Photographier des feux d'artifice

À l’approche de la fête nationale le 14 juillet, chaque année, je reçois des questions sur la photo de feux d’artifice, forcément. Et je ne dois pas être le seul, si on en juge par le nombre d’articles sur le sujet qui courent ces temps-ci. Mais on me demande des articles écrits de ma main, alors je vais y mettre mon grain de sel 😉

Comme souvent, je vais essayer de vous proposer quelque chose de complet, sans simplement vous donner une marche à suivre que vous ne comprenez pas, ou quelques astuces utiles. J’ai décidé de bien développer le sujet pour que vous puissiez ensuite être indépendants et vous adapter si besoin (parce que l’occasion ne se reproduit pas souvent, donc il faut être prêt à s’adapter selon la situation !).

Mon but n’est donc pas de faire le travail à votre place (je ne suis pas votre maman), mais de vous donner toutes les clés pour réussir.

Comprendre : un feu d’artifice n’est pas un sujet fixe

Ca paraît évident dans le titre, mais ça va un peu plus loin que de dire « un feu d’artifice, ça bouge » (quel savoir immense je vous apporte ici :P).

En gros, un feu d’artifice, c’est un peu comme Harry Potter, la cicatrice en moins. (ok, et les lunettes) A savoir que ça disparaît ! Le fait que ce soit un sujet mobile est important, mais ce qui l’est sans doute plus encore pour bien comprendre toute la suite, c’est qu’il ne reste pas en l’air indéfiniment.

Alors pourquoi je vous dis ça ? Et bien parce que du coup, les règles utilisées habituellement pour la vitesse d’obturation sont un peu chamboulées. Mais seulement un peu.

D’habitude, si vous photographiez un sujet pendant disons ½ seconde, l’appareil va enregistrer la lumière qui provient de ce sujet pendant toute la demie-seconde. S’il est mobile, il va enregistrer le mouvement et vous allez donc voir des traînées apparaître. C’est de la pose longue classique. Ceci est encore valable pour les feux d’artifice (j’y reviens plus précisément après).

Seulement la plupart du temps, votre sujet n’a pas les pouvoirs magiques de Harry Potter (si c’est le cas, merci de consulter un médecin ou de ne pas finir ce verre de whisky :D). Mais un feu d’artifice, si ! C’est-à-dire qu’il peut disparaître pendant le temps que l’appareil prend la photo. Et là c’est un cas un peu particulier.

Attention, grâce à ma baguette je peux être plus rapide que ton obturateur et avoir des yeux naturellement turquoises !

Le cas particulier des sujets capables de téléportation

Imaginez que vous preniez une photo de Harry Potter, accompagné de son charmant oncle (qui lui, n’a comme seul super pouvoir qu’une antipathie légendaire), devant un joli fond de studio complètement noir.

Vous choisissez un temps de pose de 1/50s par exemple (faisons simple). Pendant toute la durée de la photo, l’oncle reste là. Harry, farceur, décide de ne rester là que la moitié du temps (1/100s), et de disparaître pendant l’autre moitié de la photo. Oui, il aime bien effrayer son oncle un peu !

Imaginons que c’est Harry et que son oncle était en vacances 😀

Et bien l’oncle sera exposé normalement, mais Harry n’ayant été présent que durant la moitié de la prise de vue, il aura renvoyé 2 fois moins de lumière, et sera donc plus sombre. En fait, il sera à moitié transparent, mais comme le fond est noir et n’aura renvoyé aucune lumière, ça donne cette impression de plus sombre. Notez que si la photo dure 1/10s et que Harry décide là aussi de rester seulement 1/100s, il sera tout aussi sombre sur l’image : seule la durée pendant laquelle il est présent compte, la vitesse d’obturation n’a plus d’effet sur son exposition.

Et bien pour le feu d’artifice, c’est pareil !
En gros, si vous faites une pose de 10 secondes, et que le bouquet dure 5 secondes, et bien le bouquet sera exposé comme si la pose n’avait été que de 5 secondes (admettons un ciel noir en fond). Autrement dit, vous pouvez plus ou moins utiliser la vitesse d’obturation que vous souhaitez, en fonction de la durée des bouquets !
J’en rajoute une couche volontairement car c’est vraiment utile de bien comprendre ça.

Pourquoi utiliser une pose longue ?

Pour finir cette longue et indispensable intro, vous pourriez vous demander ce qui me pousse à parler de pose longue. Après tout, on doit bien pouvoir les saisir avec une vitesse rapide non ?

Fireworks

Ca c’est ce qui se passe si vous photographiez sans pose longue ! (Fireworks by davidmonro)

Et bien pas du tout. En fait, si vous voyez les feux de cette façon, en bouquets, c’est grâce à un truc génial qui s’appelle la persistance rétinienne. Sous ce nom compliqué qui doit vous rappeler vos cours de biologie, se cache un phénomène que vous connaissez tous : regardez directement une forte source de lumière pendant 2 secondes, genre une lampe (non, pas le soleil, je décline toute responsabilité pour toute cécité provoquée par cet article 😀). Fermez les yeux. Vous allez voir un point lumineux de la forme de la source.

Prenez une vidéo si vous voulez, mais en photo, laissez tomber le smartphone !

Et bien notre œil fait ça tout le temps. Y compris pour les feux. Votre appareil, par contre, ne se base que sur la vitesse d’obturation. Donc pour avoir le joli effet de bouquet et non pas simplement un tas de points lumineux qui ne ressemblent à rien, il vous faudra donc utiliser une pose longue : il est inutile de vouloir « saisir » le feu d’artifice dans l’instant, ça ne fonctionnera pas du tout (à droite, c’est ce qu’on obtient à 1/50, donc exactement ce qu’il ne faut PAS faire).

Mais j’y reviens ensuite.

La préparation

Le matériel nécessaire

Je ne vais pas la faire longue, mais c’est indispensable d’en parler dans ce domaine. Vous aurez donc besoin :

  • D’un appareil capable de faire des poses longues, ce qui est le cas la plupart du temps.
    • L’idéal reste un reflex, ou en tout cas un appareil qui possède le mode Bulb (ou B), qui permet de choisir son temps de pose en maintenant le déclencheur. Ce mode est en général accessible soit directement par la molette des modes (B), ou alors en priorité à la vitesse, en ralentissant au-delà de 30 secondes.
    • Vous pouvez également travailler avec un compact, en mode nuit ou feu d’artifice, s’il ne possède pas les modes créatifs (sinon, prenez le pouvoir hein).
  • Dans le cas d’un appareil à objectifs interchangeables, prenez un grand-angle (le 18-55mm du kit convient), voire un ultra grand-angle si vous devez travailler assez près du feu d’artifice. Plus loin c’est mieux (on en reparle plus tard), mais si vous devez travailler tout près, un 10-20 sur APS-C ou 16-35mm sur Full Frame fera l’affaire.
  • Un trépied, absolument indispensable et non négociable dans cette situation.
  • Dans la mesure du possible, une télécommande. Vu le prix (10€ environ), ce serait dommage de s’en passer…

Choisissez bien votre endroit

Pensez également à bien choisir votre localisation : à quoi sert de bien se préparer si c’est pour avoir des têtes devant vous, franchement ?

L’endroit est bon, la technique bien exécutée, mais la tête devant c’est un peu dommage (même si ça reste bien vu le reste).

L’idéal, c’est de trouver un endroit dégagé un peu éloigné, qui permette de bien tout saisir, en évitant les éléments gênants. Ce qui n’est pas toujours évident, soyons réalistes. Si le lieu est joli, c’est un plus, mais tout le monde n’habite pas à Londres hein…

Là le décor est top, même si ce bouquet là en particulier n’est pas dingue.

Donc ça c’est dans l’idéal, après en réalité ce ne sera pas toujours si évident. Je vous conseille de faire un petit repérage la veille, histoire de connaître d’avance le spot idéal. Pensez tout de même que le lendemain, il y aura beaucoup plus de monde ! (et d’autres photographes sans doute, auxquels vous pourrez donner l’adresse du blog pour qu’ils réussissent aussi bien que vous l’année prochaine 😀)

Ici le photographe a réussi à se mettre un peu en hauteur, et la foule apporte un plus à l’image : bien joué !

Les réglages à utiliser de base

Faisons simple, et commençons par les réglages à adopter à la base. On revient juste après sur la manière de s’adapter (sinon ce serait trop beau !)

La mise au point

manualFocus

Comme il va être complexe, voire impossible, de faire la mise au point sur les feux à chaque fois, il va falloir ruser. Il y a 2 méthodes simples qui se valent l’une et l’autre :

  • Passer en mise au point manuelle (bouton MF sur l’objectif en général, sinon regardez votre manuel), et faire la mise au point sur l’infini (regardez dans le viseur, et tournez la bague à fond dans le sens où les objets éloignés deviennent plus nets).
  • Faire la mise au point automatique sur un objet très éloigné (en appuyant à mi-course sur le déclencheur), puis passer en MF et ne plus y toucher.

Passez en mode Manuel

Je sais que c’est relativement surprenant de ma part, mais ici je vais vous conseiller de passer en Manuel (mode M). En effet, la mesure d’exposition automatique ne va rien y comprendre du tout, et ne pourra de toute façon pas mesurer la lumière du feu avant qu’il soit tiré. Donc là, on va reprendre la main. Concernant les réglages proprement dits…

La sensibilité ISO

On va faire une pose longue, donc on aura largement suffisamment de lumière. Du coup, on va mettre les ISO au minimum permis.

L’ouverture

On va utiliser une ouverture assez faible pour maximiser le temps de pose sans surexposer, et en profiter pour gagner un peu en profondeur de champ. En général, on se place entre f/8 et f/16. Commencez par exemple à f/11, on verra après comment ajuster le cas échéant.

La vitesse d’obturation (= temps de pose)

bulb-setting-on-dial

C’est le réglage le plus important ici.

Si vous avez une télécommande et le mode Bulb, c’est le plus simple : vous appuyez dès le début du tir, et vous relâchez à la fin. Attention, GRANDE pratique nécessaire (je déconne).

Si ce n’est pas le cas, c’est un chouilla plus compliqué : vous allez utiliser un temps de pose de 2 à 10 secondes en général, en essayant d’anticiper un peu. N’oubliez pas, la durée d’exposition du feu d’artifice lui-même ne dépend pas trop de la vitesse d’obturation, mais de la durée du feu lui-même. Donc si vous exposez plus longtemps, vous allez pouvoir capturer plusieurs salves, qui ne seront pas pour autant surexposées. Magie !

Par contre, l’arrière-plan pourrait être surexposé si vous exposez trop longtemps (surtout si le soleil est à peine couché). Petite technique avancée pour photographier plusieurs bouquets sur la même image tout en évitant ça : placer un carton noir devant l’objectif entre les bouquets.

Oh, et évidemment, coupez le flash hein. Il est trop petit et trop loin pour éclairer quoi que ce soit, et de toute façon on ne peut pas éclairer une source de lumière, forcément (La Palisse, mon ami, mon modèle).

La prise de vue concrètement

(garantie sans téléportation)

Les réglages que je viens de donner devraient donner un premier résultat pas mal, mais il faudra sans doute ajuster un peu, en y allant à tâtons. Commencez donc par prendre quelques clichés, disons 3 ou 5, en déclenchant au début d’une salve et relâchant à la fin (pratique le mode Bulb et la télécommande hein ? :D)

Fireworks at The Eye On Malaysia

Fireworks at The Eye On Malaysia by amrufm (ici à f/13, 10 secondes de pose)

Ensuite, vous allez vérifier que tout va bien :

  • La mise au point : que les bouquets soient bien nets. Normalement pas de souci, mais ça vaut le coup de vérifier en zoomant sur l’image sur votre écran. Corrigez le cas échéant.
  • Le rendu des bouquets du feu d’artifice : sont-ils bien étalés, ont-ils bien la forme voulue ? Si vous êtes en Bulb, pas de souci, sinon adaptez votre temps de pose en conséquence : rallongez-le si vous n’en voyez pas assez, raccourcisse-le si vous en voyez trop et que ça fait brouillon.
  • L’exposition des feux : ne sont-ils pas trop clairs ou au contraire trop sombres ? Ici, il faut utiliser l’histogramme pour évaluer, comme toujours (mais en particulier pour une image contrastée, regardée sur un écran lumineux, et en pleine nuit !).Si c’est surexposé, fermez un peu le diaphragme (passez de f/11 à f/16 par exemple), et si c’est sous-exposé, à l’inverse, ouvrez le diaphragme (passez de f/11 à f/8 par exemple). Vous ne devriez pas avoir à toucher aux ISO.

N’oubliez pas que le début peut être plus lumineux que la suite, donc revérifiez 3 minutes plus tard que vous n’êtes pas finalement sous-exposé. Idem pour le bouquet final, qui peut être plus lumineux, et donc vous conduire à fermer un peu le diaphragme.

N’hésitez pas à non plus à changer de focale (zoomer ou dézoomer), voire changer d’endroit, histoire de varier les points de vue.

Résumé – photographier un feu d’artifice

Pour faire court, voici mes 13 conseils pour photographier un feu d’artifice :

  • Choisissez un appareil capable de faire des photos en poses longues (mode Bulb)
  • Utilisez objectif plutôt grand-angle pour pouvoir saisir toute la gerbe du feu d’artifice
  • Placez l’appareil sur trépied : indispensable pendant le feu d’artifice !
  • Utilisez une télécommande, plus pratique pour déclencher sans faire bouger l’appareil
  • Faites un repérage la veille du feu d’artifice et à arrivez plus tôt le jour J
  • Choisissez bien votre endroit pour photographier : un lieu dégagé pour éviter les têtes devant vous qui bouchent la vue
  • Réglez votre appareil photo en mode manuel
  • Faites la mise au point sur un objet lointain ou juste avant l’infini puis fixez-la en passant en mise au point manuelle
  • Réglez la sensibilité ISO au minimum
  • Fixez l’ouverture vers f/11
  • Utilisez une pose longue en mode Bulb, pour avoir des bouquets de feu d’artifice sur la photo (4 à 10 secondes)
  • Si la photo est trop lumineuse, fermez le diaphragme à f/16 ou plus
  • Si la photo est trop sombre, ouvrez le diaphragme à f/8 ou moins

Comme vous l’avez compris, faire des photos de feu d’artifice nécessite d’être à l’aise sur les réglages de l’appareil. Si vous voulez être guidé pour avoir des bases solides, n’oubliez pas ma formation Devenez un Photographe Accompli, dans laquelle on reprend tout de zéro, pas à pas, et en s’amusant (parce que c’est la marque de fabrique de la maison 🙂 )

Et voilà pour cet article, normalement vous devriez vous en sortir comme ça ! Ce n’est pas si compliqué, à partir du moment où on s’imagine les feux d’artifice comme plein de petits Harry Potter 😉 Et vous, vous allez photographier le feu d’artifice cette année ?

Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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