Les scènes (trop) contrastées sont un des premiers problèmes qu’on rencontre en débutant la photo, en général en essayant de photographier un paysage en plein jour, ou alors un intérieur avec des fenêtres dans le cadre. Inévitablement, les hautes lumières sont « cramées » (entièrement blanches) ou les ombres « bouchées » (entièrement noires), voire les deux. À quoi est-ce du, et surtout comment gérer cette situation complexe et pourtant courante ?
L’idée de cet article m’est venue à la suite de la dernière séance de questions/réponses avec les élèves de mes formations photo : indirectement, au moins 5 personnes m’ont posé une question qui se rapportait à ce problème, preuve qu’il est rencontré par la majorité d’entre vous. J’en parle juste un peu plus tard dans la formation (c’est pour ça que j’ai autant de questions maintenant, et que je n’en aurai plus dans un mois), mais ça méritait bien un article pour faire le point là-dessus.
Mon objectif est de vous expliquer d’abord pourquoi vous n’arrivez pas à exposer correctement ce genre d’images, et surtout à vous donner plusieurs pistes pour gérer ce souci.
Pourquoi l’appareil ne voit-il pas comme nous ?
Si autant de monde bute sur ce problème, c’est qu’il est très contre-intuitif pour nous. En effet, même avec une scène très contrastée, comme par exemple un monument plongé dans l’ombre et un ciel de plein jour, nos yeux n’ont aucun problème à voir des détails partout. Et par contre, votre appareil n’en est manifestement pas capable.
Alors pourquoi l’appareil qui vous a coûté un bras a la vision de Steevie Wonder comparé à vos yeux ? Et bien malgré la technologie des capteurs d’appareils numériques qui a énormément évolué, ils ne sont toujours pas aussi perfectionnés que nos yeux, en tout cas en ce qui concerne leur capacité à discerner des détails dans les scènes contrastées, car ils ont une plage dynamique bien moins importante.
Qu’est-ce que la plage dynamique ?
La plage dynamique de la scène
La plage dynamique d’une scène, c’est la différence de luminosité entre la partie la plus sombre et la plus claire de la scène. Quand je dis « scène », je veux dire ce qui rentre dans le cadre de votre appareil photo, pour simplifier. Elle s’exprime en IL/EV/stop/diaphragme, selon la dénomination que vous préférez. Si vous n’êtes pas familier avec ce vocabulaire, lisez d’abord mon article sur l’indice de lumination et la correction d’exposition. Ca paraît barbare comme ça, mais c’est indispensable pour comprendre la suite, et vous allez voir, c’est très simple.
J’utiliserai « IL » dans la suite de cet article, mais les autres termes sont équivalents.
Pour rappel, +1 IL veut dire que la luminosité double. Donc par exemple, si une scène a une plage dynamique de 1 IL, cela signifie que la partie claire est 2 fois plus lumineuse que la partie la plus sombre. Une plage Dynamique de 2 IL = partie claire est 4 fois plus lumineuse que la partie la plus sombre, etc.
Dans la réalité, les scènes de la vie courante font le plus souvent entre 8 et 15 IL environ, pour vous donner une idée (c’est à titre indicatif hein, ne me jetez pas de cailloux si en réalité c’est entre 8,5 et 15,5 IL, on s’en fout).
La plage dynamique du capteur (et de l’œil)
On peut également appliquer cette notion de dynamique à ce qui capte la lumière, que ce soit notre œil ou le capteur de l’appareil photo. Dans ce cas, la dynamique sera ce que le capteur est capable de retranscrire sans perdre totalement les détails, pour faire simple.
Notre œil a une plage dynamique d’environ 24 IL (ça varie évidemment selon les personnes), tandis que les capteurs numériques d’aujourd’hui ont une plage dynamique de 12 IL en moyenne (de 10 à 14 IL dans les faits). Vous comprenez donc aisément que les capteurs ont une capacité bien moindre à saisir les détails dans une scène contrastée que nos yeux, d’où le problème qu’on rencontre.
De plus, j’ai dit plus haut que les scènes peuvent avoir une plage dynamique de 15 IL (voire plus), tandis que les capteurs sont le plus souvent limités à 12 IL. Dans ce cas, on dit que la dynamique de la scène est supérieure à celle du capteur. C’est ce qui arrive le plus souvent quand votre ciel est tout blanc !
Et donc dans ce cas, il est impossible pour votre appareil de garder du détail dans toute l’image, sauf si vous l’aidez un peu (on y revient).
Rappel utile : la mesure de la lumière
Avant de rentrer dans le vif du sujet, à savoir les façons de contourner ce problème, je dois vous faire un rappel sur la mesure de la lumière pour que la suite soit beaucoup plus claire. Oui, je sais, ça fait une longue intro, ne me jetez pas de cailloux 😉
Quand votre appareil fait l’exposition automatique (ou semi-automatique), c’est-à-dire dans tous les modes sauf le mode Manuel M, il utilise une cellule pour mesurer la lumière de la scène, et déterminer comment faire pour qu’elle ne soit ni trop claire ni trop sombre. Comment accomplit-il ce miracle ?
Et bien l’appareil se débrouille pour que la luminosité globale de la scène soit celle d’un gris moyen, parce que c’est ce qui fonctionne le plus souvent (mais pas dans le cas qui nous intéresse, vous vous en doutez). C’est-à-dire que si vous photographiez un mur gris moyen, un mur blanc et un mur noir en exposition automatique, à la fin le rendu de la photo sera le même : un mur gris moyen.
Ceci est valable en mode de mesure évaluative/matricielle, c’est-à-dire quand l’appareil effectue cette mesure sur l’intégralité d’une image. Il existe d’autres modes où il se comporte différemment, mais ce n’est pas le sujet de l’article. Si vous n’êtes pas au point sur les modes de mesure, lisez mon article à ce sujet.
Dans la situation qui nous préoccupe, l’appareil va donc chercher à obtenir une luminosité moyenne de gris moyen, et donc le plus souvent… cramer le ciel. Donc il va falloir prendre le pas là-dessus, et nous allons voir comment tout de suite.
Comment faire en pratique ?
Il va y avoir 2 stratégies pour gérer ce type de lumière. La première est de réduire la dynamique de la scène à la prise de vue, pour qu’elle « rentre » dans les limites de la dynamique du capteur. La seconde est d’utiliser le post-traitement pour retrouver artificiellement du détail là où on en a perdu.
1. Réduire la dynamique de la scène dès la prise de vue
Se placer correctement
Ça peut paraître tout bête, mais commençons par ce qui ne demande ni réglage particulier, ni accessoire coûteux, ni post-traitement poussé : bouger vos pieds ! Quand j’étais petit, je savais déjà qu’il fallait éviter de photographier un paysage avec le soleil en pleine face. Et bien n’oubliez pas ce conseil de votre maman : ça ne fonctionne pas !
Il ne faut pas vous étonner si vous avez de mauvais résultats alors que vous travaillez dans les pires conditions possibles : lumière de midi, de pleine face, et ombres dures sur les bâtiments par exemple. Vous n’aurez jamais un très beau résultat avec ça, tout juste quelque chose de correct. Les jolies photos de paysage ou d’architecture que vous voyez ont le plus souvent été prises dans les conditions idéales : belle lumière (début ou fin de journée, voire temps légèrement couvert), trépied, cadrage travaillé au millimètre, et aucun touriste en short + sandales + chaussettes blanches.
Et la belle lumière, en particulier, met parfois très longtemps à s’obtenir. Les photographes paysagistes repèrent le plus souvent un lieu particulier et y reviennent plusieurs fois avant d’avoir la bonne lumière, voire campent sur place en pleine nature pour capter la lumière de l’aube.
Bref, vous l’aurez compris, il faut d’abord faire preuve de bon sens, même si vous ne pouvez pas toujours vous permettre d’attendre le soir (et dans ce cas, il ne faut pas forcément vous attendre au meilleur résultat du monde, c’est tout 🙂 ).
Utiliser un filtre gradué gris neutre
La première solution technique que je vous propose était déjà en cours du temps de l’argentique, et fonctionne toujours aujourd’hui : il s’agit simplement d’assombrir la partie claire de l’image pour la faire « rentrer de force » dans les limites de la dynamique du capteur.
On accomplit ce petit miracle grâce à ce qu’on appelle un filtre gradué gris neutre : une partie du filtre est grise, et donc laisse passer moins de lumière (assombrit l’image), et l’autre est transparente et laisse passer la lumière normalement. La limite entre les deux n’est pas franche bien sûr, il y a un dégradé, d’où son nom de filtre gradué.
Je ne vais pas rentrer en détail dans la technique, car en substance il suffit de placer la partie sombre sur le ciel : ça se voit dans le viseur. En pratique, il faut évidemment choisir la bonne « puissance » de filtre (à quel point il assombrit l’image), ce qu’on peut voir en faisant un essai grâce à l’histogramme, et un dégradé plus ou moins doux selon la scène.
Cette technique produit un résultat esthétique et naturel (si elle est bien utilisée évidemment), mais nécessite un peu de matériel, et de shooter sur trépied. Ce n’est donc pas adapté pour toutes les situations, mais les résultats sont excellents et le post-traitement par la suite n’en est pas alourdi.
Evidemment, si vous n’avez pas un horizon à peu près droit, vous ne pouvez pas appliquer cette technique, puisque le dégradé est forcément droit.
2. Faire appel au post-traitement pour retrouver des détails
De nos jours, les logiciels de traitement d’images nous permettent de faire de petits miracles. Je suis d’avis qu’il faut profiter de ce qu’on a à disposition, mais tout en restant de bon goût. Ce que vous allez employer va surtout dépendre de la dynamique réelle de la scène.
Exposer à droite
Si la dynamique de la scène n’est pas trop élevée (un tout petit peu supérieur à celle de votre capteur), vous pouvez vous en sortir relativement bien avec une seule prise de vue. De plus, cette technique a pour avantage de bien fonctionner sans matériel supplémentaire, et notamment sans trépied.
Elle fonctionne également dans un cas similaire : si la dynamique de la scène est élevée mais pas trop, c’est-à-dire qu’elle s’inscrit tout pile dans les limites de votre capteur. Par exemple si elle fait 11,5 IL. Dans ce genre de cas, l’appareil fait parfois une erreur en termes d’exposition : il crame le ciel pour gagner du détail dans les ombres, alors qu’il aurait pu faire autrement.
Note : Faire simplement une mesure spot sur le ciel dans ce cas est inutile, car il va chercher à rendre le ciel « gris moyen », ce qui va boucher les ombres plus que nécessaire. L’idéal, c’est que le ciel soit le plus lumineux possible, sans être cramé.
L’idée est d’obtenir l’image la plus lumineuse possible sans cramer les hautes lumières du tout (quitte à boucher les ombres). « Cramer » signifie que les hautes lumières soient entièrement blanches. Le seul moyen fiable de le voir n’est PAS de regarder sur l’écran arrière de l’appareil photo, mais de regarder l’histogramme. Les hautes lumières cramées sont indiquées par un pic situé à droite de l’histogramme.
Pour être plus clair, voici quelques illustrations des histogrammes correspondants à différentes situations (ce qui est au milieu de l’histogramme ne compte pas) :
En « exposant à droite » (tonalités alignées à droite sans « pic coupé »), on évite de perdre des informations dans les hautes lumières (qui sont absolument et définitivement irrécupérables si elles sont cramées), et en même temps on en conserve un maximum dans les ombres. Ce ne serait pas le cas si on exposait les hautes lumières « au milieu » : on perdrait de l’info dans les ombres.
Avec cette technique, il va bien sûr falloir photographier en RAW pour rattraper les différentes tonalités au post-traitement. En effet, l’image sera souvent trop lumineuse, et il faudra souvent à la fois baisser les hautes lumières pour compenser ça, et augmenter la luminosité des ombres. Et rajouter un peu de contraste en photographie permet aussi de bénéficier d’une image avec du peps. Le RAW est ici indispensable, ne pensez même pas à faire ça en JPEG, où l’exposition à droite ne fonctionne pas.
À noter que vous pouvez aussi rattraper les ombres au post-traitement sans exposer à droite, mais que vous ne pourrez pas rattraper les hautes lumières cramées. En fait, l’exposition à droite, c’est l’optimisation de votre photo pour le post-traitement.
Si vous voulez beaucoup plus de détails, j’ai fait un article complet sur l’exposition à droite.
J’ai également fait un exemple de post-traitement en vidéo avec cette technique, vous allez voir que le résultat par rapport à l’image d’origine est exceptionnel :
Le HDR
Il existe enfin une technique spécialement conçue pour ce genre de situations, comme son nom l’indique : « High Dynamic Range » signifie « grande gamme dynamique ». L’idée est quelque chose de simple : prendre plusieurs fois la même image avec des expositions différentes, et les fusionner ensuite sur l’ordinateur. En effet, en prenant plusieurs expositions, on peut facilement avoir beaucoup d’informations à la fois dans les hautes lumières et dans les ombres, car on étend artificiellement la dynamique du capteur finalement.
La technique nécessite évidemment un trépied afin de prendre exactement la même image et de permettre au logiciel de fusionner les photos.
En pratique, il suffit de prendre plusieurs fois la même scène, avec des expositions différentes et la même profondeur de champ. Il faudra donc changer la vitesse d’obturation pour exposer la scène différemment. Ca peut se faire en mode Manuel M, ou plus simplement en mode priorité à l’ouverture A/Av, en utilisant la correction d’exposition. Vous pouvez également utiliser le bracketing d’exposition automatique.
Ensuite, le plus simple est d’utiliser la fonction intégrée de Lightroom pour faire du HDR :
Par le passé, on utilisait des logiciels spécialisés comme Photomatix Pro, HDR Efex Pro (de chez Nik Software) disponible comme module de Lightroom, HDR Fusion Pro comme module de Photoshop, ou encore Luminance HDR (logiciel libre disponible sur toutes les plates-formes, y compris Linux). Ca peut éventuellement encore servir si vous avez des besoins spécifiques, mais la fonction de Lightroom fait très bien le boulot !
Je ne vais pas vous faire un tuto complet sur la photo HDR, ça méritera un article à part entière. Cela dit, un petit avertissement : ne tombez pas dans le piège du HDR surréaliste dégueu avec des couleurs qui bavent. C’est de mauvais goût. L’idée, c’est de rendre une scène comme l’oeil la voit : avec une plus grande dynamique et encore plus de détails et de couleurs. Pas de produire un dessin d’enfant de 4 ans qui a renversé le pot de peinture vert fluo 😉
Voilà, j’espère que cet article vous donnera suffisamment de pistes pour affronter cette situation qui bloque un grand nombre d’entre vous, mais reste pourtant très courante, en particulier quand vous partez en vacances.
Si vous avez souvent des soucis dans les situations de lumière difficile, on a une formation complète sur le sujet ! Vous y apprendrez :
- Comment retrouver la lumière naturelle de la scène et reproduire les belles lumières que vous voyez
- Quels réglages exacts faire si la lumière est trop forte ou pas assez
- Comment éviter des résultats aléatoires dans toutes les situations de lumière difficiles (basse lumière, contre-jour, scènes contrastées, etc.)
- Comment éviter le voile sur vos photos
- Comment obtenir de bons résultats même en basse lumière
- Comment obtenir des effets de rayons de lumière (dans la forêt par exemple)
Super article et super site qui apporte beaucoup de bonnes informations. Merci beaucoup.
Concernant les problèmes de contraste sur le ciel, j’utilise un polariseur qui peut venir en complément des techniques présentées.
Bonjour Stéphane,
Ça peut aider d’une certaine façon oui, pour info Laurent donne plus de détail sur ce filtre dans cet article 😉
J’ai été confrontée récemment au problème. Je m’en suis sortie en m’y reprenant à plusieurs fois. Un coup je mesurais la lumière dans le ciel, un coup je jouais sur la profondeur de champ, un coup sur la correction de la luminosité, etc. Au bout d’un moment, j’ai réussi à avoir un bon résultat que j’ai amélioré avec un logiciel. Merci encore pour tous tes conseils.
Bonjour et merci pour la réponse 🙂
En fait je ne connaissais pas toutes ces notions au moment où je voulais prendre cette photo mais maintenant que je comprends je voulais confirmation qu’il fallait bien éviter de cramer le blanc, utilisé le mode Raw et puis post-traitement. Je serai prête pour la prochaine comme ça ^^.
Merci encore 🙂
Salut Laurent,
Tout d’abord merci pour ton blog, c’est une petite merveille de connaissance. J’ai acheté un hybride il y a 2 semaines et 3 jours après l’avoir reçu je partais en Laponie et je dois dire que tes articles pour comprendre l’ouverture, la vitesse et la sensibilité en 3 minutes m’ont été d’une aide précieuse. On comprend tout vite et bien et facile à refaire par la suite. Continue c’est super !
J’ai quand même eu un problème pour une photo où je n’ai pas réussi à rendre ce que je voulais : j’étais dans l’avion, au dessus d’une mer de nuage et avec un magnifique soleil qui éclairait d’une teinte orangée (trop beau quoi ^^). Je n’ai pas réussi à rendre la lumière orangée sur ma photo et c’est vrai qu’elle est un peu fade. Est-ce que ça a à voir avec le contraste et qu’il aurait fallu exposer à droite avant de faire un post-traitement ? Comment rendre les belles teintes orangée d’un soleil sur des nuages (bien sûr tout blanc) ?
Merci beaucoup pour ton blog !
Bonjour Solène!
Si tu es sûre de :
– ne pas avoir cramé les hautes lumières – avec l’histogramme
– que tu as bien shooté en Raw
– que tu es passée par la case post-traitement
Alors il n’y a pas de raison qu’en réglant la température de couleur et la luminosité tu ne retrouves pas ce que tu as vu de tes yeux 😉