Le bokeh est un mot que vous allez croiser tôt ou tard si vous vous intéressez à la photographie. Il est souvent utilisé pour désigner le flou obtenu à faible profondeur de champ.
Ce mystérieux mot est souvent l’objet de bien des discussions dans les forums et groupes Facebook liées à la photo. Il n’est pas rare de le voir assorti d’une ribambelle d’adjectifs : « quel bokeh délicat, jamais vu aussi crémeux et onctueux ! »
C’est à se demander si les gens ne parlent pas plutôt de recette de risotto aux cèpes 😅
Mais alors, est-ce que le bokeh est juste un terme de jargon inutile pour parler de faible profondeur de champ ?
Pas tout à fait. Et c’est pour ça qu’il mérite son article dédié 🙂
Avant de plonger dans le vif du sujet, je vous invite à jeter un œil à mon article sur les cinq leviers qui influent sur la profondeur de champ d’une photo. C’est un prérequis important pour bien profiter de la suite !
Qu’est-ce que le Bokeh ?
Le bokeh est un mot d’origine japonaise qui désigne la qualité esthétique du flou de profondeur de champ. Autrement dit, le bokeh est l’aspect de la texture de ce flou.
Késaqo ?
Puisque vous êtes francophones, faisons un parallèle avec le fromage, ça parlera à tout le monde 😉 Prenons le reblochon avec sa texture onctueuse et son goût assez doux (sans la croûte), qui est très différent d’un comté 24 mois, dont la texture est plus dense, et le goût assez relevé avec des arômes de noisette. Vous avez le droit de préférer le reblochon au comté, c’est une affaire de goût !
Eh bien pour le bokeh, c’est pareil ! Vous pouvez aimer les bokeh doux et équilibrés, ou bien préférer ceux avec des textures plus complexes. Le bokeh est l’aspect du flou : c’est une affaire de goût, donc une notion forcément subjective.
La profondeur de champ, quant à elle, désigne la taille de la zone de netteté et donc la quantité de flou (devant et derrière le sujet). Puisqu’il s’agit de quantité plus que de qualité, c’est une caractéristique de la photo, et donc une notion plus objective.
De la même façon, vous pouvez acheter un petit morceau de comté, ou la meule entière de 40 kg 🙂
Petit exemple pour bien comprendre. Sur la photo ci-dessus :
- La profondeur de champ est faible. C’est indéniable, pas besoin d’inviter deux experts pour faire un débat là-dessus
- Le bokeh (aka la qualité esthétique du flou d’arrière-plan) peut être jugé harmonieux pour certains, trop distrayant ou trop cliché pour d’autres
- il ne faudrait pas dire « beaucoup de bokeh ou peu de bokeh » si on s’en tient à la stricte définition
Ça c’est la théorie des bancs de l’école ! En pratique, soyez prêts à rencontrer très souvent des abus de langage : bokeh, flou d’arrière-plan, et faible profondeur de champ sont couramment employés de manière interchangeable !
Dans cet article, je vais donc parler du sens premier du bokeh – pour vous aider à mieux maîtriser son aspect esthétique dans vos images.
Qu’est-ce qu’un bon bokeh ?
Comme vous le savez en photographie, vous êtes responsable de ce que contient votre cadre. Cela veut dire que rien ne doit être laissé au hasard dans vos choix.
La profondeur de champ est un de ces choix.
La faible profondeur de champ est un outil très utile pour attirer l’œil facilement vers le sujet d’une photo, et éliminer les éléments parasites dans le flou. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est souvent utilisée en photo professionnelle pour s’assurer qu’une photo montre bien ce que veut le client.
Vous vous en doutez, il n’existe pas de définition partagée de ce qu’est un « bon bokeh », mais à la lumière de ce qui précède, cela pourrait être vu comme un flou d’arrière-plan dont l’aspect est cohérent avec l’intention de la photo.
Autrement dit, un mauvais bokeh détourne l’attention du sujet principal de la photo et l’affaiblit, tandis qu’un bon bokeh le renforce.
Je sais, vous allez me dire « c’est bien gentil toutes ces belles phrases, mais peut-on voir des photos concrètes pour comprendre s’il te plaît ? »
Et vous avez raison ^^ Voici un inventaire non-exhaustif des différents aspects de bokeh et leur intérêt pour servir la composition d’image et votre intention photographique.
Petit avertissement néanmoins : ce qui va suivre n’est en aucun cas une recette de cuisine qu’il faut suivre à la lettre. Vous savez bien mon avis sur la sur-simplification des conseils liés à la construction d’une image (dont la règle des tiers en est l’exemple emblématique).
Notez aussi que cette classification des différents types de bokeh n’est régie par aucune norme et n’engage que moi ^^
Le bokeh soyeux
Soyeux, crémeux, onctueux, je vous laisse choisir l’adjectif qui vous parle.
C’est un flou de couleur et de texture assez uniforme (typiquement une seule dominante de couleur)
On retrouve ce bokeh doux parfois en photo de portrait serré, ou seul le sujet est net.
Ce type de bokeh fonctionne bien quand l’arrière-plan n’apporte pas d’information pertinente pour la photo, et son objectif est de ramener toute l’attention du spectateur sur le sujet. A ce titre, il a la même fonction que les fonds unis en photo de studio.
Parfois même, la zone de netteté est si étroite qu’elle se limite au visage du sujet alors que ses oreilles sont déjà floues ! Dans ce cas, il faut être soigneux sur la mise au point.
Ce rendu de bokeh très doux est d’autant plus facile à créer que la focale est longue, que l’ouverture est grande, et que l’arrière-plan est éloigné du sujet et de couleur assez unie (ça marchera moins si vous avez des reflets brillants du soleil sur l’arrière-plan). Maximisez tous les paramètres.
Par exemple sur Full Frame, un 200mm f/4 ou un 85mm f/1.8 conviennent très bien.
Pour avoir le même rendu sur micro 4/3, il faudra compenser un peu la taille du capteur en augmentant l’ouverture. Par exemple, avec Panasonic Lumix G X Vario 35-100mm F2.8 II Power OIS, vous atteignez sans souci un équivalent 200mm f/2.8 qui fera très bien l’affaire 😉
Vous remarquerez qu’on voit beaucoup ce type de bokeh chez les photographes de sport ou animaliers, qui sont coutumiers des très longues focales (et en même temps, ils n’ont pas forcément le choix, étant parqués en bordure du terrain !)
Le bokeh avec petites bulles de lumière
Oui ce nom n’est pas absolument pas officiel, c’est normal, je viens de l’inventer 😅
C’est un rendu de bokeh archi-ultra-classique que vous avez sûrement déjà vu, et qui consiste à flouter des petites sources de lumière présentes en arrière-plan : typiquement des lumières de la ville, des guirlandes sur un sapin de Noël ou des bougies.
Ce type de bokeh contribue à l’ambiance de la scène. Je me souviens que j’en étais absolument fan au début de ma pratique au point d’en user et d’en abuser 🙂
Vous êtes le seul capitaine à bord : à vous de doser cet effet avec parcimonie et de voir si ce rendu est en accord avec votre intention photographique !
Petit point technique : Les petites bulles de l’arrière-plan prennent la forme des lamelles du diaphragme de votre objectif. Ainsi, avec des objectifs un peu anciens, vous pouvez avoir des pentagones. Si ça vous chante, vous trouverez même des tutoriels pour créer des bokeh en forme d’étoile ou de cœur grâce à des pochoirs. Ah bon c’est too much vous croyez ? ;))
Pour finir, vous pouvez aussi obtenir ce type de rendu en forêt, en pleine journée, quand le soleil crée des reflets sur les feuilles des arbres. D’ailleurs, cela peut être un bon moyen de continuer à photographier en pleine journée, alors que le soleil au zénith produit des ombres disgracieuses sur le visage de vos sujets.
Pour vous donner une idée, voilà comment se transforme l’arrière-plan quand je change ma distance de mise au point de plusieurs mètres à environ 1m, à 200mm f/4. Là encore, faites vos tests avec votre propre matériel pour trouver vos repères, mais au moins vous savez qu’il faut emporter votre panier et votre appareil quand vous allez chercher des champignons en forêt 🙂
Note : Si vous voulez à l’inverse éliminer ces reflets, le filtre polarisant sera votre ami : c’est par ici !
Pour rendre ces tâches de lumière plus « crémeuses », les constructeurs ajoutent parfois un élément optique supplémentaire dans certains de leurs objectifs : le filtre d’apodisation 🤨
L’idée ici n’est pas de tomber en pâmoison sur la technologie en elle-même, mais plutôt de vous donner les infos nécessaires pour que vous sachiez de quoi il s’agit si vous en entendez parler un jour :
- ce filtre supplémentaire (nommé filtre d’apodisation ou APD) concerne souvent les focales dédiées au portrait (typiquement 80mm ou plus en équivalent Full Frame)
- il a pour effet de lisser les bulles de lumières du bokeh, pour adoucir encore plus sa texture globale (comme avec le reblochon, vous vous souvenez 😉)
Comme je n’ai pas ce genre d’objectif sous la main, voici un schéma d’une bulle de lumière modifiée par un filtre APD. Notez que l’objectif utilisé pour les feuillages ci-dessus ne comporte pas de filtre APD, et vous voyez que le rendu des bulles de bokeh n’est pas plus catastrophique 🙂
Même si cet effet n’est pas de mauvais goût, je n’ai jamais vu quelqu’un s’exclamer « j’aime bien ce portrait, mais quel dommage je n’avais pas de filtre APD ! ».
D’ailleurs cette technologie est assez récente puisque toutes les marques n’en incluent pas dans leur gamme. On peut en citer trois :
- Fuji 56mm f/1.2 APD
- Sony G Master 100mm f/2.8 STF
- Canon RF 85mm f/1.2 DS
Le ticket d’entrée dépasse les 1300 euros pour ce type d’objectif donc disons qu’il faut vraiment avoir envie d’adoucir ces petites bulles de lumières pour décider d’investir 😉
Mais revenons au sujet de cet article, avec l’avant-dernier look de bokeh.
Le bokeh léger
Il laisse entrevoir l’arrière-plan suffisamment distinctement pour donner du contexte sur la scène photographiée.
Par exemple, cette photo d’un docker anonyme à Liverpool nous montre un arrière-plan à peine flouté qui suggère un mouvement de grève face aux conditions de travail difficiles.
Ce type de bokeh est aussi courant pour les arrières plans aux motifs répétitifs comme sur la photo ci-dessous avec les baïonnettes des soldats. L’imagination du spectateur reconstitue l’arrière-plan, sans que celui-ci n’attire trop l’attention au détriment du sujet.
Pas de bokeh du tout !
Je suis volontairement provocateur ici pour battre en brèche une idée reçue : non, une bonne photo n’a pas forcément du flou d’arrière-plan et un bokeh ultra-travaillé (désolé d’enfoncer les portes ouvertes 😉)
Étonnamment, c’est même presque le contraire qu’on constate chez les Maîtres de la photo du XXème siècle, que ce soit chez les photojournalistes ou les portraitistes. Donc ne vous mettez pas trop la pression sur ce fameux bokeh !
Conclusion
En guise de conclusion, j’aimerais vous inviter à voir le bokeh comme un outil parmi d’autres au service de votre composition !
Au début de sa pratique, on découvre le merveilleux monde de la faible profondeur de champ et on fait du bokeh pour faire du bokeh, ce qui est tout à fait normal.
Personnellement, je ne suis pas obsédé par le rendu du bokeh de mes objectifs, et le rendu d’un équivalent 50mm f/1.8 me suffit déjà amplement !
Et vous, quelle est votre relation au bokeh dans votre pratique photographique ? Continuons la discussion en commentaires ☺️
Bonjour Laurent et toute l’équipe.
J’aimerai que de temps en temps vous nous fassiez des articles sur des photographes “reconnus” avec en descriptif leurs particularités dans cet art. Merci
article très intéressant
reste a appliquer
Je ne suis pas obsédée par le bokeh. Cependant, pour les photos macro pastel, je préfère qu’il soit doux et assez lisse.
Pour le reste de ma pratique, tout dépend de mon intention.
Très intéressant, toujours avec une petite pointe d’humour.
Je déteste le mot bokeh (la photographie est d’origine française donc parlons de flou d’arrière plan) pour moi ce flou d’arrière plan sert souvent à cacher une médiocrité relative , c’est au même titre que cet anglicisme une mode entachée de snobisme . Bien sûr que cela peut faire partie d’une composition mais cela n’est en aucun cas le sujet d’une photo . Certains courants historiques prônaient pour une profondeur de champ maximale et pourtant leurs photos étaient tout à fait pérennes .
Bonjour.
Je débute dans la photo loisir et j’ai opté pour un 50/f1.8. Je me suis dit : “ouahou je fais du super flou”. Et à la longue, je me suis rendu compte que je ne maîtrisais pas la mise au point précisément, combien de photos ratées… Du coup dans les faits, j’ouvre souvent modérément pour me débarrasser d’un arrière plan qui ne m’intéresse pas. Je travaillerai la texture du bokeh avec l’expérience, quand ma maîtrise augmentera.
Bisous.