Quelle est la différence entre l’art et l’artisanat ?
Ne fuyez pas si vous avez l’impression de vous retrouver en cours de philo au lycée avec le poussiéreux et ennuyeux Monsieur Richard. Vous allez voir, c’est intéressant ! 🙂 Si on a deux mots différents, c’est bien parce que ce n’est pas la même chose. Intuitivement, quand on parle d’artisanat, on pense à de beaux meubles, à de la marqueterie, à du fait main, à un bel instrument de musique, etc. Quand on parle d’art, on pense plutôt au concerto pour clarinette de Mozart, à la Joconde, au Petit Prince de Saint-Exupéry ou à Heroes de David Bowie. (oui, j’en profite discrètement pour vous ravir les oreilles 😛) Ces exemples sont simples, la distinction est facile. Mais comment définir la différence concrètement ? Si je prends la Joconde et une hypothétique parfaite copie de la Joconde, est-ce que c’est de l’art ? De l’artisanat ? Comment les distinguer ? Ce simple exemple (que je pique au livre dont je vous parle plus haut et plus bas) permet de mettre en avant une chose : il n’y a pas de limite claire entre les deux, car l’art nécessite forcément un certain savoir-faire, qui est le propre de l’artisanat.L’artisanat
En effet, l’artisanat est basé sur un savoir-faire acquis. C’est même le but premier de l’artisanat : le savoir-faire le meilleur possible. Le but final d’un objet d’artisanat est d’obtenir quelque chose de parfait : un meuble, un instrument de musique, etc. Les imperfections enlèvent quelque chose à un objet d’artisanat : vous paierez moins pour un meuble imparfait que pour un meuble parfait.L’art
À l’inverse, en art, l’imperfection n’enlève rien à l’œuvre, voire elle y ajoute quelque chose. Certaines œuvres sont belles grâce à leur imperfection. Je pense par exemple au David de Michel-Ange, avec ses mains disproportionnées, et sa jambe gauche plus longue que la droite (ce qui était volontaire d’ailleurs). Et dans tous les cas, la perfection n’est pas le but d’une œuvre d’art. C’est l’expression de l’artiste, qu’il veuille simplement créer quelque chose de beau ou exprimer une émotion particulière, c’est ça qui est primordial dans son œuvre, et non la perfection technique et la qualité du savoir-faire, qui ne sont que des outils au service de son expression.La différence
La différence entre les deux ne réside donc pas tant dans les outils ou dans le savoir-faire, mais dans l’intention qu’il y a derrière.Pour l’artisan, le savoir-faire est une fin en soi. Pour vous, l’artiste, le savoir-faire est le véhicule nécessaire à l’expression de votre vision. Le savoir-faire est la face visible de l’art.(je cite ici le bouquin, car cette phrase est magnifique)
Et en photo ?
Alors concrètement, qu’est-ce que ça change, qu’est-ce que ça doit changer pour vous, en photo ? En commençant, vous vous concentrez sur le savoir-faire, et c’est bien normal. Vous en avez besoin d’un minimum pour pouvoir vous exprimer à travers l’outil photographique : impossible de faire une faible profondeur de champ sans comprendre le concept d’ouverture par exemple. Et attention, je ne suis pas en train de dire qu’il faut abandonner ça : c’est très important et fait partie du processus. Mais l’important, c’est que ça ne doit pas devenir un but en soi. Produire la photo la plus nette possible, trouver la plus grande profondeur de champ grâce à l’hyperfocale, avoir le moins de distorsion possible, un objectif avec un bon piqué, n’a jamais fait une bonne photo ! Personne n’est jamais tombé en pâmoison en disant « Oh mon Dieu, qu’est-ce que cette photo est nette ! Je suis ému ! ». Ce qui fait qu’une photo arrête les gens, les émeut, les frappe en plein cœur, ce n’est pas votre savoir-faire avant tout, c’est votre expression. À partir d’un certain moment, il faut arrêter de se concentrer uniquement sur le développement de son savoir-faire technique en photo (qui de toute façon s’améliore principalement avec la pratique une fois les bases bien acquises), mais il faut se concentrer sur son expression. Alors oui, c’est effrayant. Il est plus facile de se concentrer sur l’obtention du meilleur piqué possible. Au moins, si ce n’est pas le cas, ce n’est pas de votre faute, c’est celle du matériel. Ou de votre savoir-faire (mais vous avez une excuse, vous débutez encore). Par contre, si vous avez mis toutes vos tripes dans une image, et que quelqu’un n’aime pas, ça fait mal. Car c’est vous, cette image. Et donc s’exprimer pleinement, ça fait peur. Et c’est normal. Mais ce qui fera que vos photos seront vraiment les vôtres, que vous vous exprimerez grâce à elles, que vous serez heureux ou ému en les voyant, c’est votre intention derrière. Celle de produire une œuvre d’art (n’ayons pas peur des mots), et non pas une pièce d’artisanat (ce qui n’a rien de péjoratif hein, j’ai beaucoup de respect pour l’artisanat). Donc arrêtez de passer à des heures à vous demander comment obtenir l’hyperfocale parfaite, ou quel objectif vous donnera un tout petit peu plus de piqué que le voisin. Exprimez-vous, photographiez. Et si cet article vous a intéressé, je vous conseille le livre que je suis en train de lire. Il existe une traduction française, même si le titre a comme d’habitude été mal traduit : « Petit éloge de l’art : Repérer et surmonter les peurs propres à toute pratique artistique ».
Bonjour Laurent,
Personnellement cet article tombe à pic dans un débat intérieur qui m’occupe depuis des mois. Pour moi, c’est l’autorisation à l’expression de soi, et çà oriente ma façon de faire, d’insuffler ma contribution dans mon Art…
Et ça fait du bien. Merci.
Article qui m’a le plus parlé (jusqu’à present). Peut être celui ou tu as mis le plus de toi-même dedans ? Auquel cas… Il s’agirait d’une oeuvre d’art, au même titres que tes photos ?
Merci pour ce petit moment hors du temps.
Monsieur,
Je suis paralysé par vos conclusions péremptoires sur la prédominance de l’art sur l’artisanat.
L’art est le résultat d’un labeur, pouvant procurer une émotion esthétique. Ceci est valable dans toutes les disciplines, dans toutes les matières, pour tous les peuples, les intellos d’occasion, les philosophes, y compris les juristes.
L’art ne s’arrête pas aux “arts plastiques” dans un langage populiste (ou qui se voudrait populaire, sinon banal), il est transcendant de la matière (entendue comme discipline) dans la recherche d’une perfection.
La maîtrise de l’expression est un moyen et non une fin en sois ; dans ce cas ci, la fin justifierait les moyens, et le post traitement, une tromperie.
Comparer art et l’artisanat ( s’entendant comme le pendant de la fabrication industrielle) est une réduction de “petits pieds”, et pourquoi pas le bricolage à l’avenant.
Non, notre Pays a suffisamment baissé les niveaux de compétences et de travail (seules sources de plus values). Pitié, ne piétinez pas le savoir faire, pour se raccrocher à l’art, qui deviendrait la planche de salut, un radeau de survie. Les peuples s’y étant laissé aller s’y sont échoués, fondus, disparus.
bonjour,
Intéressant comme réflexion mais je ne suis pas tout à fait d’accord!
Je m’explique ,je compose de la musique,je peints aussi et donc c’est tout naturellement que j’aborde la photo comme un art, mais je conçois parfaitement que cela n’est pas un objectif obligatoire pour tous.
Je pense que certains photographes peuvent prendre leur pied à maîtriser la technique, à sortir des images les plus propres possibles, des images qui font impression par leur maîtrise et pas par ce qu’elles expriment. Et qui avec passion, photographie des voitures, de gâteaux ou des oiseaux qui s’envolent. Tiens justement, les photographes animaliers sont ils obligés d’avoir une démarche artistique ? Je ne crois pas.
Halte à la dictature de l’art 🙂 Vive les bons artisans!Quand on voit la qualité médiocre de certaines pubs dans nos boites aux lettres, on aimerait bien que de bons artisans fassent des jolies photos de bifteck ou de jambon à l’os!
Continue comme ça, passionnant ton blog!
Oui je suis bien d’accord avec cet article. Quand je prends 2/3 photos de travers, flou ou avec un effet de mouvement, on me dit que la photo est ratée! Alors des fois ce n’est pas volontaire mais ça donne de très beaux clichés!
Dans un livre dédié aux Compagnons et à leurs “chefs d’œuvre”, je lis que ce sont d’abord les qualités d’état d’esprit qui priment sur une perfection qui, tout d’abord , est individuelle et propre à chacun, chacun son chemin et son évolution….Et qu’il est toujours temps d’avancer et de perfectionner son “art”au fur et à mesure….Intention, bienveillance, curiosité, enthousiasme, émerveillement , clefs d’une Belle et même Serrure!
Un travail, une musique peuvent être techniquement “parfaites”, mais sans âme….Je pense à Maurice Baquet jouant de son violoncelle en donnant l’impression de bâcler son interprétation en faisant le pitre, mais qui m’a donné les plus belles sensations musicales dont je me rappelle. Il y avait l’essentiel, le lâcher prise, génial!Il ne cherchait pas l’effet, mais donnait le meilleur….
Voilà, Laurent, ce que ton article m’inspire….Je te l’offre volontiers et à nos amis….
Bonjour Laurent,
Merci pour ton article. Je suis entièrement d’accord avec la philosophie de celui-ci. Etant dessinatrice à la base, j’ai de temps en temps entendu des gens me demander quel crayon j’ai utilisé, comment j’ai procédé ou quelle règle j’applique pour ne pas me tromper dans les proportions. Et là, je me sens toujours un peu bête de devoir leur repondre : “Ben euh, je ne sais pas moi. Je ne me suis pas posé de questions, j’étais dans mon monde :-)” Une fois que les bases sont acquises, on s’améliore finalement un peu inconsciemment juste en pratiquant. Et on peut se perdre dans son propre univers d’inspiration.