Dans ce troisième article de mon grand dossier sur la photo argentique, je veux m’attarder sur les différences que vous allez voir avec le numérique dans la pratique au quotidien.

En effet, je m’adresse surtout aux photographes qui, comme moi, ont commencé avec le numérique : mon but est de vous inciter et de vous aider à vous mettre à l’argentique.

Et pour vous accélérer l’apprentissage, il faut que vous compreniez quelques différences fondamentales qui vont se révéler à la prise de vue.

1. Vous ne pourrez pas changer les ISO

En numérique, à chaque photo, vous pouvez changer la sensibilité ISO, ce qui est extrêmement pratique.

J’appelle souvent ça la “soupape de sécurité” de l’exposition en photo numérique : en général on cherche à ne pas trop augmenter ses ISOs pour éviter le bruit numérique, qui à partir d’un certain niveau va être franchement dégueulasse.

Donc on règle son ouverture et/ou sa vitesse selon la profondeur de champ et l’effet sur le mouvement qu’on veut, et ensuite, on peut utiliser la sensibilité ISO comme une soupape de sécurité : si l’image n’est pas assez exposée (pas assez lumineuse), on augmente les ISOs jusqu’à ce que ce soit le cas.

En argentique, une pellicule a une sensibilité ISO qui est fixe (ou presque, j’y reviens).

Là c’est marqué dessus : 400 ISO.

Si vous mettez de la pellicule à 400 ISO dans votre appareil, et bien vous serez obligé de garder cette sensibilité là jusqu’à temps que vous l’ayez finie.

Donc ça va forcément réduire un peu vos choix : s’il fait trop sombre et que vous ne pouvez pas obtenir une exposition correcte, vous n’aurez pas tellement de solution.

D’autant plus qu’il y a peu de pellicules qui dépassent les 800 ISO : il n’existe que la Kodak TMAX P3200 et la Ilford Delta 3200 qui montent à 3200 ISO, mais qui sont des pellicules noir et blanc. En couleurs, ça n’existe tout simplement pas.

J’en parlerai plus en détails dans l’article sur le développement, mais il est possible de “pousser” une pellicule, c’est-à-dire d’augmenter en quelque sorte sa sensibilité en changeant les paramètres au développement.

(En réalité, on augmente pas vraiment sa sensibilité, on compense simplement avec la chimie, mais je vous passe les détails techniques pour le moment 🙂 )

Mais même si vous poussez une pellicule affichée comme étant 400 ISO à 1600 ISO, il faudra le faire pour la pellicule entière, donc cette contrainte reste entière.

2. Couleur ou noir et blanc, il faut choisir

Même origine mais contrainte différente : une pellicule, c’est soit couleur, soit noir et blanc.

Contrairement au numérique, où si vous photographiez en RAW vous aurez toujours l’information de couleur, si vous mettez une pellicule noir et blanc, vous serez verrouillé dans ce choix.

La pellicule noir et blanc ne capture pas la couleur. Votre choix sera donc irréversible !

Dans l’absolu, rien ne vous empêche évidemment de photographier avec de la pellicule couleur, et de passer le scan en noir et blanc ensuite. Certains crieront au sacrilège, mais il n’y a pas de loi contre ça 😉

3. La pellicule supporte mieux la surexposition, le capteur la sous-exposition

Si vous avez un peu pratiqué en photo numérique et que vous avez bien écouté mes conseils sur les bases de la photo, vous devez savoir que pour exposer au mieux une photo en numérique, l’idée c’est de la rendre la plus lumineuse possible, mais SANS “cramer les hautes lumières” : c’est ce qu’on appelle l’exposition à droite. Ca se contrôle très bien avec ce fabuleux outil qu’est l’histogramme.

En effet, en numérique, si une partie de la photo est surexposée, les informations sont définitivement perdues. Vous pouvez en rattraper un peu sur le logiciel, mais ça ne fera pas de miracle.

Par contre, si c’est un peu sous-exposé, ce n’est pas grave : vous pouvez remonter l’exposition dans le logiciel sans trop de dégâts (il faut éviter de TROP le faire, mais en tout cas ce n’est pas un drame).

En photographie argentique, c’est exactement l’inverse !

La pellicule supporte très bien la surexposition, mais très mal la sous-exposition. C’est dû à la nature du medium.

Comme je vous l’ai expliqué dans le premier article, le principe général c’est que la lumière fait réagir l’émulsion, et qu’au développement, les zones les plus éclairées vont fixer plus de grain d’argent que les autres.

Mais la réaction chimique n’est pas linéaire : à partir d’un certain moment, il ne va pas y avoir 2 fois plus de grains d’argent fixés s’il y a 2 fois plus de lumière. Donc même si c’est un peu surexposé, ça se rattrape en général très bien : l’information de l’image est là, sur le négatif (ou le positif d’ailleurs).

A l’inverse, s’il n’y a pas eu assez de lumière qui a atteint la pellicule, la réaction chimique se fera moins, et on perdra l’information.

Et c’est très rapide : pour la plupart des pellicules, on voit déjà une baisse de qualité dès 1 diaphragme de sous-exposition, et c’est quasi inutilisable à 2 diaphragmes de moins que l’exposition optimale.

En soit ce n’est pas tant que ça un problème, simplement il faut le savoir : évitez toujours la sous-exposition en argentique. Dans le doute, surexposez. Ca ne veut pas dire qu’il ne faille pas faire attention à son exposition. Simplement que dans le doute, il est préférable de surexposer un peu que de sous-exposer un peu.

C’est pour ça qu’en lisant sur l’argentique, vous allez souvent rencontrer le concept “d’exposer pour les ombres“.

Ce que ça veut dire, c’est simplement qu’il vaut mieux faire la mesure de la lumière dans les parties ombragées de votre image, les parties les plus sombres. Comme ça, on s’assure que ces parties reçoivent assez de lumière sur la pellicule. Et si les parties plus lumineuses de l’image en reçoivent trop, c’est moins grave !

Par exemple, ici, la scène étant très contrastée, j’ai à peu près exposé pour les ombres (moins 1 stop) : j’y conserve un peu de détail, et les hautes lumières tiennent très bien le coup.

4. La mesure d’exposition en argentique

En numérique, nous sommes habitués au luxe d’une mesure d’exposition performante, qui se trompe très rarement. Nous avons souvent plusieurs modes de mesure de la lumière, et surtout la fonction de correction d’exposition qui nous permet de facilement éclaircir ou assombrir une image.

Et en plus, on peut vérifier le résultat immédiatement après la prise de vue, voire avant si on utilise un hybride.

Bref, quand on connaît les bases, aucune chance de viander son exposition.

En argentique, c’est bien différent, puisque vous n’avez aucun moyen de vérifier ça. Il va donc falloir faire confiance à la mesure de votre appareil, et pour ça, il va falloir apprendre à la connaître.

Alors on peut difficilement faire une règle générale en ce qui concerne la mesure d’exposition, car le marché des appareils argentiques est très varié. Il va de vieux appareils de tous les formats à exposition complètement manuelle, aux derniers appareils argentiques bardés de technologies modernes, dont la précision de l’exposition n’a rien à envier à nos appareils numériques.

J’en ai parlé dans le deuxième article de cette série, sur le choix d’un appareil photo argentique. Vous y découvrirez des appareils très variés, vous verrez.

Si vous choisissez un appareil récent, la mesure sera très performante.

Dans le cas contraire, vous allez pouvoir rencontrer plusieurs cas de figure :

Un appareil sans cellule de mesure de l’exposition

Dans ce cas, vous avez en gros deux solutions :

La cellule externe (ou posemètre)

Vous allez utiliser une cellule externe pour mesurer l’exposition de la scène, et ensuite reporter les réglages manuellement sur l’appareil.

La solution la plus simple, c’est de mesurer l’exposition de la scène avec votre smartphone : il existe de nombreuses applis comme ça, qui vous permettent de pointer le smartphone vers la scène que vous voulez photographier, d’indiquer la sensibilité de votre pellicule, et de mesurer l’exposition de la scène globale ou d’un élément en particulier (par exemple les ombres). Ca fonctionne bien, pas d’inquiétude là-dessus.

Il existe également des cellules de mesure conçues exprès, ce qu’on appelle un posemètre (vous verrez aussi l’anglais “light meter“). L’inconvénient c’est que c’est un achat supplémentaire, et un objet supplémentaire à transporter.

L’avantage est que la mesure est très précise, et surtout qu’on peut aussi procéder en mesurant la lumière incidente, c’est-à-dire la lumière qui tombe sur un sujet, plutôt que celle qui est réfléchie par sa peau. C’est grâce au globe blanc que vous voyez sur le posemètre.

Certains photographes de portrait préfèrent travailler comme ça pour s’assurer des tons de peau dans les tons moyens.

La règle du “sunny 16”

La deuxième solution, c’est d’estimer l’exposition à l’instinct. Alors oui, ça peut paraître impossible comme ça, mais il existe une règle qui donne de bonnes indications : le “sunny 16“.

En gros, il faut juste retenir qu’en plein soleil, à f/16, si vous avez une pellicule de 100 ISO, il faut choisir 1/100ème de seconde. 400 ISO : 1/400ème.

Si vous n’êtes pas en plein soleil, il y a aussi des équivalences. La règle est la même à :

  • f/11 pour un temps légèrement nuageux
  • f/8 pour un temps nuageux
  • f/5.6 pour un temps couvert
  • f/4 pour l’ombre ou le coucher du soleil
  • f/2.8 pour le crépuscule

Alors évidemment, si vous voulez faire du f/11 par temps couvert, il va falloir faire quelques calculs, et être à l’aise avec la gymnastique mentale.

Je vous donne cette méthode parce qu’elle est tellement connue qu’il est difficile de ne pas en parler, et qu’on ne sait jamais, ça pourrait vous servir en cas d’urgence.

Mais en vrai, il est beaucoup plus simple d’acheter un appareil avec une cellule 😉 (ou d’utiliser son smartphone pour mesurer)

Ce qui nous amène à notre deuxième cas de figure :

Un appareil avec une cellule, mais pas de mode semi-automatique

Aujourd’hui, vous êtes habitué à avoir des modes de priorité à la vitesse et à l’ouverture, que je vous conseille d’ailleurs d’utiliser la majorité du temps.

Mais ça n’a pas toujours été le cas. Sur certains appareils, vous allez avoir une cellule de mesure de l’exposition, mais qui ne va pas faire les réglages pour vous. C’est certes moins pratique qu’un bon vieux mode A, mais ça reste facile d’utilisation.

La cellule va simplement vous indiquer visuellement (avec une aiguille le plus souvent) si les paramètres que vous avez sélectionnés vont donner selon elle une photo sous-exposée ou surexposée.

A partir de ce moment-là, il vous suffit de faire varier la quantité de lumière qui va rentrer dans l’appareil grâce à l’ouverture et au temps de pose (vitesse d’obturation). Jusqu’à temps que l’aiguille indique une bonne exposition.

Et c’est tout !

C’est d’ailleurs exactement la même chose qui se passe en mode Manuel sur les appareils photos numériques d’aujourd’hui : vous avez une cellule qui vous indique s’il y a trop ou pas assez de lumière, et vous changez les réglages en conséquence.

Un appareil avec un ou plusieurs modes de priorité

Et enfin, sur les appareils plus récents (dès les années 70), vous aurez souvent la possibilité de photographier en priorité à l’ouverture, priorité à la vitesse, voire les deux.

Et là, le processus se passe exactement comme en numérique, je ne vais donc pas m’étaler dessus ! 🙂

5. La mise au point en argentique

Contrairement à ce qu’on pourrait penser si on a une image un peu romantique de l’argentique, il existe évidemment plein d’appareils argentiques qui ont eu l’autofocus (la mise au point automatique), et qu’on trouve encore d’occasion, y compris à des prix abordables (je pense au Nikon F100 ou au Canon EOS 3 par exemple).

Seulement voilà, il se peut que vous ayez envie de choisir un appareil argentique à mise au point manuelle. Non pas par plaisir de souffrir, mais pour d’autres critères.

J’en vois principalement deux :

  1. Vous souhaitez photographier en moyen format ou en grand format, et vous allez donc être quasi obligé d’utiliser la mise au point manuelle. (il existe des moyens formats avec autofocus mais ils ne sont pas exactement bon marché !)
  2. Vous trouvez que les appareils argentiques avec autofocus sont moches, et une de vos raisons pour faire de l’argentique, c’est de retrouver de beaux objets dans des matières nobles, et au look intemporel. Et dans ce cas, vous allez sûrement vous retrouver avec de la mise au point manuelle.

Si vous vous retrouvez à faire la mise au point en manuel, et que vous n’avez pas l’habitude, ça peut faire un peu bizarre au début. Vous allez voir, ce n’est pas non plus une horreur totale, car il y a différentes aides à la mise au point qui ont été développées pour aider le photographe en détresse :

Les verres de visée des reflex

Si vous avez fait le choix d’un reflex argentique, vous allez voir que dans le viseur s’affiche souvent un cercle central qui fait des trucs un peu funkys quand vous changez la mise au point. Quand on ne sait pas ce que c’est, on peut légitimement se demander à quoi ça sert.

En fait, ce que vous voyez dans le viseur, c’est le verre de visée (le dépoli) qui se situe en-dessous du prisme. Sur les reflex numériques modernes, on ne peut plus le voir directement, mais sur de nombreux reflex argentiques, il était possible d’enlever le prisme, et donc on pouvait directement avoir accès au verre de visée (et d’ailleurs le changer, mais c’est une autre histoire).

Sur mon Nikon F3, je peux aisément changer le verre de visée si besoin !

Selon les verres donc, vous allez principalement avoir deux aides à la visée (le plus souvent les deux en même temps) :

Le stigmomètre

Sous ce nom barbare se cache un mécanisme assez simple, que vous verrez en général au centre du viseur, sous la forme d’un disque divisé en 2 parties (il y a une ligne bien visible au milieu). En anglais on l’appelle “split screen“, ce qui veut dire littéralement “écran divisé”, ce qui est plus clair.

Il s’utilise de manière assez simple. Admettons que vous souhaitiez faire la mise au point sur quelque chose, par exemple un mur.

Si la ligne du stigmomètre est horizontale, il suffit de trouver une ligne verticale sur votre mur. Vous allez voir que si la mise au point n’est pas faite, cette ligne verticale du décor va être comme “cassée”. Ca ressemble à ça :

Il vous suffit alors de tourner la bague de mise au point jusqu’à que cette ligne verticale soit continue, et boum, vous avez fait la mise au point !

(Notez que si la ligne du stigmomètre est verticale dans votre viseur, il faudra choisir une ligne horizontale dans le décor : bref, il faut que ça reste perpendiculaire, sinon vous ne verrez rien.)

Le microprisme

Un autre mécanisme est le microprisme. Quand vous avez les deux sur le verre de visée, il est en général situé en anneau autour du stigmomètre.

Il a l’avantage de ne pas dépendre de l’orientation de l’appareil, et de ne pas vous obliger à trouver une ligne : c’est pour ça que c’est un excellent complément au stigmomètre, même s’il est un peu moins précis.

L’idée est simple : les zones qui ne sont pas mises au point vont avoir un léger “scintillement”. Et dès que vous allez faire la mise au point, elles vont perdre ce scintillement, et le microprisme va devenir transparent.

Dans mon expérience c’est moins précis, mais ça peut vous sortir de situations sans vraies lignes distinctes. C’est pour ça que la plupart des appareils ont les deux 🙂

La visée télémétrique

Ce que j’ai dit au-dessus vaut pour les reflex, mais il existe d’autres types d’appareils, comme on l’a vu dans l’article sur le choix d’un appareil argentique.

Et notamment des appareils avec une visée qu’on appelle télémétrique. Si vous n’avez toujours fait que du numérique, ça pourrait vous paraître bizarre (sauf si vous êtes chez Fuji 😉 ), mais vous ne voyez pas à travers l’objectif comme sur un reflex.

Schéma simplifié du fonctionnement d’un reflex (argentique ou numérique d’ailleurs).

Pour rappel, avec un reflex, la lumière passe dans l’objectif (la flèche orange), rebondit sur le miroir puis dans le prisme, pour arriver à votre oeil. C’est ce qu’on appelle la visée TTL (pour “Through The Lens” en anglais, littéralement “à travers l’objectif”), ou juste “visée reflex“.

Avec un appareil à visée télémétrique, vous regardez dans un viseur qui est déporté sur le côté, et “simule” ce que vous devriez voir si vous regardiez comme dans un reflex.

L’avantage est que ça permet de faire des appareils beaucoup plus compacts, comme vous le verrez dans l’article sur le choix d’un appareil. C’est notamment la visée des fameux appareils Leica dont vous avez du entendre parler.

Un Leica M6. Faut avouer que ça a de la gueule. Il faut aussi craquer son PEL, mais bon.

Alors comment ça marche ? Et bien c’est simple : au centre du viseur, vous allez voir l’image en double, comme quand vous êtes rentré du nouvel An chez mamie et que vous aviez un peu abusé sur les coupettes. En bougeant la mise au point, vous allez finir par voir l’image entière nettement, et c’est là que vous saurez que l’image… est mise au point ! Logique.

Il faut savoir que ça demande un sujet suffisamment contrasté pour bien voir. Il faut s’habituer quoi.

Voilà, c’est ce que vous deviez savoir sur la photographie argentique pour bien débuter. Dans le prochain article de cette série, on passera à l’étape suivante : comment développer sa pellicule une fois qu’on a terminé de photographier ?

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Laurent Breillat
J'ai créé Apprendre.Photo en 2010 pour aider les débutants en photo, en créant ce que je n'avais pas trouvé : des articles, vidéos et formations pédagogiques, qui se concentrent sur l'essentiel, battent en brêche les idées reçues, tout ça avec humour et personnalité. Depuis, j'ai formé plus de 14 000 photographes avec mes formations disponibles sur Formations.Photo, sorti deux livres aux éditions Eyrolles, et édité en français des masterclass avec les plus grands photographes du monde comme Steve McCurry.
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