“Sur cette planète / Une ombre s’étend / Sur la terre ravagée.”
C’est le titre de la trilogie photographique de Nick Brandt, l’incroyable photographe que je vous propose de découvrir aujourd’hui.
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On this Earth.
“Sur cette planète, une ombre s’étend, sur la terre ravagée.” C’est le titre de la trilogie photographique de Nick Brandt, l’incroyable photographe que je vous propose de découvrir aujourd’hui. Nick Brandt est un photographe anglais, né en 1964. Il étudie la peinture puis le cinéma à l’école d’art de Saint Martin à Londres, puis déménage aux États-Unis en 1992 où il réalisera de nombreux clips pour des artistes tel que Moby ou Michael Jackson. Pour le tournage du clip de ”Earth Song”, Nick Brandt se rend en Tanzanie, et tombe amoureux tant de la terre que des animaux peuplant l’Afrique de l’Est. Il tente de capturer son sentiment en film, mais réalise que seule la photographie lui permettra d’exprimer ce qu’il souhaite. Il entame alors en 2001 un projet photographique ambitieux qui s’étalera sur plus de 11 ans et trois immenses livres photo. Le travail de Nick Brandt est aisément reconnaissable tant il est visuellement particulier. Le plus évident est ce rendu monochrome chaud dont on reparlera après. Mais d’autres choses sont intéressantes. Tout d’abord, nombre de ses photos rapprochées d’animaux offrent une sensation de grande proximité avec le sujet. Et d’ailleurs, on peut carrément parler de portraits : les sujets sont traités avec une certaine déférence, qu’on pourrait retrouver dans un portrait sérieux ancien, comme on pouvait les faire à une époque où il fallait poser plusieurs secondes pour être net sur la photo. Cette sensation de portrait intemporel est souvent renforcée par un flou très particulier, qui semble à la fois être réalisé avec une optique de type « soft focus », et en même temps avec un plan de netteté particulier, comme si l’image avait été faite avec un objectif à bascule et décentrement, ou « tilt-shift ». On voit bien cet effet sur ce portrait d’antilope par exemple, où la netteté est comme « oblique ». Sur d’autres images aux plans plus larges, la qualité du contraste est vraiment ce qui distingue le travail de Nick Brandt : les ciels sont souvent sombres et toujours profonds et intéressants. Vous vous en doutez, il y a une raison particulière derrière ce rendu. Nick Brandt a un message fort à faire passer, dont on reparlera dans quelques minutes, et que l’aspect de « vieux portrait » sert très bien. En effet, que sont devenus les gens des vieux portraits d’antan ? En général, ils ont disparus. En choisissant ce rendu, Nick Brandt choisit ainsi de représenter la faune africaine comme si elle avait déjà disparu. Mais alors, comment fait-il concrètement ? Eh bien, Nick Brandt travaille de manière très particulière pour un photographe « animalier », puisqu’il photographie au Pentax 67 moyen format argentique. Avouez qu’un appareil argentique, aux rouleaux de pellicule à changer très souvent, assez bruyant et encombrant, c’est un choix original quand on photographie des animaux bougeant constamment depuis une jeep dans la savane. Mais la grande taille de la surface sensible lui permet d’obtenir plus aisément un arrière-plan très flou ainsi que des tirages de grande taille (on y revient). Et les choix originaux de Nick Brandt ne s’arrêtent pas là : il a choisi de ne pas utiliser de téléobjectif, et doit donc être très proche des animaux afin de réaliser ses images. Mais il les considère comme des égaux, et pour lui c’est indispensable pour capturer leur âme, de la même façon qu’on ne se placerait pas à 30 m de quelqu’un pour prendre son portrait. C’est ainsi qu’il obtient ce sentiment de proximité incroyable, qui se perçoit très bien sur certaines de ses photos d’éléphants. Par ailleurs, il utilise apparemment une version modifiée de ses objectifs pour obtenir l’effet « tilt shift » dont on a parlé précédemment. Mais évidemment, ses choix techniques rendent la prise de vue beaucoup plus difficile, et ses images requièrent énormément de patience. Cette photo d’un lion, sans doute la plus célèbre d’entre toutes, lui aura pris 18 jours. 17 jours à attendre près du même animal, et le 18ème, les étoiles s’alignent : la tempête approche, donnant de la substance au ciel, le vent se lève dans la crinière du roi, et l’animal pose un instant, récompensant la patience du photographe. Au-delà des choix optiques, Nick Brandt provoque consciemment le contraste dont nous parlions, bien évidemment. Il utilise un filtre rouge qui permet d’assombrir les ciels en argentique noir et blanc, ainsi qu’un filtre gradué, que vous connaissez sans doute mieux. A son retour, il scanne ses négatifs pour en ajuster les tonalités sur l’ordinateur. En général il joue sur les contrastes généraux, le vignettage, et utilise un peu de dodge & burn, technique que j’ai exposée dans une vidéo précédemment. Ses tirages sont souvent réalisés selon la technique du platine palladium, qui permet de donner ces tons chauds et de magnifiques détails. Mais ça, il faut le voir en vrai 😉 Et la première fois que j’ai vu ses tirages en vrai, c’était au Fotografiska à Stockholm. J’y étais en vacances et, par hasard complet, se tenait une rétrospective sur son travail. Je me suis évidemment précipité à l’expo, et je peux vous dire que j’en suis ressorti très ému. Il y a quelque chose de l’ordre de la magie dans un tirage de 2m de haut d’un éléphant, et une grande tristesse quand on apprend que le vieux mâle majestueux de cette photo est mort peu après aux mains des braconniers. Je vous mets un lien en description pour suivre les prochaines expos de Nick Brandt, mais en attendant, je vous conseille vivement ses ouvrages : comme vous avez pu le voir dans cette vidéo, ils sont heureusement assez grands, et la qualité d’impression est magistrale. Ce sont vraiment des livres à posséder pour tous les photographes. Dans cette vidéo, je vous ai surtout montré des images des deux premiers livres, mais dans le 3ème tome “Across the Ravaged Land”, Nick Brandt ne photographie plus seulement les animaux, mais inclue aussi l’Homme et des photos plus préparées où il montre sans voyeurisme les ravages du braconnage sur les éléphants, stimulé par la demande d’ivoire en provenance d’Asie. Bouleversé par le massacre, Nick Brandt crée sa fondation ”Big Life” en 2010 afin de limiter au maximum l’impact du braconnage dans le parc d’Amboseli et aux alentours. Dans les années 1930, la population d’éléphants d’Afrique était de 3 à 5 millions d’individus. Aujourd’hui, elle est d’environ 400 000. Malgré la protection de l’espèce et l’interdiction du commerce de l’ivoire dans la majorité du monde, elle a été amputée de 110 000 individus pendant la dernière décennie. Pourtant, seul 20% de son habitat est aujourd’hui formellement protégé. Mais l’espoir subsiste : la vente d’ivoire est illégale en Chine depuis ce mois de janvier 2018, et Hong Kong vient d’en voter l’interdiction également. De quoi voir la lumière au bout du tunnel. NICK BRANDT : Site web : http://www.nickbrandt.com/ Expositions : http://www.nickbrandt.com/text_page.c… Big Life Foundation : https://biglife.org/ LIVRES : 1 – On this Earth (anglais) : http://amzn.to/2oP95y3 2- A Shadow Falls (anglais) : http://amzn.to/2FPE4lQ (français) : http://amzn.to/2oNKGcf 1+2 Livre combiné “On this Earth, A Shadow Falls” (anglais) : http://amzn.to/2FPEeJT 3 – Across the Ravaged Land (anglais) : http://amzn.to/2FNy6Sl (français) : http://amzn.to/2FNyosp
C’est juste magnifique !