie sur internet : les réseaux sociaux photographiques comme Instagram, Flickr ou 500px. Les forums et groupes Facebook de photographie sont un peu le Grand Temple de la secte, tant la règle des tiers y est respectée comme une loi divine et sacrée.

Si vous avez l’audace d’y prétendre que la règle n’existe pas, c’est que vous n’y connaissez rien, que vous avez mal compris, ou que vous êtes aveugle. Évidemment, quel hérétique ne verrait pas que ces grosses lignes des tiers bien épaisses correspondent bien sûr à toutes les photos ? (pour peu qu’on plisse un peu les yeux et qu’on ignore le fait qu’aucun grand photographe n’en a jamais parlé)

Harry Gruyaert photographe
cocktail, W. Eggleston

Si vous ne le voyez pas, c’est sans doute que vous êtes un mécréant, ou que vous n’avez pas encore vu la lumière, et c’est donc une très bonne excuse pour casser les débutants qui ne la respectent pas, et se créer une autorité.

W. Eggleston

Quand on élargit ses horizons à l’art photographique à travers des livres et des expositions, on ne peut s’empêcher de constater l’absence criante de règle des tiers dans les œuvres présentées, et que la réalité semble contredire la Règle des Tiers Sacrée.

W. Eggleston

Au-delà de ça, l’omniprésence de la règle des tiers dans les conseils de composition est synonyme d’un phénomène plus profond : la sur-simplification des conseils sur la construction d’une image.

La réalité, c’est que la composition est un sujet infiniment complexe qui ne peut pas s’apprendre en l’espace d’une vidéo YouTube.

Mais la règle des tiers a un avantage : elle est facile à retenir, elle est rassurante, et elle évite de penser à quelque chose de plus complexe comme l’équilibre des masses dans l’image, et d’accepter qu’on a encore beaucoup à apprendre.

Nous avons tous envie de savoir vite et bien, c’est humain. Mais en vérité, en photographie comme dans tous les arts, ça ne fonctionne pas comme ça. Il faut du temps et du travail pour commencer à saisir la complexité du langage photographique, et à le parler à peu près correctement.

J’ai conscience que tout ceci ne vous rassure pas : vous avez envie d’y croire, car c’est une lecture simple et rassurante du monde photographique. Mais est-ce que vous préférez rester dans le monde des bisounours, ou accepter la réalité ?

C’est à vous de le décider…

Les livres évoqués :

Man Ray, Autoportrait : https://amzn.to/3c2WUpo

Sebastião Salgado, De ma terre à la Terre : https://amzn.to/2SQ9Req

Joel Meyerowitz, Rétrospection : https://amzn.to/2PhAKWB

Stephen Shore, Leçon de photographie : https://amzn.to/3c0Cld6

Alex Webb and Rebecca Norris Webb on Street Photography and the Poetic Image : https://amzn.to/2VfwMRY

Todd Hido on landscapes interiors and nudes : https://amzn.to/2Vf9EDo

Mary Ellen Mark on the Portrait and the moment : https://amzn.to/2Pgzy5J

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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