Le marché des appareils photo est vaste et complexe, mais on peut la plupart du temps faire la différence entre de grandes catégories : compacts, bridges, hybrides et reflex. Mais il existe aussi quelques ovnis, dont les Sigma DP Merrill, dont je vais vous parler aujourd’hui. En effet, j’ai eu le plaisir d’être récemment contacté par le sympathique Renaud de Sigma France pour tester un de leurs appareils photo. Et oui, Sigma ne fait pas seulement des objectifs (dont certains d’une qualité exceptionnelle comme le 35mm f/1.4), mais aussi des appareils photo ! J’ai donc passé environ 6 semaines avec cet appareil, ce qui m’a permis de m’en faire une très bonne idée et de pouvoir vous en parler en détail.

Un OPNI (Objet Photographique Non Identifié)

Sigma DP1 DP2 appareil photo Merrill Les Sigma DP Merrill (il y en 3 modèles, j’y reviens) ne se classent pas vraiment dans une catégorie : ils sont assez compacts (de la taille d’un petit hybride type GX1), ont un grand capteur APS-C, avec une focale fixe à grande ouverture, mais non interchangeable, un look très épuré, et une utilisation proche du moyen format (j’y reviens). On pourrait presque les classer dans les hybrides du coup, mais l’objectif n’est pas interchangeable, bref ça ne leur colle pas vraiment à la peau : ce sont vraiment des inclassables.

Le capteur atypique Foveon

La principale originalité de ces appareils, c’est leur capteur Made in Sigma : un capteur Foveon. Je vais essayer de simplifie au maximum la chose pour éviter que certains d’entre vous se défenestrent en hurlant « Geronimooooooo », effrayés par trop de technique. Oui, je soigne mes lecteurs 😀 (Que mes lecteurs ultra-pointus en technique me pardonnent, je simplifie au maximum là.) L’extrême majorité des capteurs d’appareils photo sont capables de voir la couleur grâce à un système simple : chaque pixel est divisé en quatre. 1 carré pour le rouge, 1 carré pour le bleu, 2 carrés pour le vert (il y en a plus pour le vert, car la vision humaine est plus sensible dans ce domaine, et on n’a fait que copier la nature finalement, comme souvent). Ce système fonctionne bien mais possède un principal inconvénient : il peut créer un effet de moiré. On l’observe quand il y a des structures répétitives dans l’image, et c’est moche et peu naturel. Les constructeurs ont trouvé la parade : le « filtre passe-bas », qui élimine le moiré. Le souci, c’est que ça diminue aussi un peu le piqué de l’image (en fait, ça floute légèrement les détails pour simplifier à l’extrême).
capteur-foveon
(Cliquez pour agrandir) Pardon pour l’anglais, mais le schéma est assez clair.
Bref, chez Sigma on a pris le parti inverse : empiler 3 capteurs, un pour chaque couleur primaire : Rouge, Vert et Bleu. Ce qui permet de se passer de filtre passe-bas sans risque, et donc d’obtenir un meilleur piqué en théorie (en pratique aussi, j’y reviens). Accessoirement, un tel système propose un fonctionnement proche d’une pellicule, et donc en théorie un rendu proche de l’argentique (on verra que toute la philosophie est proche de l’argentique). Vous lirez donc ci et là que le capteur fait 45 Megapixels, ce qui semble énorme. En réalité, chaque capteur fait 15Mpix, et donc vous allez obtenir des images de 15 Mpx hein, évidemment. Cela dit, la qualité optique est tellement impressionnante que ça ne vous posera jamais de problème pour des tirages de grande taille. Notez que Sigma a également un reflex SD1 Merrill qui fonctionne sur le même principe, mais plus encombrant évidemment. Mais ce n’est pas le sujet.

3 modèles distincts

Les Sigma DP Merrill se déclinent en 3 modèles distincts, tous avec le même capteur et le même boîtier, mais avec une optique différente. Selon Sigma, ça permet d’optimiser le couple capteur/optique pour de meilleurs résultats en termes de qualité. Je veux bien les croire. Il existe donc :
  • le DP1, avec un objectif 19mm f/2.8 (équivalent 28mm, donc un vrai grand-angle)
  • le DP2, avec un objectif 30mm f/2.8 (équivalent 45mm, donc une focale normale)
  • le DP3, avec un objectif 50mm f/2.8 (équivalent 75mm, donc un petit téléobjectif, typique du portrait)
DP2 Merrill sigmaJ’ai personnellement choisi de tester le DP2 Merrill, avec sa focale de 45mm, car je suis habitué à quelque chose de proche avec mon GX1 (qui embarque un équivalent 40mm). Je reviendrai sur mon choix après. Ces appareils se distinguent par un design sobre, simple, qui va à l’essentiel. Pas de fioritures, ce qui a au moins l’avantage de rendre son utilisation intuitive.

Une philosophie bien particulière

Autant vous le dire tout de suite : le DP2 Merrill est conçu pour un usage bien particulier, et n’est pas tellement indiqué comme premier appareil. En gros, vous allez l’utiliser à la façon d’un moyen format : de manière très posée, calme, en prenant beaucoup votre temps. Malgré sa petite taille, il ne me semble pas dingue de le monter sur trépied tout le temps (même si je l’ai utilisé à main levée bien sûr).   Bref, l’idée de cet appareil, c’est d’offrir une qualité d’image exceptionnelle quand la lumière ne manque pas, dans des situations posées, typiquement du paysage ou de l’architecture. Dans ce domaine, il fait extrêmement bien son boulot. J’avoue qu’en lisant la prose sur le site de Sigma (et les copiés-collés de communiqué de presse qu’on trouve sur de nombreux sites), je me suis d’abord demandé où était la vérité et où était le bullshit marketing (toutes les marques parlent de « révolution » au moindre lancement d’appareil 😉 ). Et bien j’ai été très agréablement surpris, car force est de constater que la qualité d’image est inégalée pour un boîtier de cette taille. Il est tout à fait possible de zoomer à 100 % sur une photo et de distinguer des détails extrêmement fins, même à grande distance.  
Cliquez pour agrandir, puis faites clic-droit -> afficher l'image, et zoomez à 100%. C'est impressionnant ! (panorama fait à la main et assemblé avec Hugin)
Cliquez pour agrandir, puis faites clic-droit -> afficher l’image, et zoomez à 100%. C’est impressionnant !
(panorama fait à la main et assemblé avec Hugin)
Par contre, il est extrêmement spécialisé, car il est mal à l’aise dès qu’il sort de ce domaine. Pour commencer, il est incapable de faire de la photo en basse lumière. Dès 400 ISO le bruit est bien présent, et à 800 ISO il est insupportable. Je ne suis jamais monté au-dessus de 200 ISO personnellement, et encore très rarement. Ensuite, il manque terriblement de réactivité. Quand je dis terriblement, c’est vraiment extrême : l’autofocus est lent à se faire (je ne parle même pas de la basse lumière), les images mettent un temps infini à s’enregistrer sur la carte mémoire (on parle de 10-15 secondes hein), ce qui est compréhensible avec des RAW de 45Mo cela dit, et je ne vous parle pas de la latence entre 2 photos. Bref, ce n’est vraiment pas un appareil fait pour la photo d’action. En plus de ça, l’autonomie est très faible, et une charge de batterie vous tiendra 100 photos tout au plus. Et Sigma ne s’y trompe pas, puisque 2 batteries sont fournies ! (au moins c’est honnête) Oh oui, et le mode vidéo est quasi inexistant, si vous y croyiez encore (640×480, de nos jours, c’est la préhistoire !).   Pour résumer, vous n’aurez pas envie de prendre plus de photos que nécessaire, mais c’est l’idée même du boîtier je pense : se rapprocher de la sensation argentique (impossible de visionner sa photo immédiatement, autofocus très en dessous des standards actuels, etc.). C’est pour ça que je n’en parle pas trop, car finalement si vous achetez cet appareil, c’est que vous êtes conscient qu’il est fait pour un usage très particulier, et que vous n’essaierez pas de faire de la photo d’action avec.

Retour sur son utilisation sur le terrain

Bref, j’ai empoché le DP2 Merrill, et j’ai donc dû sortir de ma zone de confort et de mon terrain photographique habituel. Vous le savez peut-être, je fais surtout de la photo de concert, et dans une moindre mesure un peu de photo de rue. Bref, je suis plutôt un photographe d’action, et les paysages et l’architecture ne me passionnent pas, et donc ne sont pas ma spécialité.   J’ai donc fait une petite erreur dès le départ : j’ai choisir le DP2, qui a une focale un peu longue pour ces usages. Si vous comptez vraiment faire du paysage principalement, le DP1 et ses 28mm est sans doute plus adapté. Quoiqu’un 35mm pour la prochaine génération serait sans doute un bon choix de la part de Sigma, pour plus de polyvalence. Cela dit, j’ai pris le parti de l’emmener sur de jolis terrains, lors de mes vacances cet été. Le petit DP2 a ainsi vu l’Aquitaine et ses vignobles, Cracovie et sa vieille ville, et la Crète et ses oliviers à perte de vue 🙂 Je vous livre ci-dessous une petite galerie de mes photos de vacances, que je vous invite à regarder en zoom 100 % pour bien voir la qualité optique dingue que fournit cet appareil (cliquez sur la vignette, puis clic-droit → afficher l’image). Au début, surtout pour un photographe comme moi, je dois dire que l’utilisation du DP2 est un peu frustrante : en bon usager moderne du numérique, j’aime que ça aille vite. Et le Sigma DP2 prend son temps. Ça m’apprendra à être pressé. J’ai donc appris à apprivoiser les faiblesses de l’appareil et à m’en servir comme il le faut : calmement et posément. Finalement, ça fait du bien. Son utilisation est par contre archi intuitive, et je dois dire que je n’ai pas lu le manuel tellement il est facile de trouver ce qu’on cherche. J’aurais aimé des boutons d’accès plus facile au début, et au final je me suis rendu compte que ça n’avait aucun intérêt dans la philosophie de l’appareil (à quoi bon accéder facilement aux ISO si on ne les change jamais ?).   J’espère quand même que Sigma améliorera la réactivité de son système dans la prochaine génération, car c’est selon moi un peu trop lent, même pour une utilisation posée. Que ce ne soit pas une bête de course, ce n’est pas gênant, mais là on dépasse peut-être un petit peu la limite. Bref, son utilisation se révèle agréable à partir du moment où on accepte sa philosophie particulière. On l’utilise presque comme un moyen format : on prend son temps et on obtient une excellente qualité d’image.

De retour de vacances… le post-traitement

Une fois rentré dans mon Nord pluvieux (je vous assure qu’après la Crète, ça fait bizarre !), il fallait décharger la carte mémoire sur le PC et se mettre au tri et au traitement des RAW pour délivrer des images finales.   Vu le capteur particulier de l’appareil, les fichiers RAW ne peuvent pas être traités par des logiciels classiques comme Lightroom, et il faut passer par le logiciel Sigma Photo Pro. Autant vous le dire tout de suite : ça n’a pas été l’expérience la plus agréable de ma vie. J’ai pris l’habitude de la fluidité, de la rapidité et de l’ergonomie de Lightroom, et là j’ai eu l’impression d’avoir voyagé dans le temps. En arrière. Sigma Photo Pro interface logiciel Le logiciel est globalement poussif, peu ergonomique, et il lui manque vraiment certaines fonctions archi basiques. Bref, j’ai l’impression que soit Sigma n’y croit pas, soit ils ont oublié d’embaucher des développeurs compétents. Je vais opter pour la 2ème solution 🙂 Et ça me désole, car Sigma a de l’or entre les mains avec un couple capteur/optique délivrant une telle qualité, et ce potentiel est sous-exploité à cause du logiciel ! Alors je fais un coucou à Sigma Japon : soudoyez quelqu’un de chez Adobe, faites quelque chose, mais sortez un logiciel digne de ce nom !   Vous l’aurez compris, l’utilisation du logiciel m’a un peu crispé, pour diverses raisons :
  • C’est vraiment très lent.
  • Il n’y a pas de fonction annuler (en 2013!)
  • Pas d’outil de recadrage intégré
  • La Balance des Blancs n’est pas personnalisable par un curseur, il n’y a que des pré-réglages
  • La gestion des couleurs est difficile : « styles » prédéfinis (paysage, vif, standard) trop caricaturaux, réglage de la saturation trop sensible.
  • Quand on revient sur une photo sur laquelle on a précédemment travaillé, c’est le rendu par défaut qui s’affiche : il faut re-cliquer sur « Custom » pour voir apparaître son travail.
  • Il m’est arrivé à plusieurs reprises que le logiciel plante ou que mes réglages disparaissent
  J’ai l’air sévère, mais c’est dans l’espoir de secouer un peu l’arbre en espérant que quelque chose en tombe 🙂 Je dois dire que j’ai par contre eu d’excellentes surprises à son utilisation (d’autant plus qu’en s’habituant au logiciel, son utilisation devient nettement plus fluide) :
  • Les hautes lumières sont très bien rendues, et il n’y a pas pour ainsi dire jamais de blanc vraiment cramé (et ce n’est pas seulement du à ma bonne exposition à la prise de vue, il y a une réaction du capteur presque proche d’une pellicule)
  • La fonction « X3 Fill Light » (c’est-à-dire le débouchage des ombres) est très efficace et donne un rendu très naturel pour peu qu’on n’exagère pas.
  • Le rendu en noir et blanc est assez exceptionnel de base, même si on sent que le potentiel est sous-exploité.
  Pour toutes ces raisons (et aussi parce que j’aurais eu besoin de plus de temps pour bien maîtriser le logiciel), je n’ai pas obtenu exactement le rendu voulu sur mes images, ce qui me frustre un peu. Mon conseil est d’exporter le plus vite possible votre image en TIFF 16 bits, et de la retravailler dans Lightroom ou autre.

En résumé

Ne vous attendez pas à ce que je donne une note à cet appareil, ça n’a aucun sens. Selon ce que vous cherchez à obtenir, vous pouvez lui donner 0/20 ou 20/20. Si vous cherchez la meilleure qualité d’image possible pour des usages très posés, il est tout simplement impossible de trouver un meilleur rapport piqué/prix. J’insiste hein, c’est assez dingue. Par contre, si vous cherchez un appareil très polyvalent ou pour des usages plus orientés sur la rapidité, ce n’est clairement pas ce qu’il vous faut.   Points forts :
  • Bonne qualité de construction
  • Bonne ergonomie minimaliste
  • Qualité d’image absolument exceptionnelle
Points faibles :
  • Inutilisable en basse lumière (sauf pose longue bien sûr)
  • Réactivité générale très faible (autofocus, affichage des images, …)
  • Autonomie très faible (mais 2 batteries sont fournies)
  • Logiciel RAW vraiment frustrant
Voilà, je me doute que ce n’est pas un boîtier qui intéressera la majorité d’entre vous, mais ça pourrait être l’appareil idéal pour quelques-uns, et c’est toujours utile d’en connaître l’existence 😉

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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