Photo bouteille de vin
Il y a 10 jours, j’ai écrit d’un seul trait un article un peu plus philosophique que technique sur l’opposition art/technique. Je m’attendais à peu de commentaires, mais finalement il semblerait que le sujet vous aie bien plu : avec 129 commentaires à ce jour, c’est le 16ème article le plus commenté du blog (sur plus de 250!). Du coup, comme mon esprit était encore plein de réflexions artistiques, je me suis décidé à vous parler de ce sujet complexe et souvent controversé qu’est l’inspiration. En photographie en l’occurrence, puisque c’est notre domaine, mais ça vaut pour tous les arts finalement.   Sujet complexe, car à la fois on me pose assez régulièrement la question de « comment être inspiré ? », et qu’il n’y a évidemment pas de réponse simple. On peut déjà buter sur la définition même d’inspiration en fait. Et sujet controversé, car la seconde question qui vient à l’esprit est souvent « comment s’inspirer sans copier ? », voire chez ceux plus catégoriques et qui très franchement n’ont pas beaucoup réfléchi au sujet : « s’inspirer c’est copier, bouh c’est mal, il faut avoir son propre style ». Comme souvent, avoir une vision manichéenne et diviser le monde en gentils créateurs inspirés et méchants copieurs est évidemment trop simpliste, mais j’y reviendrai.

L’inspiration ?

Ça va faire presque académique mais tant pis car c’est extrêmement utile. Avant tout il faut définir ce qu’on veut dire par inspiration. Car il y a plusieurs définitions différentes, qu’on va toutes explorer ici. Je vous cite donc le Wiktionnaire :
inspiration /ɛ̃s.pi.ʁa.sjɔ̃/ féminin
  1. (Physiologie) Action par laquelle l’air entre dans le poumon ; mouvement opposé à l’expiration.
  2. (Par analogie) Sorte de souffle divin qui pousse à tel ou tel acte.
    • Après la défaite de Koeniggraetz […], François-Joseph reçut du Saint-Esprit l’ordre d’appeler au pouvoir, […], un ministre saxon. L’inspiration céleste est ici manifeste, parce que le choix de l’Empereur ne saurait évidemment s’expliquer par aucune raison humaine. — (Ernest Denis, La Question d’Autriche ; Les Slovaques, Paris, Delagrave, 1917, in-6, p.197)
  3. (Par extension)
    • C’est par votre inspiration que j’ai agi.
    • J’ai eu une bonne inspiration.
    • Avoir d’heureuses, de sublimes inspirations.
    • Les inspirations du génie.
    • Cette idée m’est venue comme par inspiration.
  4. (Poésie, beaux-arts, etc.) Enthousiasme.
    • On sent dans cette poésie la chaleur de l’inspiration.
    • Céder à l’inspiration.
On a donc 3 définitions principales, qu’on peut simplifier :
  • L’inspiration respiratoire, par opposition à l’expiration
  • La pensée créatrice (issue de l’idée de « souffle divin »)
  • L’enthousiasme et la motivation
C’est très intéressant, car quand on demande « comment être inspiré ? », ça peut vouloir dire « comment créer quelque chose de nouveau ? », ou alors « comment être motivé pour pratiquer la photo ? ». Ce qui sont déjà 2 choses différentes.   Mais avant tout, je voudrais revenir sur la première définition. Elle peut paraître hors sujet, mais je crois que l’étymologie est importante. Ça a fait le déclic pour moi quand j’ai entendu David Duchemin en parler dans une conférence récemment (c’est un photographe canadien anglophone, donc c’est tout en anglais. Mais bonne nouvelle, j’ai depuis traduit la formation de David, Révélez votre Âme de Photographe, que vous pouvez retrouver sur la page des formations de David DuChemin en français 😉 ). En effet, inspirer c’est respirer, faire « rentrer » quelque chose. Et l’expiration c’est quand vous vous exprimez artistiquement (en photo ou non). L’idée est que pour expirer quelque chose, il faut d’abord avoir inspiré auparavant. Et on verra après en détail qu’il ne s’agit pas forcément de regarder d’autres photos, mais de quelque chose de beaucoup plus large que ça.   J’insiste là-dessus car je pense qu’on peut regrouper ces deux idées de pensée créatrice et d’enthousiasme (souvent liées d’ailleurs) sous cette notion d’inspirer plein de choses, de les absorber en quelque sorte. Ainsi, tout ce que je vais vous détailler après sert les deux intérêts : vous rendre créatifs mais aussi vous donner de l’énergie dans votre pratique artistique, et photo en particulier.   Je vais évacuer rapidement la question de la copie : le seul moyen de copier au lieu de s’inspirer, c’est de regarder un travail, et d’essayer de faire exactement la même chose juste derrière sans apporter quelque chose de personnel. Et encore, il n’est pas dit qu’on y arrive. Vous allez voir que je vous conseille tout l’inverse : plusieurs sources à laisser mûrir, etc. Les plus grands artistes sont passés par là également, aucun souci, tant qu’on n’y reste pas. D’autant plus qu’il serait prétentieux de dire qu’on invente réellement quelque chose : on n’a pas vécu dans une bulle depuis sa naissance, et toutes les influences reçues depuis sa plus tendre enfance contribuent d’une manière ou d’une autre à la personne qu’on est et à notre expression artistique. Rien n’est inventé, par contre tout est réinventé !

Recherchez le beau

Photo bouteille de vin
Le beau se cache partout, même dans une bouteille de vin ! (encore pleine :P)
Le beau est absolument essentiel pour tout artiste à mon sens. C’est peut-être un peu subjectif comme point de vue, car je n’aime pas l’art qui n’est pas esthétique, mais j’ai une notion du beau très large quand même. On peut tout à fait rendre beau un tas de mégots de cigarettes pour moi.   Et j’insiste assez fort là-dessus : il faut vous nourrir constamment de beau. Ça doit devenir aussi vital, courant et habituel pour vous que de boire de l’eau. Je pèse mes mots quand je dis nourrir : je trouve qu’on se sent réellement « rempli » quand on a vu du beau, et n’oubliez pas que l’inspiration, c’est avant tout absorber beaucoup de choses avant de les expirer sous une forme créative. Comme vous inspirez sans doute déjà beaucoup de choses pas forcément très belles ou positives chaque jour (le stress du boulot, les gens pénibles dans le métro, votre belle-mère, … :P), autant absorber le plus de beau possible.   Et en plus de ça, je pense que c’est très souvent lié à une énergie très positive et libératrice. Personnellement, quand j’ai été émerveillé par quelque chose (même de totalement courant), il peut m’arriver de chantonner dans la rue. Je me retiens un peu de sautiller comme dans Singin’ in the rain à la limite ! Cette énergie est liée au fait de voir le monde d’un œil enjoué et optimiste, et c’est très important. Je ne sais pas vous, mais pour moi c’est dans ces moments-là que je me sens le plus de faire de la photo, mais aussi que j’obtiens les meilleurs résultats. Alors je ne vais pas m’embêter à définir le beau, parce qu’on a assez fait de philo ces derniers temps, et que pour ça je devrais embaucher mon ancien prof de terminale. Je me contenterai de dire que c’est évidemment subjectif, et que c’est à vous de savoir. Explorez les choses que vous aimez, que vous trouvez belles. D’une belle lumière sur les montagnes aux toiles de Picasso, les possibilités sont infinies. Quand on pense photo, on a tendance à vouloir regarder de belles… photos. Éventuellement, de belles peintures si on va chercher plus loin. Mais il ne faut pas s’arrêter là ! (habile transition, je pourrais presque faire le JT de 13h ! :D)

Faites des choses différentes

Dans ce que vous absorbez donc, cherchez plus loin que la photo ou les arts picturaux. Allez chercher du côté de la peinture, de la sculpture, de la musique (allez dans un concert ou à l’opéra !), de la danse, du théâtre, … Il y a forcément quelque chose qui vous parlera. Cela dit, je vous invite à rester ouvert : essayez vraiment, et essayez plusieurs fois. Il n’est pas toujours facile d’aborder certains arts, surtout quand on ne connaît pas. Faites vous conseiller pour trouver des choses accessibles. Ca peut vous paraître totalement sans rapport, mais être ému par quelque chose de beau (et ça vous arrivera si vous n’avez pas la sensibilité d’une huître), ça vous mettra en connexion avec vos émotions (parfois réprimées surtout de nos jours), et vous permettra à terme de plus et mieux vous exprimer.   Alors être spectateur c’est bien, mais être acteur c’est mieux ! Je vous encourage également à essayer de pratiquer d’autres arts. L’effet n’en sera que décuplé. Pas de complexe : vous avez encore plus le droit d’être mauvais qu’en photo si vous y débutez encore plus ! 😀 L’essentiel est d’inspirer des choses.   Plus photographiquement parlant, vous pouvez aussi essayer d’autres techniques photographiques. C’est toujours extrêmement enrichissant, à la fois pour améliorer votre savoir-faire technique (car on apprend toujours quelque chose), mais aussi pour avoir de nouvelles idées, voire trouver une pratique photo que vous adorerez. Quoi de plus excitant et motivant que d’essayer de nouvelles choses ? Retrouvez votre âme d’enfant et votre attitude décomplexée de débutant et amusez-vous ! 🙂 Par exemple, c’est ce que j’ai fait à quelques reprises sur le blog en m’essayant au lightpainting ou à la photo macro abstraite. Photo techniques photographie originalité

Donnez-vous du temps

Photo horloge rueCe qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas parce que vous allez faire un musée, regarder un coucher de soleil, faire du chant et essayer la pose longue que le lendemain vous allez devenir un artiste accompli et vous réveiller avec l’idée du siècle. En fait, le but de l’absorption de toutes ces choses, c’est de nourrir votre cerveau de beaucoup de choses. Il fera le tri tout seul, inconsciemment, et plus tard en sortira quelque chose, qui vous surprendra d’ailleurs sans doute. Et ce processus ne vient pas de nulle part et prend du temps. Voire beaucoup de temps. Ne vous pressez pas, c’est le meilleur moyen de vous vider de toute énergie artistique, parfois durablement. Laissez le temps à l’envie de venir, à une idée de faire son chemin et de mûrir.   Parfois même, vous aurez une idée ou une envie, mais vous sentirez qu’il vous manque encore quelque chose. Vous y repenserez souvent, et un jour vous serez prêt à en faire quelque chose. Ça m’est arrivé plusieurs fois en photo, mais aussi tout simplement pour écrire des articles. Celui-ci me traîne en tête depuis au moins un mois, et il lui a fallu tout ce temps pour mûrir : je l’ai écrit d’une seule traite en une heure !

Ne vous mettez pas la pression

Photo noir et blanc cafetière café pressionCela dit, ne vous reposez pas non plus trop sur l’attente d’une hypothétique inspiration. C’est souvent en faisant concrètement quelque chose que ça vient. Donc il faut à la fois se sentir prêt, mais pas non plus prendre ça comme prétexte pour procrastiner et ne jamais rien faire. Le meilleur moyen qu’a un écrivain pour écrire un livre, c’est de se mettre devant sa page blanche, et commencer à écrire. Laisser couler, expirer ce qu’il a, et voir ce que ça donne. Tant pis si c’est de la merde, au moins c’est quelque chose. Il est toujours possible de le corriger, de l’améliorer, voire de recommencer. Et c’est encore plus vrai en photo.   N’ayez donc pas peur de faire plein d’erreurs ! D’abord parce que même vos mauvaises photos ont sans doute quelque chose de bon, mais surtout parce qu’on apprend de ses erreurs. Vous n’êtes pas obligés de les montrer, mais elles mènent à des photos meilleures. Tous les photographes font énormément de photos qu’ils ne montrent pas avant d’arriver à une seule image vraiment excellente. Ceux qui vous disent le contraire mentent. Franchement, si j’ai une excellente image par mois (une que j’afficherais sur mon mur avec fierté), je suis très content. Mais je suis aussi très exigeant avec moi-même (si je me contente d’un paysage bien exposé, c’est plus simple évidemment).  

Voilà, j’espère que cet article vous aidera à y voir un peu plus clair, à vous libérer émotionnellement, créativement et photographiquement. Si j’ai réussi avec ne serait-ce qu’un seul d’entre vous, j’en serai déjà heureux ! 🙂

Et vous, quelles sont vos sources d’inspiration ? (au sens très large, vous l’aurez compris)

 

 

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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